Chapitre 20
« Jimin, s'il te plaît... dis quelque chose, » le supplia Jin.
Il tapota l'épaule de son filleul qui se trouvait dos à lui, mais cela n'eut aucun effet. Les secondes s'écoulèrent de façon angoissante : tout était sombre autour d'eux, Jin ignorait où ils se trouvaient et pourquoi, or quand Jimin se retourna, il sentit sa respiration se couper et des larmes lui brûler les yeux. Il lui semblait si maléfique...
« Alors, dit-il d'une voix moqueuse qui n'était pas la sienne, tu dis plus rien ? De toute façon tu ne dis jamais rien, hein ? »
Le cœur de Seokjin bondit contre ses côtes, c'était si douloureux.
« Eh, je te parle. »
Ce ton sec et tranchant, ce visage déformé par la malveillance... ça ne ressemblait pas à Jimin. Ce n'était pas Jimin. Le garçon lui donna brutalement un coup de poing en plein visage. Jin sentit la douleur se faire mordante au niveau de sa pommette, pourtant il restait muet, incapable de faire ne serait-ce qu'un mouvement. Il était paralysé ; ce n'était pourtant pas faute de vouloir fuir le plus loin possible.
« Jiminie...
- Tu fais pitié, j'suis sûr que t'es une petite tapette, se moqua encore Jimin avec un sourire carnassier. C'est pour ça que tu me regardes tout le temps ? T'as cru que je t'avais pas vu ?
- Qu'est-ce que tu racontes ? »
Le visage de son filleul sembla se métamorphoser pour prendre les traits hideux d'un monstre : une bouche encerclée de lèvres noires, des dents tranchantes, une langue fendue en son centre, des yeux ronds effrayants. L'être paraissait démoniaque, tout droit sorti des enfers.
Il ne prononça pas un mot, mais son rire guttural fit trembler les murs de la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Jin, des larmes roulant sur ses joues, ne fut pas en mesure de détourner le regard, comme ensorcelé par cet être maléfique qui le contrôlait. Il avait d'après son rire une voix rauque, probablement tonitruante, et foncièrement glaçante.
Ses craintes se renforcèrent lorsque la créature prit la parole :
« Que feras-tu maintenant que tu es seul ? tonna-t-il. Tu n'es rien et tu n'as rien ! »
La gorge de Jin le brûlait douloureusement, l'empêchant de prononcer le moindre mot. Il était incapable de répliquer, incapable de se dresser face à ce monstre, celui-là même qui le rendait muet, celui-là même qui l'obligeait à rester figé lorsqu'il se sentait intimidé. Ce monstre-là même qui l'empêchait de surmonter sa timidité.
Un coup d'une rare violence fut de nouveau porté à Jin, qui crut sentir sa mâchoire craquer. Aussitôt ce qui l'entourait fut plus sombre encore, et la seule lumière de la pièce provenait désormais du monstre qui prenait une ampleur phénoménale et glaçante. Jin se sentait minuscule, complètement vulnérable et à la merci de l'être effrayant qui se tenait devant lui et présentait ce sourire féroce qui semblait prédire pour lui les pires atrocités.
Jin voulait l'implorer, mais sa voix demeurait bloquée au fond de sa gorge, son seul moyen d'expression étaient ses larmes qui coulaient en abondance sur ses joues de porcelaine. Le jeune garçon toisait avec horreur le monstre qui grandissait sans cesse devant lui, infernal.
Il était incapable de parler.
Le monstre tendit la main vers lui, comme s'il était prêt à se saisir de son âme et la lui dévorer. Aussitôt le corps de Jin se figea complètement, sembla se vider de son énergie vitale, et il crut que sa température corporelle avait fait une chute vertigineuse. Il se sentait comme une statue de pierre.
« Jimin ! »
Ce fut ce cri de détresse qu'il parvint à pousser tandis qu'il fermait les yeux et se recroquevillait sur lui-même, accroupi, terrifié devant ce monstre. Il éclata en sanglots et, sentant que la température paraissait avoir remonté, il ouvrit ses yeux gorgés de chaudes larmes.
Il était dans son lit.
C'était un cauchemar.
