RDV de l'Avent - J13 Lucie
J13 Lucie
Lucie portait le poids des années. Son existence a été jalonnée de multiples vies : elle changeait de métier comme d'autres changeaient de chemise. Les contrariétés pouvaient lui apporter beaucoup de souffrances, et Lucie n'arrivait pas à les affronter. Elle en était paralysée. Pour rebondir, elle devait ouvrir une page vierge, et changer carrément de vie.
Sa route croisa celle de Marie un jour d'octobre. Lucie travaillait alors à l'entretien du cimetière d'une petite ville de la périphérie lyonnaise. Cette dame d'une petite cinquantaine d'années voyait une jeune femme s'installer sur un banc, un livre à la main, et lire à voix haute. Plusieurs jours de suite, elle l'observait faire, sans rien comprendre. Un jour, la curiosité la poussa à s'en approcher, et s'asseoir sur le même banc.
Marie ne réagissait pas, et continuait sa lecture. Quelques jours plus tard, alors que Marie venait de finir un livre qui parlait d'une quête spirituelle, Lucie l'interrompit :
— J'aime beaucoup vos histoires.
Marie lui sourit, mais ne sut quoi répondre. Lucie ne s'en offusqua pas.
— Avec les températures qui chutent, vous devriez mieux vous couvrir. Ils annoncent même de la neige.
Marie remercia d'un signe de la tête mais ne répondit toujours rien.
Après un lourd silence, Lucie reprit :
— Vous savez, si je n'avais pas été témoin de vos lectures, je penserais qu'il vous manque la parole.
— Des fois j'aimerais seulement disparaître.
— C'est pas d'un cimetière dont vous avez besoin, mais d'un psy, mademoiselle.
Marie eut un petit rire qui fit sourire son interlocutrice.
— J'ai passé toute ma vie dans les hôpitaux, et aujourd'hui que je suis libre, je suis pour ainsi dire paralysée par les choix qui s'offrent à moi.
— Vous ne savez pas quoi choisir. Vous pouvez aussi faire comme moi.
— C'est-à-dire ?
— Un jour psychiatre, un autre bibliothécaire, femme de ménage, infirmière, comptable, agent communal, aide aux devoirs, et bien d'autres encore.
— Et dame de compagnie ?
— Non, jamais fait…
— Je m'appelle Marie Berger, et je ne souhaite pas vivre seule. Je vous demande si vous acceptez d'être ma dame de compagnie.
Lucie observa Marie quelques instants. Son ancienne vie en psychiatrie lui avait appris à se méfier des gens, et elle ne comprenait pas le pourquoi de la demande. Marie remarqua la perplexité de celle qui partageait son banc et décida de lui ouvrir son cœur.
— Je suis ce qu'on pourrait appeler une enfant miraculée : je suis née en 72 avec plusieurs malformations. Selon les médecins, j'avais peu de chances de survivre. Père avait insisté pour qu'on ne baisse pas les bras. Toute mon enfance s'était passée entre hospitalisations et interventions. À sept ans, on annonça à mes parents que mes artères étaient très fragiles, et que le moindre choc pouvait les rompre. Moi qui espérais tant être enfin libérée, je me suis retrouvée enfermée comme Raiponce dans sa tour.
— Depuis, vous avez réussi à vous enfuir…
— Pas exactement, même s'il y a un peu de vrai dans ce que vous dites : mes parents sont décédés l'an dernier, à la Toussaint. Ils s'étaient retrouvés dans l'angle mort d'un camion, et le chauffeur n'avait rien pu y faire.
— Je suis désolée.
— Et moi donc.
— Et pourquoi moi ?
— Parce que je vous ai observée, et que vous respectez aussi bien les vivants que les morts.
— Vous avez beaucoup d'argent, et vous cherchez à en profiter en somme…
— Il y a un peu de ça, mais pas que : j'aimerais reconstituer le train de Saint Nicolas pour donner de l'espoir aux gens qui souffrent.
— Je ne connais pas votre train, mais un petit wagon de mine est à vendre pas loin du cimetière.
*
Noëlle et Lili descendirent de la voiture, et allèrent frapper à la porte d'une maison de la périphérie lyonnaise. Lucie ouvrit la porte, et prit Noëlle dans les bras. Les deux femmes avaient beaucoup de choses à se raconter.
Après l'arrivée des messieurs, Lucie leur montra ce qu'ils étaient venus voir : le wagon rouge et vert du père Noël. Il portait le numéro 13.
© WafaBabin
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