Le lendemain, comme prévu, le petit garçon sortit dehors. Les rayons du soleil s'infiltraient dans le Bois d'Épique, se mélangeant à la fraîche rosée du matin. C'est sous un arc-en-ciel qu'il trouva son chameau, le même que celui qu'il avait dû rapporter à son ami le commerçant. Il était attaché par une corde, et portait sur son dos, en plus de ses deux bosses, les provisions dont il aurait besoin pour le voyage. Le petit garçon s'avança, prêt à monter sur le chameau, les yeux en larmes. Ce dernier était dressé : il se baissa, reconnaissant son maître.

Le petit garçon n'avait pas la moindre idée d'où il devait aller. Il pensait au commerçant, admirait sa gentillesse. Alors que le chameau marchait de sa démarche lente et gracieuse, à travers le bois, il sortit la carte qu'il lui avait confié tout en la déroulant. Il l'examina. Le Bois d'Épique était immense, comparé aux deux autres royaumes. Le petit garçon était plus proche de son royaume que du Royaume de Cœur, et n'était même pas arrivé aux deux tiers du chemin qu'il lui fallait parcourir. Un cercle tracé au rouge attira l'attention du garçon : c'était là bas que le commerçant comptait se rendre. Il avait trouvé la prochaine étape du parcours. 

Plus le petit garçon avançait, plus il se demandait ce que signifiait ce long segment entouré au rouge. Un pont ? Une route ? Il n'en avait pas la moindre idée. Pour l'instant, il devait seulement continuer. Droit devant.

Pourtant, ce n'est pas ce que le chameau choisit de faire. Il suivit son instinct, malgré les protestations du garçon. Se détournant de la route, un amas de graviers dessiné par les hommes, il s'éloignait du Village Perché... non pas au nord, vers la destination prévue, mais vers l'est.  Plus il avançait, plus la jungle se faisait étouffante, plus l'obscurité voilait la vue du garçon. 

Des bruits se firent entendre. Le froid se faisait de plus en plus sentir. Il devait faire nuit, mais cela ne changeait rien : le noir, ici, était de nuit comme de jour. Le petit garçon commença à avoir peur. Pas son chameau, visiblement. L'animal continua d'avancer, jusqu'à un endroit assez plat pour qu'il puisse s'y poser. Il ferma les yeux. Le petit garçon ne put faire de même.

L'endroit où il avait été amené de force n'était guère chaleureux. Surtout lorsque des ombres surgirent de nulle part. Un, deux, trois, quatre, cinq, six.. Six ombres. Le petit garçon, paniqué, tenta de réveiller le chameau, rien n'y fait : il était bel et bien endormi, insensible à l'émoi de son maître. Ce dernier sauta, courut, mais les ombres le rattrapaient. 

Il grimpa sur un arbre, sautant d'arbres en arbres. Une plante grimpante s'était emprise de son pied, le faisant voltiger brutalement. Il resta agrippé en l'air pendant une bonne minute, se balançant, tentant de se défaire des nœuds de la plante fermement enroulée autour de lui. Grâce à son couteau, il s'en débarrassa, tombant  sauvagement à terre. Il courut, la jambe blessée. Un rat sortit de nulle part, lui arrachant un cri de surprise. Les ombres l'avaient repéré.

Il courut, sautant dans une eau marécageuse par mégarde, soulevant un nuage d'insecte qui le tourmentaient. Il nagea jusqu'à la rive. Se relevant, trempé, il marcha sur ses lacets défaits, s'écrasant la face dans une boue douteuse. Il se releva, courut de plus belle, une branche lui barra la route, et il s'affala à nouveau. Devant lui, un mur. Devant lui, une impasse.

Alors, il se dit que c'était la fin. Il s'adossa contre le mur, assis, la tête entre les mains, fermant les yeux, s'attendant au pire. Les ombres l'encerclèrent, et une main se posa sur son épaule...