J18 Gatien

— Gaël ! Tout va bien ?

— Et pourquoi ça n'irait pas. Je viens de voir une morte qui m'a parlé d'une confrérie gardienne de wagons, et toi, tu as une invitée qui parle de la même chose.

— Quelle morte ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Une chose dont je sois sûr, c'est que je l'ai touchée, et qu'elle était impossible à réchauffer. Et en plus, elle était très bleue… Vous pensez que je suis fou, n'est-ce pas ?

— Gaël, s'il te plaît, donne-nous son nom…

— Elle m'a même adoubé chevalier machin chose.

Gaël se mit alors à rire. Le rire sarcastique d'un fou en manque d'inspiration. Il se sentait mal. Noëlle se leva doucement et lui prit la main droite dans sa main gauche. Elle se mit ensuite à la caresser d'un geste répété de l'autre main, exactement comme l'aurait fait sa maman en pareille situation.

Gaël se tut et fixa Noëlle reconnaissant. 

— Elle s'appelait Marie Berger. Et vous avez exactement son regard.

— Oui, on m'a toujours dit que j'avais les yeux en amande de maman.

— Gaël, laisse-moi te présenter Noëlle Berger.

Encore dans son délire, Gaël poursuivit :

— Papa, l'apparition m'a parlé d'un wagon 17 que je trouverais chez elle, et d'un autre wagon qui était le tien. Et elle m'a dit qu'elle te gardait toute sa confiance. Et en plus elle a dit que tu étais prof, mais de quoi exactement ?

— Je vous en prie les enfants, allons nous asseoir au salon. Je vais tout vous raconter.

*

— Il était une fois…

— Tu ne vas quand même pas nous la jouer conte de Noël… manque plus que le micro sur une balustrade pour que ça soit au complet.

Noëlle eut un léger rire. Gatien balaya sévèrement du regard les deux jeunes gens. 

— Poursuivons. Je tiens cette histoire de mes ancêtres, anciens mineurs de fonds, et je l'ai recoupée avec ce que Marie a pu me confier un jour d'octobre.

*

Gatien raconta l'histoire du train Désiré : « Une locomotive et 24 wagons numérotés de 1 à 24. Chaque wagon avait son chevalier-gardien, et la locomotive était gardée par le gardien suprême », avait-il terminé. Marie avait eu pour mission de faire renaître le train, et avait passé tout son temps libre à s'y employer.

— J'imagine que le gardien que vous appelez suprême était maman.

— Désolé de vous décevoir, mais non. 

— Qui est-ce papa ?

— Marie m'avait parlé d'un certain Nicolas, et avant que vous me le demandiez, ce n'est pas le Saint.

— Et pourquoi elle t'appelait le professeur ?

— Avant de venir m'installer comme meunier, j'ai été professeur de français. C'est ainsi que j'ai répondu à l'annonce de la famille Berger qui cherchait un précepteur pour leur fille. Dès le début, Marie et moi nous sommes bien entendus. Je lui ai enseigné tout ce que je connaissais, et elle m'a appris à vivre en dehors de mon couvent intérieur. Après la mort de vos grands-parents, elle est venue m'annoncer son intention de découvrir le monde, et m'a alors missionné pour l'aider dans l'œuvre de sa vie.

— Reconstituer le train de l'Avent.

— Oui, c'est bien ça Noëlle. J'ai alors été officiellement adoubé chevalier gardien, et elle m'avait donné la charge du wagon que je trouverais. 

— Et tu as trouvé le 18.

— Pas exactement, c'est plutôt lui qui m'a trouvé.

— Comment ça ?

— À l'époque, je m'étais retrouvé complètement désœuvré, sans but dans la vie. Un jour pourtant, je reçois une invitation pour découvrir un moulin à l'ancienne. Je me suis laissé subjugué par tout ce que je voyais, et la première chose que j'ai faite en rentrant était de passer à la chambre des arts et métiers pour devenir meunier. Mon diplôme en poche, je reçois une lettre de votre mère pour me féliciter, et m'inviter à voir le moulin situé sur les terres de sa famille. 

— Et le wagon alors ?

— Si tu regardes bien le mécanisme de transfert de la farine…

— Le numéro 18 ! J'en reviens pas, il a toujours été sous nos yeux, et tu n'en as jamais parlé, j'y crois pas !

— Et maman dans tout ça ?

— Marie, s'attendrit Gatien, elle est la messagère.

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