Shimmering Manor, samedi 15 décembre 1877
Cher cousin,
Il ne me reste que peu de temps pour écrire ces quelques mots, même s'ils ne vous atteindront jamais. Je me suis enfermée dans la chambre, une précaution vaine, car ils possèdent le double de la clef et ouvriront quand ils le voudront. J'ai poussé mes meubles devant la porte, ce qui ne les retiendra pas très longtemps, mais ils peuvent se permettre d'attendre...
Je n'ai pu me contenir davantage. Hier, je suis allée visiter lady Rafaella ; je suis restée docile et enjouée, en dépit de mon angoisse croissante et de la subtile menace qui émanait d'elle. Mais au terme de notre entrevue, alors que je m'apprêtais à sortir, je me suis rapidement tournée vers elle et j'ai arraché la voilette derrière laquelle elle se dissimulait.
C'est une horreur inimaginable que j'ai contemplée : ce visage qui aurait dû être beau, même atteint par la maladie, était couvert de taches sombres et de craquelures, comme une lèpre qui en gagnait lentement toute l'étendue. Par endroit, elles s'écaillaient, révélant en dessous... le vide, comme s'il n'y avait rien au-delà de cette couche ravagée. Des creux de néant absolu. Et ses yeux... ses yeux n'avaient aucune couleur, comme une surface réfléchissant l'ombre autour de nous, dénuée de toute vie et de toute humanité. Ils ouvraient directement sur un abysse sans fond.
Elle s'est levée, telle une automate, et s'est avancée, ses mains gantées tendues vers moi. Figée sur place par l'horreur, je n'ai pu réagir que lorsque je me suis trouvée à sa portée. J'ai poussé cette atroce créature en arrière. Comme son frère, elle ne possédait aucune substance propre. Elle s'est envolée comme une feuille flétrie par l'automne pour s'affaler contre le mur.
Elle s'est redressée aussi aisément qu'une ombre qui se déploie et a éclaté d'un rire affreux. Elle m'a dit que bientôt, très bientôt, je n'aurais plus l'heur de la juger si hideuse. Cette remarque a fait naître en moi un sentiment profond de terreur... et de confusion. Je l'ai poussée de nouveau avant de fuir la pièce, en direction de ma chambre où je me suis cloîtrée.
Ma fenêtre se trouve au deuxième étage et donne sur l'allée de gravier : il m'est impossible de sauter sans me tuer ou me blesser gravement. C'est cette dernière éventualité qui m'a retenu d'agir. J'ai eu la curiosité malsaine de contempler mon reflet dans le miroir : il n'avait plus de rapport avec l'image que je dois présenter, ma mise en désordre, mes cheveux défaits... Il arborait la robe argentée de lady Rafaella ; sa coiffure demeurait parfaitement en place et son teint s'égayait de quelques taches de couleur.
Tout autour de lui, les ombres sans substance semblaient bruire et s'affairer, tandis qu'un léger sourire étirait ces lèvres qui n'étaient déjà plus les miennes... Dans un mouvement de panique, j'ai saisi le guéridon tout proche et je l'ai envoyé dans le miroir, qui s'est brisé en une pluie d'éclats.
Ils savent que je n'ai nulle part où fuir. J'ai entendu à plusieurs reprises la poignée tourner, puis des coups ont commencé à retentir. Il ne s'écoulera sans doute plus très longtemps avant qu'ils ne mettent la main sur moi. Quelque chose me dit que j'irai bientôt rejoindre le pauvre insensé de l'aile abandonnée... Et que cette image de moi-même, qu'ils ont patiemment créée, vivra en cette demeure la vie de lady Rafaella.
Puisse le Seigneur avoir pitié de moi...
Votre cousine,
Elisand Hartley
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