Chapitre 44 : Rêve ou réalité ?! (Corrigé)
Une opaque noirceur, voilà tout ce qu'il demeurait de mon monde. Quelques fois, la lumière perçait l'obscurité, et je percevais de légers gémissements de douleur. Je ne connaissais plus mon nom, même pourquoi j'existai. Simplement le contraste se jouait de mes questions, sans durer suffisamment longtemps pour que j'y décerne le moindre sens.
Et l'attente fut longue. L'obscurité s'installa, emporta avec elle l'ensemble de ses affaires et mena sa vie comme si elle prévoyait de rester pour l'éternité. Chose à laquelle je n'adhérai absolument pas. Je n'aimais pas cette vision sombre et floue que l'on m'imposait jour comme de nuit ; lesquels je ne savais d'ailleurs plus différencier.
J'émis soudain un léger hoquet sous la surprise ; le soleil venait de se lever, brandissant de pâles couleurs immaculées à son horizon.
-Kenfu ? souffla une voix à mon oreille. Tu m'entends ?
Kenfu. Voilà quel était mon nom. Avec lui, les souvenirs déferlèrent, emportant dans sa vague la tranquillité de l'obscurité. L'opération. La bataille. La bombe.
J'ouvris la bouche, nauséeux, et constatai qu'elle était aussi sèche qu'un désert d'Amazona. Même si ma soif semblait étanchée, je voulais savourer sur ma langue la douce sensation de l'eau. Celle qui revigore et apaise les esprits embrumés. L'alléchante image de tartines au miel m'apparu ensuite, renforçant ce puissant sentiment de manque.
-Foi, parvins-je à articuler, alors que mes paupières refusaient toujours de s'ouvrir.
-Foi ? répéta la voix, amusée. Tu pries Akala, toi maint'nant ?
Un sourire gorgé de larmes tenta de se hisser sur mon visage, sans grand succès. C'était la voix de Jeane.
-Pourquoi, tu pensais qu'il croyait pas ? pouffa un autre, que j'identifiai instantanément comme étant George.
Je concentrai toutes mes forces pour ouvrir les paupières, en vain. Je voulais voir leur visage, leur sourire, m'assurer de leur état.
-Soi, répétai-je en tirant sur ma langue.
Qu'il était frustrant d'être ainsi infirme ! Bouger m'étais pratiquement impossible, et parler relevai un défi colossal. Ma mâchoire pendait, mes dents me tiraillaient et tous mes muscles hurlaient de fatigue. Une syllabe et j'étais déjà hors d'haleine.
-Alors là j'comprends que dalle, s'esclaffa Jeane.
-Peut-être qu'il rêve, murmura George, pensif.
Sans même pouvoir distinguer leur visage, je devinai sans mal leur expression. Leurs traits déformés par la concentration, les petits yeux du jeune homme plissés pour tenter de séparer mes lettres pour les comprendre. Le sourire difficilement retenu de notre amie, qui se donnait toutes les peines du monde pour ne pas trouver une blague sur mon état.
-Kaï a dit qu'il pouvait pas rêver, le contredit-elle. T'as oublié ?
-Non, mais Kaï n'a pas réponse à tout.
Cette fois-ci, mes muscles trouvèrent d'eux mêmes la force d'accrocher un sourire sur mes joues. Ils réagirent aussitôt à ce geste subtil et j'entendis George se lever d'un bon :
-Il a sourit !
-J'ai vu ! s'exclama Jeane. J'ai vu, j'ai vu !
Elle poussa un cri de joie.
-Tu crois qu'il nous entend ? enchaîna le grand blond, en extase devant ce simple sourire.
-O..., tentai-je, contractant mon diaphragme pour sortir un mot clair. O-oui.
Ils poussèrent un cri de joie et j'entendis leurs petits sauts résonner à travers la pièce. Lentement mais sûrement, je tirai sur mes paupières avec une extrême concentration et parvins enfin à les ouvrir. La lumière m'assaillit, me brûla la rétine, mais je m'en fichai ; dans cette vision floue, les silhouettes de mes deux amis se dessinaient. Les larmes perlèrent, glissèrent sur mes joues, et accrurent davantage mon envie de boire.
Je perçus les sanglots de Jeane, qui portèrent dans la petite chambre un doux écho émouvant. Nous étions vivants. Nous avions survécu.
-Il est réveillé, George, il est réveillé... hoqueta-t-elle.
-Le chat est de retour parmi nous, souffla-t-il, larmoyant.
-Soif, répétai-je, tout sourire.
-SOIF ! hurlèrent-ils en reprenant leurs sauts. Il voulait dire soif !
Le gémissement aigu de la porte me signala alors l'entrée d'un intrus.
-Pourquoi vous criez comme ça ? tempêta une voix autoritaire. Il doit se reposer !
Je reconnus sans grande peine le ton mi exaspéré, mi amusé de Kaï.
-Soif, insistai-je, espérant que lui m'apporterait un verre d'eau.
