RDV de l'Avent - J23 Armand
J23 Armand
Armand posa son stylo couleur amanite. Il alluma le phonographe, avant de se lever pour observer la nature blanchir dangereusement. Malgré la chaleur ambiante, un froid glacial traversa ses épines dorsales.
Peu avant il s'était entretenu avec Marie. Elle avait 20 ans, et malgré son évidente fragilité, elle devait connaître l'histoire familiale, et les responsabilités qui lui incomberaient s'il venait à disparaître.
Avant de quitter la pièce, Marie le prit dans les bras. Elle serra de toutes ses forces.
*
Les familles Berger, Mercier, d'Estaing, de Seze et de Buisson étaient amies depuis plusieurs générations. La solidité de leur affection se vérifia au moment de la révolution de 1789, où les deux premières protégèrent les avoirs des trois autres au péril de leurs vies.
À l'ère industrielle, les cinq familles s'associèrent pour créer "La Compagnie du Grand Est", et investirent dans l'exploitation minière.
C'est aussi à cette époque-là qu'un certain Nicolas disait avoir rencontré le Saint homonyme, et lui avoir promis de pérenniser son œuvre en faveur des enfants défavorisés.
Nicolas Berger commença par commander une locomotive et cinq wagons. Les premières années, chaque famille s'occupa de remplir l'un des wagons. Ils les réunissaient ensuite derrière la locomotive, et partaient faire leurs œuvres de bienfaisance de la nuit de la Saint Nicolas. Leur but était de redonner le sourire aux enfants. Au fil des années, les populations s'appauvrissaient, et Nicolas acheta plus de wagons, jusqu'à en posséder 15 à la veille de la mort.
Peu avant de quitter ce monde, Nicolas Berger confia son entreprise à un autre Nicolas. Monsieur d'Estaing était plutôt austère et ne sut développer ce que l'ami de son père avait multiplié. Au bout de 20 années de service, il laissa une entreprise moribonde à son successeur : Nicolas de Seze. Ce dernier croyait aux miracles, et fut tout ce qui était en son pouvoir pour poursuivre l'œuvre du saint Nicolas. La responsabilité du train de la mine passa ainsi de Nicolas en Nicolas jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus dans la descendance. Le dernier d'entre eux était à nouveau un Berger. Il mourut pendant la Grande Guerre sans successeur.
La plupart des hommes des cinq familles amies rentrèrent vidés en 1918. Ceux qui étaient encore de ce monde, n'avaient plus de croyances ou de rêves. Plus personne ne parlait du train de l'Avent. L'histoire était pourtant encore racontée dans certains dîners, mais elle sonnait plus comme une légende familiale.
*
Tout se révéla à nouveau un jour de fin du monde. Armand s'en souvenait encore : Clotilde portait à bout de bras le corps sans vie de Marie. Elle ne respirait plus et sa peau était devenue violacée par endroits. Monsieur de Buisson, présent à dîner, et médecin des armées, constata l'heure du décès. Pendant plus d'une heure, Madame Berger versait toutes les larmes de son corps.
À 15 heures précises, une petite main vint sécher les larmes de Madame. Et une toute petite voix dit en même temps : « Pourquoi pleurez-vous maman ? »
La surprise fut telle que Clotilde pensait être atteinte de la folie.
— J'ai soif.
Clotilde alla chercher un verre d'eau, et le donna à celle qu'elle pensait vivre dans son imaginaire. Marie remercia sa mère et but d'une traite.
— J'ai fait le plus merveilleux des rêves maman : Saint Nicolas m'a offert une nouvelle vie. Maintenant, je lui dois un train. Pourriez-vous appeler papa s'il vous plaît ?
Clotilde alla quérir son époux qui se demandait si elle n'en faisait pas tout un foin. Il la suivit pourtant.
Dans la chambre de sa fille, Armand tomba en larmes. Marie souriait !
*
Clotilde alla embrasser sa fille comme à son habitude avant de quitter la clinique. Mais cette fois-ci c'était différent : une larme vint humidifier son visage. Marie la serra fort dans les bras avant de la laisser partir rejoindre Armand. Ils devaient acheter le vingt-troisième wagon…
© Wafa Babin
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro