J20 Théophile

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Théo comme tous ses amis le surnommaient était le barman le plus apprécié de la côte basque. À Hendaye, où il tenait un restaurant-bar cubain, il préparait les meilleurs cocktails du monde. Son secret, qui n'en était pas un, en réalité, était d'utiliser les meilleurs produits disponibles. Les jus de fruits, par exemple, étaient extraits, grâce à une centrifugeuse professionnelle, de fruits cueillis à maturité. Les alcools provenaient des meilleures exploitations familiales, et des meilleures distilleries. Et pour finir, son sucre de canne était authentique. Pour conclure, Théophile était aussi fier de tenir ce bar, qu'avant lui, son grand-père, immigré cubain, avait construit de ses propres mains. Ce dernier, un grand chef de son temps, souhaitait offrir la meilleure qualité dans son établissement. Pendant qu'il était aux fourneaux, son épouse tenait la salle. 

Ce que Théo aimait le plus était d'avoir le temps de surfer entre deux services. D'ailleurs tutoyer les vagues restait sa plus grande passion. Un jour pourtant il abandonna tout, et partit pour le Grand Est. Il avait suffi d'une simple annonce : « cherche gardien maître chien. » 

Théophile fit sa valise. Il n'y mit que le strict nécessaire, et partit sans réellement savoir où il allait. Il avait un numéro, et un prénom : Marie. 

C'est bizarre, mais quand il repensait à leur conversation, il n'arrivait toujours pas à comprendre pourquoi il avait dit "oui". Marie, comme elle se présenta à lui, était à la recherche d'un gardien pour son domaine abandonné. Ce gardien devrait s'occuper d'un chien tout particulier, qui lui-même serait gardien… et tous deux seraient gardiens de wagons d'un même train. Tout ça semblait tellement irréel que Théo n'hésita pas un instant.

« Descendre du train à Épinal, aller à la SPA de Brouvelieures, demander à voir Urbain, et l'adopter. » étaient les consignes qu'il se répétait pour ne rien oublier… « Ah oui, et attendre le vétérinaire Marc qui me conduirait vers ma destinée. » 

Théophile n'avait rien oublié et tout se passa comme prévu. Urbain était le chiot le plus éveillé qu'il n'avait jamais rencontré. Aussitôt qu'il le prit dans les bras, le miracle opéra. Ils étaient devenus inséparables. 

Marc était bien présent à l'heure dite. La petite cinquantaine, le véto n'avait pas beaucoup de conversation. Il prit tout de même le temps de prodiguer quelques conseils au nouvel adoptant. Ce dernier nota tout pour être sûr de ne rien oublier des soins à apporter à Urbain qui sautillait dans la voiture.

Devant le domaine, Marc descendit dire bonjour à un type chétif qu'il présenta comme le jardinier Pierre Fourier. 

— Ne vous fiez pas à son apparence, ce type peut vous fracasser plusieurs côtes s'il le décide.

— J'essaierai de me souvenir de ne pas lui chercher de noises.

Théo tendit la main droite, et Pierre la serra, avant de lui faire faire le tour du  propriétaire.

Le domaine était grand, et Urbain pu se dégourdir les pattes. Pierre montra notamment à Théo et à Urbain ce qu'il y avait de plus important à surveiller : le hangar à wagons. Deux d'entre eux n'avaient pas encore été restaurés : le 19 et le 20.

Pierre se retourna soudainement et observa Théo assez longuement avant de reprendre :

— Que savez-vous d'autre ?

— Que je travaille pour Marie, et je ne sais pas si je la verrai un jour.

— La cérémonie d'adoubement est dans quelques jours, elle sera là. En attendant, il va falloir nettoyer, peindre et faire briller le 19 et le 20. Ils sont tous deux sous votre responsabilité.

© WafaBabin