J16 Alice

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Le premier livre qu'Alice reçut dans sa vie était "Alice au Pays des Merveilles" de Lewis Carroll. Le deuxième était sa suite : "De l'Autre Côté du Miroir". Ces cadeaux qu'elle conservait précieusement provenaient de sa maman chérie, Françoise-Xavière d'Estaing. Étonnamment, personne ne donnait de diminutif à cette femme du monde : aussi loin qu'Alice s'en souvenait, tout le monde appelait sa maman par ses deux prénoms accolés.

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Alice adorait celle qui lui avait donné la vie, et surtout son prénom, sorti directement du monde des rêves. Elle naquit le premier avril 1990, à dix heures précises. Le père croyant à un poisson, ne se pressa pas pour conduire son épouse à la maternité. Après une césarienne en urgence pour souffrance foetale, on posa la plus belle enfant de la maternité dans les bras de cette maman épuisée.

Dès qu'Alice fut dans ses bras, elle rayonna de toute la beauté de la plénitude. Sa vie entière trouva un sens à cet instant précis. Et dans l'Encyclopédie de Françoise-Xavière, la seule définition répondant au mot bonheur était Alice.

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À 15 ans, Alice se retrouva orpheline de mère. Complètement vidée de tout sens, son existence même fût mise à rude épreuve. Son père faisait ce qu'il pouvait, mais arrivait difficilement à gérer son propre deuil, et laissa à la gouvernante, une certaine Lucie, le soin de s'occuper de sa fille. Rapidement, cette dernière eut l'idée de contacter une bonne amie, Marie.

En Marie, Alice trouvait le réconfort : son écoute bienveillante et sans jugement permit à cette dernière de laisser ses larmes suivre le chemin de la pesanteur. Son cœur pouvait réapprendre à vivre, mais la fusion qui existait entre la mère et la fille ne permit pas une réussite totale à l'entreprise mariale.

Peu après, cette dernière convainquit Monsieur d'Estaing de laisser sa fille la suivre à la clinique, où Alice pourrait apporter sa présence et apprendre des autres comment se donner. Jean d'Estaing reconnut en Marie l'héritière Berger, et lui confia sa fille sans rechigner : les deux familles jouissaient de liens d'amitié solides.

C'est ainsi que la jeune demoiselle passa une année en compagnie des enfants de la clinique Notre Dame. Elle y apprit à se sortir de ses blessures, et à aimer les beautés du monde, jusqu'à en aimer un de ses membres en particulier : Corentin, l'apprenti en cuisine lui plaisait alors particulièrement, et c'était réciproque.

L'amour qu'elle partageait avec Corentin devenait le centre de son existence, et la fusion qui les unissait à ce moment-là permit à Alice de faire le deuil de son premier grand amour.

Le père ne voyant pas les choses de la même façon retira sa fille de la clinique, et lui interdit de fréquenter ce garçon dont les origines étaient incertaines.

Corentin ne se laissa pas abattre. Il partit faire le tour du monde des compagnons et revint frapper à la porte de l'homme d'affaires. Ce dernier le conduisit dans la cour arrière de la résidence.

— Vous voyez l'élément central de notre jardin.

— Oui Monsieur, c'est un wagon, Alice m'en avait déjà parlé.

— Ce n'est pas n'importe quel wagon.

— Pardon.

— Avoir un des wagons de Saint Nicolas est un grand honneur. Le mien porte le numéro 16, et j'en suis le gardien de père en fils.

— Que cherchez-vous à me faire comprendre ?

— Que seuls les gardiens sont admis dans notre cercle familial.

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Quelques années passèrent, mais Corentin n'arrivait pas à oublier Alice. Entre temps, après avoir fini ses études, cette dernière postula pour une place d'éducatrice spécialisée à la clinique. Sa nouvelle proximité avec Marie lui permit de lui ouvrir le cœur.

Marie sourit à l'histoire des gardiens et promit de tout arranger. Elle partit à la rencontre du père d'Estaing qu'elle trouva avec des béquilles. Il avait glissé sur une peau d'arachides, et avait dû être plâtré.

Quelques jours plus tard, un nouveau gardien fût nommé. On lui attribua le numéro 12, et on l'installa à Sixt-fer-à-Cheval.

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