Chapitre 40
"Honneur. Sens du sacrifice. Respect. Pour ma Dame !"
~Devise du chevalier de lumière
Lumière fixait les crocs terrifiants d'Ombrage, et sa vie défila devant ses yeux.
Lumière n'était pas qu'un nom : c'était une nature. Pas une lumière éclatante, imposante comme celle d'une étoile, mais douce, capable d'illuminer les ombres les plus sombres sans chercher à les effacer.
Né dans la noble famille De Lastrie-Vinois, il avait toujours été différent de ses ancêtres. Là où ses aïeux incarnaient des cauchemars indistincts et sans couleur, Lumière brillait de rêves, là où ses frères se noyaient dans leurs propres ténèbres.
Sa mère était partie alors qu'il n'avait que quatre ans. Quant à son père, il avait fini par chercher réconfort ailleurs, une décision que Lumière avait toujours comprise. Après tout, comment blâmer un homme qui ne recevait ni affection, ni soutien ? Sa femme ignorait même leur plus jeune fils, Cauchemar.
Cette histoire familiale l'avait éloigné des conventions de la noblesse et des unions sans amour. Fini, les prétendantes fades au domaine. Et sur ce point, Lumière était intraitable.
À quinze ans, il fut envoyé chez la Douce Reine pour devenir chevalier. Le jour même de son adoubement, il apprit une terrible nouvelle : son père avait réveillé le cauchemar enfoui en son frère, condamnant Cauchemar à une vie d'ombre, enfermé comme un animal dans une cage. Le lendemain, le comte mourut.
Malgré tout, Lumière trouva une lueur d'espoir dans son malheur : Skotadi. Son camarade, son opposé. Ils partageaient la même chambre, et les soirées étaient marquées par les provocations maladroites de Skotadi, qui, souvent ivre, lui lançait des "je t'aime" qu'il oubliait le lendemain.
Un jour, excédé par les doutes de Skotadi, Lumière l'avait réduit au silence en l'embrassant brusquement. Ce baiser avait tout changé. Cette nuit-là, ils s'étaient trouvés. Leur idylle naissante fut néanmoins interrompue au petit matin par une Millisandre outrée de leur imprudence...
Lumière se souvenait de chaque instant de cette vie, de ces moments, de ces amours. C'étaient eux qui faisaient de lui ce qu'il était : un chevalier un peu spécial. Ni prince des Cauchemars, ni dieu en devenir. Juste un fantôme lumineux, champion de Liliana, fidèle à sa Dame.
Immeron le fit sortir de sa rêverie en fonçant vers Ombrage, épée à la main. Il ne le laisserait pas lui piquer une âme, Morgane ne lui pardonnerai jamais.
- Hors de mon chemin, faux dieu !
D'un geste de son doigt crochu fait d'ombre, une force télékinésique envoya Immeron à l'autre bout de la pièce, pièce sans plafond ni mur, quelques colonnades s'ouvrant sur le ciel d'étoiles. Ombrage revint vers Lumière, sa gueule se refermant autour du fantôme, petite étincelle de lumière dans un torrent de noirceur, prête à être engloutie.
Immeron se releva tant bien que mal et revint à la charge.
- Pas touche.
L'immensité ténébreuse qu'était Ombrage se courba, comme poussé par quelque chose qui le déstabilisa. Peu de gens oseraient, et pourtant...
Devant Lumière, un jeune homme à la peau pâle et aux cheveux noirs se dressait, épée à la main. Dans ses yeux, la rage brillait sous forme d'yeux noirs et froids..
- Ne pose plus jamais tes mains sur ce qui m'appartient, ou tu le regretteras, saleté.
La voix de Skotadi résonnait comme un ordre, implacable. Personne ne s'en prendrait à Lumière. Jamais.
Ombrage planta ses griffes dans la tour, causant un tremblement qui faillit faire lâcher la sphère noire à Dorcas, mais elle la referma dans ses bras. Dame Liliana fut déséquilibrée à son tour, elle qui, au loin, ne pouvait que regarder, impuissante, le destin se jouer sous ses yeux aveugles.
Dorcas... Dorcas... C'est maintenant où jamais.
Dorcas... Dorcas... Tu dois te battre.
Dorcas... Dorcas... Moi et toi munis du Nécromanticon... Nous pouvons tous les tuer facilement.