-Ca alors, il est réveillé ! s'exclama-t-il.
-Oui, oui, oui ! pépia Jeane. Et il a soif.
Ils rirent, et je perçus le soulagement dans leur voix. Les détails de ma vue s'affinaient, me permettant de mieux cerner leurs expressions. Mais ce que je vis m'ôta toute bonne humeur. Leur visages creusés supportaient de lourdes poches violettes, et leur silhouette voûtées trahissaient leur fatigue apparente. Les joues de George étaient saupoudrées d'une barbe sale et irrégulière.
-Je vais prévenir l'infirmière, déclara Kaï en tournant les talons, le regard pétillant.
-N-non, grinçai-je, le ton menaçant. Ne-ne va pas. Veux pas.
Le silence attrapa ses pas et les rendit muets. Ils retinrent leur souffle. Savaient-ils ? Ma gorge se noua. Visiblement oui. Ils attendaient la question.
-Combien ? soufflai-je, face à leur mine soudain pâle. Combien de temps ?
Ils échangèrent un regard hésitant. J'avalai ma salive avec une grimace et constatai que ma douleur au flanc s'était considérablement atténuée. Je pris mon courage à deux mains et, puisant dans mes dernières forces, soulevait la couette et la nappe à pois mauves qui me servait d'habit. Plus de bandage. Ne restait qu'une cicatrice.
Les vertiges secouèrent mon esprit fatigué et les engrenages, rouillés, mirent un certain temps à bouger. Cela faisait longtemps. Très longtemps que j'étais étendu là, visiblement.
-Kenfu, me héla alors Kaï, me tirant de mes pensées.
Je relevai deux yeux embués de larmes dans sa direction.
-Sèche tes larmes, quelqu'un veut te voir.
Je me raidis, et mes muscles gémirent.
-Je ne veux pas voir mon père, cinglai-je en serrant mes pauvres dents endolories d'être restées si longtemps immobiles.
Cette pensée m'arracha un frisson. Si longtemps.
-Ton père est déjà passé ce matin, pouffa le vieux Roi devant mon visage indigné. Quelqu'un qui a attendu longtemps que tu te réveilles.
Il fit signe à George et à Jeane de quitter la pièce d'un coup de menton insistant. Il disparut à son tour et laissa ma curiosité, mêlée à mon inquiétude, imprégner la pièce. Alors, un cliquetis rouillé grinça contre les murs et m'indiqua qu'une chaise roulante glissait dans ma direction. Elle se stoppa, me laissant perplexe, et je vis alors deux yeux bleus briller derrière l'encadrement de la porte.
-Sinna ! m'étouffai-je.
Les larmes m'assaillirent et je fus incapable de les retenir. Que m'arrivait-il ? Pourquoi ces grosses gouttes translucides étaient-elles décidées à débarquer chaque fois que j'apercevais un nouveau visage ?
Elle m'observa un moment, à l'abri derrière sa porte, et je levai le menton vers le ciel pour chasser les sanglots qui se tortillaient jusqu'à ma gorge. Ne pleure pas. Alors, les roues métalliques du fauteuil s'enclenchèrent à nouveau et elle s'engagea jusqu'à mon chevet non sans difficultés. Sans un mot, j'observai ses traits se crisper sous l'effort qu'elle déployait pour se déplacer d'elle même.
Elle finit par se stopper face à moi, où elle releva lentement le regard. Je pus y lire toute la reconnaissance du monde, ainsi qu'un immense soulagement. Je détournai aussitôt les yeux. Ca n'était pas la vérité. Je n'étais pas un héro. Quoi qu'il se soit passé, je savais que ce n'était pas positif. Kaï me l'aurait dit, autrement. Leur silence signifiait tout.
-On a cru que tu allais y rester, murmura-t-elle au bout de ce qui me sembla être une éternité.
Je pouffai, sarcastique, et dévisageai mes paumes de mains avec un soudain grand intérêt :
-C'est toi qui a failli y rester.
Sa main glissa sur la mienne et elle serra faiblement mes doigts :
-Kenfu, quoi que tu penses de toi même, je peux t'assurer que c'est faux.
-Tu ne sais rien de ce que je pense.
-Détrompe toi.
Je réprimai un sanglot. Les souvenirs de notre de fuite et de la bataille m'encerclaient, me rappelaient cette atroce souffrance ressentie à l'idée que la jeune femme soit morte. Et la voilà qui respirait face à moi, qui prétendait me connaître alors que cela ne faisait même pas quelques jours. Je me raidis : cela faisait désormais probablement plus longtemps.
-Depuis combien de temps on y est là ?
A ma plus grande surprise, elle n'hésita pas et laissa la vérité faire son travail :
-Un mois et cinq jours exactement.
Je crus qu'à nouveau les vertiges allaient s'en prendre à moi, mais ils n'en firent rien. A vrai dire, malgré le fait qu'un mois soit une durée considérablement longue, je m'y attendais.
-Pourquoi je ne me souviens de rien ?
