Mesdames, Messieurs, cessez immédiatement de paniquer. Il n'est pas dans mes habitudes de prendre la parole sur des sujets aussi fédérateurs que peut l'être Noël, et je vous prie de croire que mes intentions sont tout à fait louables. Aussi je vous demanderai de me lire attentivement et jusqu'à la dernière ligne, car mes idées, bien qu'ambitieuses, ont pour vocation de rendre le monde meilleur, je vous le promets.

S'attaquer au père Noël, dans notre culture, c'est comme s'attaquer à Victor Hugo ou Marie Curie ; la première réaction de chacun sera le rejet et le dédain. Mais prenons le temps de voir plus loin que nos instincts primaires. Interrogeons-nous, questionnons-nous : que nous apporte le père Noël ? Qui est cette figure joufflue et barbue qui apporte des cadeaux aux enfants ?

C'est une figure qui tire sa source de cultes païens, qui fut reprise sous la forme de Saint-Nicolas par le christianisme, et qui fut ensuite popularisée au milieu du 19e siècle aux États-Unis, d'abord, puis dans le monde entier. Et je n'ai aucun problème avec ça. Certains d'entre vous pensent peut-être que je n'aime pas Noël, ou les cadeaux, voire même que je déteste les rennes. C'est entièrement faux. Ce qui me trouble, c'est l'utilisation infantilisante et mercantile d'une image innocente dans une période où la priorité de chacun devrait être la générosité et le partage.

Le père Noël est fondamentalement bon, gentil, il donne des cadeaux aux gens du monde entier et il est toujours souriant. Mais est-ce la réalité ? Non. Le père Noël n'existe pas. C'est un symbole, un symbole qui est là pour nous rappeler, à nous directement, que la bonté et la générosité sont des vertus. C'est une image qui dit que, plus que jamais quand la neige recouvre les trottoirs et les masures, nous devons tendre la main vers notre prochain, et l'inviter à notre table. L'esprit de Noël est quelque chose de merveilleux. C'est un message de paix et d'amour qui transcende les générations et qui en appelle à ce qu'il y a de meilleur en chacun de nous. Au fond, durant les fêtes, nous devrions tous être des pères Noël.

Alors, je vous le demande, comment pouvons-nous accepter que ce médium aussi fondamentalement bien intentionné soit utilisé pour vendre du Coca-Cola, des jouets Toys'R'Us ou des lunettes Afflelou ? À quel moment avons-nous cessé de nous offusquer qu'une figure mythique de notre enfance soit utilisée pour nous inciter à consommer toujours plus ? À quel moment avons-nous vendu l'innocence de nos enfants à la publicité ?

Mais le mal est fait. Aujourd'hui la marque "Père Noël" pèse des milliards de dollars et apporte du travail à des milliers d'enfants pauvres de pays d'Asie. Le mal est à la racine, et il est désormais impossible de voir dans cette bouille joufflue et mignonne autre chose qu'un influenceur visant à promouvoir marques et produits au plus grand nombre. Il n'est plus possible de se voiler la face, nos enfants, les seuls qui croient encore au père Noël sont aussi les premiers visés par la publicité. Le message positif est dilué, pollué même, par leurs slogans et leurs promotions spécial-fêtes.

Mesdames, Messieurs, je n'ai rien contre Noël. Mais je déteste voir un enfant réclamer un jouet parce qu'il a vu le père Noël le lui vendre à la télévision. Je voudrais vous faire comprendre que, si l'esprit de Noël a encore un sens à vos yeux, c'est par la démystification du père Noël qu'il se répandra. Vos enfants sont tout à fait capables de comprendre que la générosité et la gentillesse viennent d'eux-mêmes autant que les cadeaux viennent de leurs parents. Je dirai même plus : ils en ont besoin.

Plus tôt ils comprendront que le père Noël est une icône, plus les notions de partage et de famille auront de sens à leurs yeux. Faites en sorte que ces notions soient gravées en nos enfants, qu'ils ne se laissent pas prendre au jeu des grandes marques. Faites-les se méfier de ceux qui se servent d'un message aussi positif à des fins nocives et dites-leur que « le père Noël est la représentation d'un idéal : celui qui dit que tout le monde devrait avoir le droit au bonheur, au moins durant la plus froide des nuits d'hiver ».

Aujourd'hui je ne m'élève pas contre le père Noël. Je me contente de plaider pour qu'on commence à éduquer nos enfants plutôt que de laisser la télévision le faire pour nous. Quelles que soient votre religion, vos croyances personnelles, vos opinions politiques ou votre manière de célébrer les fêtes, je vous demande de réfléchir : le père Noël apprécierait-il que son message soit détourné par le marketing de masse ?

Personnellement, j'ai déjà choisi. Je préfère voir mes enfants offrir des cadeaux plutôt qu'acheter des jouets. Et je préfère qu'ils pensent au père Noël avec objectivité et bienveillance plutôt que de l'imaginer avec une canette de soda et un Happy Meal à la main.

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