Plénitude
Depuis l'enclot, deux cochons l'observaient. Éva chercha autour de ses pieds, et attrapa une grosse pierre qu'elle commença à enrouler d'herbe. Elle roula longtemps la boule grandissante jusqu'à obtenir tout un paquet encombrant, grimpa sur le premier barreau horizontal et lança son appât à l'opposé du passage vers l'intérieur.
Une fois les bêtes retournées et mastiquant la verdure, Éva se lança en direction du trou. Ses pieds s'enfonçaient dans un mélange humide de terre et d'excréments. Ses chaussures basses s'en remplirent vite, et ses pieds baignèrent complètement dedans.
Pour rentrer, elle dut s'accroupir et poser ses genoux et ses mains sur le fond. La petite grimaçait et retenait des haut-le-cœur.
- Allez, ce sera pas long, avance...
Mais le tunnel n'en finissait pas. Elle avançait avec une infinie lenteur entre les planches qui l'enfermaient sur le côté et au-dessus. Au loin, pas d'objectif. Seule la chaleur croissait.
Après une dizaine de minutes sans cesser de ramper, la jeune fille sentit que l'espace s'était élargi autour d'elle : ses respiration ne lui revenait pas aux oreilles comme un peu plus tôt. Elle essaya de se redresser et, en effet, elle put tenir debout. Mais où aller ?
Doucement, ses yeux commencèrent à s'habituer à l'obscurité, et un liseré de lumière apparut au fond gauche de la pièce. Elle allait se mettre en mouvement, quand un bruit l'arrêta. Qu'était-ce ? Tétanisée, elle ne bougea pas pendant une minute entière, jusqu'à entendre à nouveau le son : c'était un grognement.
Elle voulut se mettre à courir, mais une masse énorme lui rentra dans l'épaule droite et la fit atterrir à plat ventre dans la boue. L'odeur l'empêchant de rester immobile, elle se redressa sans attendre pour tenter d'atteindre la lumière au fond de la salle.
Le grognement la poursuivit, elle courut aussi vite que possible mais elle allait se faire rattraper. Elle sauta juste à temps et atterrit sur une estrade. Elle avait, à raison, cru deviner un surplomb comme il y avait chez elle pour venir nourrir les cochons.
Essoufflée, toute tremblante de peur, elle s'approcha de la lumière et passa ses doigts le long du mur. La porte était maintenue fermée par un petit verrou en fer. Elle l'attrapa, la souleva, et en ouvrant la porte la lumière fit soudain irruption. Elle observa rapidement la salle puante, puis plongea droit dans la mystérieuse maison.
En posant un premier pied sur le carrelage blanc, ce dernier glissa et Éva manqua de tomber : ses chaussures étaient encore pleines de boue. Elle se recula et les retira.
Libérée de ce tissu, elle put avancer pour de bon. Elle évita la trace puante qu'elle avait faite par terre, et suivi la courbe que faisait le couloir.
Sous ses pieds, contrastant avec la douceur de l'air, le sol froid la faisait. Des poutres peintes au sol gelé, tout était lumière blanche ici. Éva avançait, aspirant de ses yeux tous les décors que lui présentait cette étrange demeure.
Elle erra ainsi quelques minutes dans les couloir, jusqu'à arriver à une haute porte dorée où deux couloir se rejoignaient. Une musique sautillante filtrait au travers, et elle colla son oreille. Après l'avoir écoutée un moment, elle se décida à enclencher la poignée.
Elle tomba nez à nez avec une petite foule attroupée au centre de la salle. Le grincement de la porte les avertit de sa présence, et ils dévisagèrent cette petite fille boueuse, debout sur des pieds nus. Mais Éva n'en eut que faire, tant elle était émerveillée.
Un long buffet s'offrait à quiconque le souhaitait. Éva s'en approcha et commença à picorer dans les plats. D'abord une crevette enrobée d'une sauce onctueuse, puis un petit biscuit rempli de liquide rouge et sucré qui lui réchauffa le palais. Entre deux bouchées, elle leva les yeux et frémit : le plafond était aussi haut que trois fois sa maison.
La musique résonnait, rebondissait sur les murs lisses. Éva se reconcentra sur son affaire et s'oublia complètement aux plaisirs gustatifs. Elle baignait dans des goûts qu'elle n'avait jamais connu, juste assez aigres, salés, poivrés, et quelque fois tellement épicés qu'elle toussait.
Le sol froid ne la dérangeait plus, elle était en extase, complètement absorbée...
- Éva ? s'alarma quelqu'un derrière elle. Qu'est-ce que tu fais ici ?
Éva se retourna et tomba sur Alba. Son amie paraissait terrifiée.
- Je suis rentrée par le trou à cochons, rit Éva. Tu imagines pas comment j'ai...
- Mais va-t'en ! C'est moi qui vais me faire punir à cause de toi !
- On fait rien de grave, tes parents comprendront, t'inquiète pas.
Alba ne réagit pas, elle resta là à fixer sa saleté. L'autre reprit sa dégustation. Un petit verre de jus de raisin... du jambon en chiffonnade... Un claquement sec l'interrompit. En se retournant, elle aperçut le père d'Alba qui se tenait droit au-dessus de la petite fille blonde. Alba se tenait la joue en pleurant et elle partit en courant.
L'homme se retourna ensuite vers Éva, le regard dur. En contemplant la salle, elle trouva trois autres hommes placés de la même manière, formant un demi-cercle autour d'elle. Ils se mirent en mouvement tous en même temps et approchèrent dangereusement.
Acculée, la petite fille sentit son pouls accélérer.
- S'il vous plaît, je voulais juste voir ce qu'il se passait ici, je vais partir...
- Attrapez la ! cria le père d'Alba.
C'était la fin de ce rêve éveillé, et Éva saisit une dernière part de tarte qu'elle enfourna vite dans sa bouche avant que les mains puissantes ne la saisissent.
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