Pourtant tout lui était revenu en tête : ces gamins qui s'étaient moqués de lui quand il était petit, sa terreur, son incapacité à agir, sa timidité presque maladive à l'époque qu'il tentait encore aujourd'hui de surmonter. Ses larmes coulaient encore en abondance, refusant de cesser. C'était compulsif, il ne parvenait plus à s'arrêter, c'était plus fort que lui, tous ces moments dont il se souvenait désormais, il avait espéré les avoir mis dans un recoin protégé de son subconscient, là où plus jamais il n'y serait confronté. Il avait espéré oublier cette période, se focaliser sur le futur, mais ce cauchemar l'obligeait à faire face à ce douloureux passé qu'il n'avait jamais réellement réussi à surmonter.
Le souffle court à force de sanglots, Jin attrapa son portable. Il était quatre heures du matin.
Peu importait, il trouva le contact de Jimin dans son répertoire et l'appela. Il avait besoin de l'entendre. Même si c'était à un Jimin froid qu'il avait affaire, il était prêt : être seul le terrorisait, et sa sœur éteignait toujours son portable pour dormir. Pas Jimin.
Les sonneries se succédèrent de longues secondes durant, jusqu'à ce qu'une voix fatiguée se fasse entendre à l'autre bout du fil. Seokjin tenta de calmer ses sanglots, et Jimin fut le premier à parler.
« Hum ? C'est qui ?
- J-Jimin, j-je... j-je suis désolé...
- Hyung ? C'est toi ? s'étonna la voix de son cadet. Je... je m'attendais pas à ce que tu m'appelles. Ta voix tremble, tout va bien ? »
Ce fut à cet instant précis que Jin craqua et laissa ses larmes silencieuses s'exprimer. Les sanglots le reprirent et il fut incapable de prononcer le moindre mot.
« Hyung, tu pleures ? C'est à cause de moi ? J-Je suis désolé, s'excusa aussitôt Jimin. Je voulais vraiment pas te vexer mais... c'est juste que ça m'a fait bizarre de savoir que t'aimais les mecs. Je savais juste pas comment réagir, je suis désolé. Je... Laisse tomber, on peut s'expliquer chez toi ? On peut se voir ? »
Seokjin approuva d'un seul mot et Jimin indiqua qu'il allait raccrocher et se dépêcher. Son parrain n'eut même pas le temps d'opiner que déjà l'appel s'achevait. La nervosité se mêlait désormais à la peur dans le cœur de Jin qui se sentait néanmoins plus léger d'avoir entendu les excuses de Jimin. Il n'aurait en temps normal jamais eu le cran de le contacter, ça le terrifiait beaucoup trop, il était bien trop timide. Mais cette fois-ci, il n'avait pas réfléchi, il avait eu besoin de l'entendre.
Comme pour s'assurer que le monstre de son cauchemar avait bel et bien disparu.
Les larmes ne cessèrent de couler qu'une vingtaine de minutes plus tard, juste après quoi Jimin frappa doucement à sa porte, de peur de le réveiller s'il s'était rendormi. Jin alla ouvrir et aussitôt il dut réceptionner son cadet qui se jetait dans ses bras pour l'enlacer.
« Je suis désolé, je suis désolé, répétait Jimin, je voulais pas... »
Et tandis qu'il posait le front contre l'épaule de son cadet, consolé par son étreinte, Seokjin lui proposa d'aller s'asseoir. Alors Jimin acquiesça, mit un terme à son geste tendre et alla s'installer sur le canapé. Il essayait de paraître naturel mais était crispé. Il ne voulait pas avoir cette confrontation avec Seokjin, or il savait qu'il devait nécessairement en passer par là. Il s'en voulait énormément, il avait besoin de s'expliquer.
Seokjin attrapa rapidement un mouchoir pour effacer les dernières traces de ses larmes, et il rejoignit son filleul. Ce dernier hésita un bref instant avant de finalement prendre la parole, l'air gêné :
« Je suis désolé d'avoir mal réagi, dit-il, mais j'ai grandi en apprenant que c'était mal d'aimer un être du même sexe, alors ça m'a fait un choc. Et puis... j'avais peur que tu me regardes différemment : pas comme un simple ami, mais comme un garçon avec qui tu voudrais sortir, et je savais pas quoi faire. Alors j'ai paniqué et j'ai préféré partir. Mais... j'ai eu le temps de réfléchir : je t'apprécie énormément, et c'est pas le fait qu'un jour tu sois potentiellement avec un mec qui va changer quoi que ce soit à ça. Le souci, c'est qu'une fois que je m'en suis rendu compte, le mal avait été fait, et j'avais trop honte de moi pour venir te parler. Je t'avais fait du mal et j'avais peur que ce soit toi qui me rejettes si je venais m'excuser.
