Effarée, ne sachant que faire devant la scène qui s'offrait à moi, je détachai finalement mon regard du vieux Roi pour le reporter sur Aïru ; il agonisait toujours à quelques mètres de là, noyé dans son propre sang.

Je rampai jusqu'à ce dernier, plus minable et plus terrorisée que jamais. Alors Kenfu n'était pas le seul a contenir un monstre ? Cette pensée me donna des frissons. Un tel être dormait-il également en moi, à cet instant ?

Je me redressai aux côtés d'Aïru, penchée pour capter sa faible respiration.

-S'il vous plaît... murmurai-je en le secouant légèrement, ne sachant que faire.

Il tourna des yeux noyés de larmes dans ma direction. Les explosions résonnaient toujours à nos tympans, les nôtres se battaient toujours sur les côtés et pourtant nous étions là, à sangloter, presque immobiles.

-Votre fils ne me le pardonnera jamais si je vous laisse mourir là, finis-je par sangloter tout en lui serrant étroitement la main.

Il esquissa un faible sourire triste :

-Kenfu me déteste...

J'écarquillai les yeux :

-Kenfu ne vous déteste pas !

Mais il hocha la tête en réponse simple, reportant son regard sur le ciel de nacre, orageux. Je portai quant à moi des yeux humides vers l'éclat d'acier planté sur le coeur du père de Kenfu. Je m'accrochai à ce dernier comme à une bouée, refusant de le lâcher. Au coeur de ses combats intensifs qui faisaient rage tout autour, il était le seul qui m'avait rassuré. Le seul qui n'avait pas lâché un monstre de ses entrailles enragées ou dégainé une flèche dans ma direction.

Mes larmes s'écrasèrent sur son uniforme de général de guerre, aussi lourdes que des pierres. Pourquoi tous devaient-ils mourir ? Les yeux exorbités, je pensais soudain à l'instant où je devrais annoncer à Kenfu que son père était mort par ma faute.

Je relevai les yeux vers le champ de bataille, horrifiée, le cherchant rapidement du regard. Je repérai le soudain un peu plus loin ; enfourchant un Changer de son épée, il poussa un cri de guerre lorsqu'un autre lui bondit dessus. Couvert de sang, je voyais néanmoins même de là où je me trouvais ses yeux émeraude briller d'une étincelle de rage animer chacun de ses gestes. Soudain jaillit à ses côtés Thiflea, déterminée à achever chacun de ses ennemis.

Même si la jalousie me serrait le coeur, il me fallait prévenir Kenfu de l'agonie de son père. J'hurlai alors son nom, m'époumonais à travers la fumée âcre qui me brûlait la gorge et les poumons. Les larmes amères roulaient sur mes joues et ma poitrine comprimée se secouait de spasmes sous la douleur.

Lorsque la force d'hurler me manqua, je vis ses yeux luire dans le nuage de cendre et se tourner dans ma direction ; ils s'écarquillèrent et l'instant d'après il détalait dans ma direction, horrifié.