Elle soupira et tomba sur le dossier de sa chaise. Aucune émotion ne transparaissait sur son visage creusé par la fatigue. Seulement quelques larmes au coin de ses yeux trahissaient son soulagement de me savoir en vie.
-Au début, tout allait bien. Ils t'ont maintenu dans un coma artificiel parce qu'ils voulaient surveiller ton état de très près. Moi, je me suis vite rétablie. J'avais des examens à faire souvent, c'est tout. Les autres sont retournés en cours mais dès qu'ils avaient un trou -ou même parfois toute l'après midi, quand ils sèchaient- ils venaient nous voir. Avec Ashley, Jeane et George, on jouait à celui qui parviendrait à te réveiller avec la blague la plus nulle. Mais en fait, au bout d'un moment, on s'est rendu compte que c'est nos rires qui finiraient par te réveiller.
Je levai les yeux au ciel et réprimai un sourire amusé. Quelle idée stupide. Mais elle ne semblait pas rire du tout.
-Mais au bout de deux semaines, ton état s'est aggravé. Tu as fait une infection.
Je déglutis. Pourquoi ne m'étais-je donc pas réveillé ? Pourquoi ne me souvenais-je de rien ?
-Ils t'ont mis en soin intensifs, poursuivit-elle, et je perçus les tremblements dans sa voix. On n'avait plus le droit d'entrer. On pouvait regarder que par la vitre de la salle. C'était horrible. Affreux à voir, je veux dire. On a tous beaucoup pleuré. Tes parents étaient aussi. Et puis tu es mort.
Je relevai brusquement le menton :
-Quoi ?!
Elle haussa les épaules et étira une grimace :
-Ton cœur s'est arrêté pendant une minute et trois secondes. Mais ils t'ont ramené. Après ça, ta fièvre est tombée et tu t'es rétabli rapidement. Kaï, tes parents et nous, on passait nos journées dans ta chambre. George, Ashley et Jeane ne sont pas retournés en cours. Kaï partait la nuit pour son travail. Tes parents eux, les seules fois où ils sortaient, c'était pour aller manger. Ils nous emmenaient la plupart du temps. Pour qu'on se vide l'esprit.
-Toi aussi ? parvins-je à articuler, la voix chevrotante.
Elle hocha la tête :
-Oui, j'allais bien mieux. Je n'ai plus qu'une cicatrice maintenant. Je met juste du temps à reprendre des forces. Et ma cheville est fracturée. C'est pour ça que je reste en chaise roulante. Enfin bref. Ils ont fini par t'enlever les bandages et les fils.
J'eus un très long soupir. Puis, sans vraiment en connaître la raison, j'éclatai d'un grand rire et m'agrippai le ventre sous la douleur que les soubresauts provoquaient.
Sinna me dévisagea, stupéfaite, alors que je ne parvenais pas à stopper cette hilarité qui me secouait.
-Pourquoi tu ris ? sourit-elle.
-Plus rien ne m'étonne, hoquetai-je. Tu m'aurais dit que je m'étais jeté du haut de la fenêtre pour voir si je volai, ou qu'un revenant de Divinity serait entré dans ma chambre pour m'offrir un spectacle de danse, je t'aurais répondu "OK, normal.".
Je ris davantage, incapable de m'arrêter. Sinna pouffa et m'observa un moment :
-Tu es sûr que ça va ? Tu ne nous fait pas une nouvelle attaque ?
-Qui sait ? m'esclaffai-je. C'est la routine avec moi, de toute façon. Va falloir penser à acheter une chambre dans l'hôpital et graver mon nom dessus.
-Tu n'en fais pas un peu trop ? s'exaspéra-t-elle, un sourcil arqué.
Je repris lentement ma respiration. Nos regards se croisièrent, et je finis par souffler :
-Je suis content que tu sois vivante.
Elle m'accorda un faible sourire, orné d'une farandole de larmes de joie :
-Moi aussi.
Je me pinçai les lèvres :
-Tu es contente d'être vivante ?
Cette fois-ci, elle éclata de rire et se dévissa la nuque pour appeler vers la porte :
-Vite, on a perdu Kenfu ! Ils l'ont remplacé par un faux !
Je ris. Elle m'imita. Une douce étincelle de joie papillonna au creux de mes entrailles, et pour la première fois depuis bien des années, un sentiment de profond soulagement, de paix intérieure, m'envahit.
Absolument rien n'allait. Tout était allé de travers. J'avais failli mourir. La guerre était là. J'avais été opéré éveillé. J'avais probablement tué des centaines de personnes avec mon Don : je n'étais pas dupe, et Kaï masquait mal ses secrets. J'étais certainement le Erkaïn le plus dangereux de Phoenix. Celui là même qui ne parvenait toujours pas à contrôler son monstre. Lui qui avait entendu les mots "Elu" et "Dragon" pour le définir.
Mais Sinna était vivante. Jeane, George, mes parents étaient vivants. Même Ashley. Alors à cet instant, tout allait merveilleusement bien.
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