- Je vois, opina Jin touché d'apprendre que son ami avait remis ses principes en question pour lui. Mais je ne t'aurais jamais rejeté : je peux comprendre, avec la mentalité de notre société, que ça soit mal accepté et... l'important c'est que tu t'excuses, pas que tu aies mal réagi. Et je... enfin, j-je suis désolé d'être tombé amoureux de toi, mais je pouvais pas contrôler ça. »
Jimin rougit brutalement et baissa la tête sans savoir quoi répondre. Il semblait plus embarrassé encore qu'au début de la conversation. Seokjin reprit donc aussitôt :
« Mais j'ai bien compris que tu n'étais pas attiré par les garçons, je n'attends rien de toi, je voudrais simplement qu'on redevienne amis. Mes sentiments s'estomperont rapidement, ne t'inquiète pas.
- Je suis désolé, vraiment, soupira Jimin, mais c'est... j'imagine que tu peux admettre que ce soit un peu gênant pour moi. Flatteur, mais gênant.
- Alors... tu ne veux plus me parler ?
- Si, bien sûr que si ! répliqua aussitôt son filleul en agitant d'un air gêné ses mains devant son visage. Juste... je vais m'y faire rapidement, vraiment j'ai rien contre toi mais... c'est gênant d'apprendre que tu m'aimes. »
Le pourpre de ses joues et son ton presque enfantin firent sourire Jin qui lâcha un rire attendri, heureux d'avoir retrouvé son ami à défaut d'avoir trouvé l'amour.
« Je suis heureux que tu te sentes mieux, affirma Jimin malgré son air toujours embarrassé. Encore désolé.
- C'était pas de ta faute, soupira son ami d'un air soudainement plus sombre. J'ai... j'ai toujours été timide et quand j'étais plus jeune, un petit groupe de ma classe m'a harcelé pendant quelques semaines. Rien de vraiment horrible, simplement des moqueries. J'ai changé d'école rapidement, dès que j'en ai parlé à mes parents. Mais le mal était déjà fait : même si ce n'était que des mots, ça m'a vivement marqué. J'ai toujours été effrayé à l'idée que ça recommence, puis peu à peu j'ai fini par oublier, c'était mieux ainsi. Mais cette nuit... c'était juste un cauchemar, mais c'était si...
- Je comprends, acquiesça Jimin d'un air penaud alors que Jin était incapable de terminer sa phrase. Je suis désolé alors, t'as eu le courage de m'avouer ton homosexualité, et tout ce que j'ai trouvé à faire, c'était de fuir...
- C'est rien, c'est oublié. »
Son filleul leva sur lui un regard reconnaissant et hocha lentement la tête, se promettant silencieusement de trouver un moyen pour se faire pardonner.
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Explication du cauchemar de Jin : le dialogue est un dialogue qu'il entendait venant de ceux qui ont pu le critiquer pour sa timidité dans le passé. Jimin devient un monstre pour symboliser le fait que désormais Jin le craint. Ce monstre a des crocs, ça le déshumanise complètement. Sa langue est fendue, comme celle des serpents : c'est l'illustration de la langue de vipère, celui qui dit du mal sans raison. Ses yeux sont grands pour mieux cerner les défauts et pouvoir les critiquer.
Dès la transformation de Jimin en monstre, Jin devient muet : face à sa timidité, il ne peut rien faire, il est incapable d'oser parler, alors il ne dit rien.
Jin prend un coup dans la mâchoire, ça symbolise son incapacité à parler. Aussitôt tout devient noir autour de lui : sa timidité le coupe de tout, il se retrouve seul avec lui-même, avec ce monstre violent qui le harcèle, qui représente aussi bien sa timidité que ses peurs. Il est le seul être à produire de la lumière, mais une lumière désagréable, aveuglante. Jin se sent tout petit, tout simplement parce que ce monstre lui rappelle sa jeunesse, ces moments douloureux qu'il voulait oublier.
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