Dorcas... Dorcas... Une fois tous morts nous pourrons tranquillement recréer le monde.
Dorcas... Dorcas... Même s'ils meurent maintenant... Je leur ferais une place dans le nouveau monde, fit le démon dans la tête de sa sorcière.
Ombrage fit s'abattre sur le sol de marbre sa main géante et griffue, recouvrant la haute tour, voulant écrasés ses héros comme on écrasé des insectes.
- dekrɛʃɛndo, murmura Skotadi.
L'Imaginaire sembla un instant se brouiller, se mélanger à la Réalité. Le temps ralentit, comme limité par une présence rêveuse. La fumée de ténèbre qui s'échappait de l'ombre se diffusa lentement, l'immense main ralentit sa frappe, les étoiles tournèrent moins vite, et le démon semblait piégé dans une bulle où la cadence du tic tac était déformé.
Skotadi, avec une rapidité calculée, souleva Théo et Séléna, les plaçant chacun sur une épaule, et sauta de la tour d'Ivoire. Un battement de cils, et ils étaient sauvés.
Quand la main d'Ombrage toucha enfin le sol de la tour, le marbre craquela lentement. La fumée de poussière à l'impact s'éleva avec légèreté. De lourds gravats d'ivoire volèrent doucement vers le ciel. Tout semblait tellement plus gracieux quand le temps lui-même prenait son temps. Skotadi, toujours en action, s'approcha de Liliana, osant pour la première fois effleurer sa peau divine. Elle fut sauvée.
Immeron, sans que personne ne sache comment, fut le suivant à être arraché aux ténèbres. Skotadi avait ce don unique : tout pouvoir toucher, même les morts.
Mais le regard du démon était vif. Il se tourna à une vitesse incroyable, hors du ralentissement, vers Skotadi. Le traître. Déjà, Skotadi avait Lumière entre ses bras, prêt à l'arracher au chaos.
Ombrage fit un effort colossal. Son aura de ténèbres s'étendit, se propageant en vagues puissantes, brisant les lois mêmes du temps. L'enchantement de Skotadi vola en éclats... et à cet instant précis, le chevalier bondit une dernière fois hors de la tour, emportant Lumière avec lui.
Soudainement, les craquelures du marbre finirent leur course rapidement, la fumée de poussière se dissipa bien vite, les grands gravats finirent par retomber lourdement sur le sol en détruisant les colonnades d'ivoires.
Tout était détruit.
La tour elle même ne tenait plus que par la force de quelques pilliers encore intacts. Quand la vaste ombre retira sa main, il n'y avait plus rien. Dorcas elle-même s'était perchée sur l'épaule de son démon devenu titanesque, et les héros étaient en bas de cette tour.
Vifs.
- C'est maintenant ou jamais, Dorcas.
Le vaste démon tendit la main vers Dorcas, vers la sphère quelle tenait, vers cette énergie de monde sacrifié. Vers sa victoire. Avec ça, Ombrage allait enfin pouvoir se libérer du contrat de Dorcas et créer un nouveau monde...
Un monde à son image. Un enfer sur terre.
- Trop nul, marmonna Skotadi.
- Silence.
Le titanesque démon d'ombre posa son doigt crochu et ténébreux sur Skotadi, l'écrasant lentement dans sa souffrance.
Les grandes personnes parlaient.
C'était maintenant, ou jamais. Dorcas ne pouvait plus douter. En réalité, elle croyait que ce manège aurait durer plus longtemps... Au loin, le Néant continuait de dévorer le monde, tapa violemment contre la chaîne de montagnes qui délimitait l'est et l'ouest : ce monde n'était pas encore complètement détruit. Dorcas avait besoin de temps. Mais Pourquoi ? Quels sombres ambitions la Reine Ténébreuse cachait-elle encore ?
Ombrage fronça les sourcils. Il connaissait trop bien sa sorcière pour ne pas voir qu'elle avait prévu autre chose que de lui donner l'énergie sacrificielle.
- Tu me manipules depuis le début... Tout ce que tu voulais, c'était le Nécromanticon et le sort pour sacrifier le monde. Mais pourquoi faire ?
Ombrage avait, comme tout le monde, trop confiance au fait que les elfes ne pouvaient pas mentir. Mais Dorcas manipulait les mots, déformait la vérité jusqu'aux limites du mensonge avec une telle adresse... Le Démon releva son doigt de Skotadi pour lever la main sur Dorcas.
Le chevalier se remit devant Lumière. Son ombre bouillonnait.
Pendant ce temps là, Immeron se tranformait une nouvelle fois en cauchemar.
Le regard du démon se noircit, la sorcière sur son épaule regardait sa manucure si parfaite en tenant le monde entres ses doigts...
Dorcas... Dorcas... Je suis la seule personne à pouvoir te sauver de ce cauchemar.
- Je sais. Mais je sais aussi que le devoir de ma famille est de te garder en captivité. De t'empêcher de faire de ce monde un enfer.
Dorcas... Dorcas... Tu peux me faire confiance.
Dorcas... Dorcas... Je suis ta seule chance de te sauver de ce monde dans lequel tu n'as pas ta place.
Dorcas... Dorcas... Aucun autre sort que la ForgeMonde peut te donner ce que tu souhaites.
Mais dans le ciel, les étoiles valsaient. Une valse à trois temps, dont chaque pas avait la gracilité de petites flammes... Ce n'étaient pas des étoiles : c'étaient des feux follets Chrono.
Elle les avait tous dérobés à la bibliothèque des Âmes, et Ombrage comprit enfin pourquoi. Pour la première fois, il lui parla directement, sans passer par des mensonges de l'esprit.
Ombrage semblait coupé en voyant la sphère sacrificielle entre les mains de Dorcas. Elle avait réuni tout les ingrédients de sa victoire. Elle avait dépassé Ombrage, lui qui croyait la manipuler... en vain.
- Personne n'a réussi à remonter le temps aussi loin, jusqu'à la mort de ta famille ! Quatres siècles, c'est impossible !! Un tel sort n'existe même pas !
Dorcas haussa simplement les épaules. En effet, le temps est une loi que personne ne peut toucher... si ce n'est la Réalité même des choses. Et Dorcas haussa un sourcil condescendant vers son démon titanesque.
- C'est moins risqué que de te donner le monde. Alors oui, je vais recréer ce monde. Mais pas comme je l'ai laisser entendre, rétorqua l'impératrice d'un air supérieur.
Elle allait changer le monde non pas en deformant la réalité comme le voulait Ombrage, mais en changeant le passé. Mais Ombrage dévoila ses dents pointues, il éleva sa main sur Dorcas et...
Dorcas pointa du doigt ces héros qui n'attendait que la bataille. Peut-être que... Peut-être que la sorcière ne les as pas tuer car ils avaient une utilité dans son plan : celui d'occuper Ombrage le temps de sa trahison.
-Et là on fait quoi ? murmura Lumi à Immeron.
-On la regarde échouer, fit-il simplement.
Dame Liliana se tenait droite vers les feux follets, ses yeux aveugles dirigés vers eux avec une lueur presque espérante dans les yeux.
- Immeron... Nous ferions mieux d'espérer qu'elle réussisse. Cela sauverait le peuple elfique, le monde anéanti...
Quand elle regarda le démon, elle le vit faire s'abattre sa griffe sur la sorcière qui croyait que les héros allait attaquer le démon...
Elle tomba de son épaule. Et avec elle, la sphère noire. Le sang noirci teinta sa robe impériale, sa couronne roula jusqu'à la limite de la tour d'Ivoire...
- Héros de pacotille, sussura la sorcière dans sa souffrance.
Elle avait vraiment cru qu'ils allaient agir, mais non. La sphère noire menaçait de tomber de la tour, elle tomba, mais fut soudainement rattrapée par une main d'ombre et de ténèbres.
Enfin... Ombrage a ce qu'il lui fallait.
Liliana et Theo ne pouvait être que spectateur. Mais la voix de l'Oracle s'éleva soudain :
- Il faut à tout prix empêcher ce démon d'activer la ForgeMonde !
C'est ce que Ombrage commençait à faire. Quand il éleva ses bras vers le ciel, ce dernier ce déforma, se replia sur lui-même. Et les étoiles, dans une souffrance démoniaque, sont forcées de tracer de leurs corps en lumiere céleste les limites du monde. Les tracés d'une machine divine... et infernale.
La ForgeMonde était une machine infinie, tenant entres ses bras mécaniques le contenant de Fallen-Ir, prêt à être transformé.
À être transformé l'image du Diable.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro