Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 6 : Le sacrifice

Hello again my darlings <3 

Comment allez-vous en ce long week-end qui s'annonce? Bac qui approche, partiels qui se finissent? Travail, stages? Et d'autres choses plus réjouissantes évidemment ! 

Petite annonce avant de commencer : le prochain chapitre de LMDR sera posté dans deux semaines. Est-ce que je vais reprendre le rythme de une fois toutes les deux semaines? Je ne sais pas, je sais juste que j'ai besoin de ralentir un peu le rythme : mon texte me fait des misères. Ce n'est pas un blocage, c'est juste la combinaison de plusieurs choses qui font que je n'avance pas : 

- Mon ordi a encore avalé une partie d'un chapitre sans raison sans que je comprenne. Et cette fois il ne me l'a pas rendu. je suis énervée, c'est la seconde fois que ça arrive en peu de temps et j'ai pas la foi de réécrire au pied levé avec cette sensation de ne pas avancer. 

- C'est aussi mon style d'écriture : avaler les pages et les chapitres un temps, puis avoir besoin d'un passage à vide. ça a toujours été comme ça, depuis que j'ai commencé à écrire. 

- Un nouveau projet qui commence à se dessiner avec des lignes et des personnages et des scènes qui m'attirent plutôt bien ? Ouiii Perri s'éparpille, mais Perri a l'habitude de gérer deux projets à la fois, regardez comment je vous ai régalé avec O&P et LDP. 

Long story short, j'espère que ce chapitre va vous plaire - et que vos commentaires me donneront le coup de pied qu'il me faut pour réécrire le chapitre en court ! Bonne lecture <3 

***

Chapitre 6 : Le sacrifice 

La caisse était lourde entre les mains de Silvia et les lanières de cuir lui tailladait les mains. Une grimace perpétuellement tordue sur ses lèvres, elle s'efforçait d'avancer vaille que vaille sur son chemin irrégulier parsemé de rochers perdus à moitié enfoncé dans le sol et de bottes de terre prêtes à la faire trébucher. La pente rendait sa démarche langue en plus de lui brûler les muscles.

Pourtant c'était elle qui s'était portée volontaire pour purifier et nettoyer les objets liturgiques avant la grande cérémonie. En plus d'être les épouses du feu sacré, les prêtresses en avaient la garde et devait veiller à leur entretien. Pour cela, elles avaient leur endroit dédié : le lucus, le bois sacré d'Albe dédié à Mars car quelques piverts, son oiseau protégé, y faisaient leurs nids au printemps. Mais pour l'atteindre, Silvia devait s'élever dans la montagne, laisser les arbres l'engloutir, suivre le ruisseau qui chantait et se jetait dans le lac pour enfin parvenir à une mince clairière. Là le ruisseau s'élargissait, nourri par une toute petite chute d'au et leur offrait un endroit privilégié et éloigné des hommes pour purifier à la fois leur esprit, leurs objets et leur corps. Quand le temps le permettait, Silvia se trempait dans la poche d'eau pour se laver, éliminer la crasse et la cendre. Ce ne serait pas pour aujourd'hui, songea-t-elle vaguement en lorgnant les cieux menaçants entre les branches resserrées des arbres. Jupiter savait que c'était son jour et les nuages sombres se massaient entre les cimes des montagnes.

Après un temps de marche qui lui semblait interminable, plusieurs pauses pour resserrer sa prise sur la caisse et une cheville douloureuse après s'être fait avoir par une irrégularité du terrain, Silvia poussa un soupir de soulagement lorsque lui parvint les premiers murmures de la chute d'eau ... vite éteint lorsque d'autres sons appartenant au monde des hommes les surplombèrent.

— Mais qu'est-ce que ... ?

Il ne lui fallu faire que quelque pas pour découvrir dans sa belle clairière, devant même la statue de pierre plantée là depuis des lustres et mangée par le lierre, deux hommes épée à la main engagés dans un féroce combat. Silvia tressaillit lorsque les lames s'entrechoquèrent et durant quelques affreux instants la nuit retomba brutalement sur elle. Elle revit danser Lausus et Amulius, éclairés alternativement par la lune et la chandelle, et de nouveau le sang lui brûla les bras et le visage ... Ce fut un grand fracas qui la réveilla. Sonnée, elle porta une main horrifiée à sa bouche : elle avait laissé tomber sa malle. Elle gisait disloquée à ses pieds, les objets du rituel – grande lame claire, la patère, petite coupelle percée destinée à répandre le vin et l'encens comme le vase — étaient étendus sur l'herbe.

— Prêtresse ! Tu vas bien ?

Les oreilles de Silvia bourdonnaient toujours du fracas de la malle et de lames. Des mains apparurent brusquement dans son champ de vision pour ramasser les objets et elle parvint à animer son regard pour les remonter jusqu'aux bras qui les portaient. Les hommes avaient brusquement lâché leurs épées. Le premier, à la barbe rousse et aux épaules larges et râblées ne lui évoquait strictement rien. En revanche les autres appartenaient à Numa de Tibur. Il avait si charmant lors du dernier banquet ... mais cette fois, Silvia sentit courir dans ses veines une colère toute sacrée.

— Je peux savoir ce que vous faisiez ici ?

— Chaque matin nous nous entrainons aux armes, répondit Numa sans se formaliser de la voix vibrante de Silvia. C'est le meilleur moyen de pratiquer l'exercice nécessaire à la purification de notre corps et de notre esprit.

— Pour la purification vous êtes au bon endroit, convint Silvia d'un ton néanmoins glacial. Vos épées n'ont strictement rien à faire ici. Elles appartiennent au monde des hommes, en bas.

D'un geste qui se voulait impérieux, elle pointa la pente qui descendait jusqu'à Albe avant d'arracher des mains de Numa le vase destiné à accueuillir le vin du rituel qui serait versé sur la tête de la bête.

— Cet espace est dédié aux dieux et à ceux qui les servent. Respectez-le et partez.

— Le sanctuaire dédié à Jupiter n'est-il pas de l'autre côté du lac ?

Faisait-il semblant de ne pas comprendre ? s'interrogea Silvia, les yeux plissés. L'autre homme parut plus docile : il ramassa les deux épées et s'inclina modestement.

— Nous ignorions que ce lieu était sacré pour Albe, prêtresse. Bien sûr que nous allons nous entraîner ailleurs. (Il amorça quelques pas pour se retirer, avant de faire volte-face). Tu viens, Numa ?

— Pars devant, je te rejoins.

Silvia dressa un sourcil dédaigneux devant le léger sourire qui retroussa les lèvres du jeune homme. L'autre se contenta de hausser les épaules et s'en fut sans rien ajouter. La prêtresse leva les yeux au ciel et se pencha pour ramasser la patère. Elle était faite en céramique et par chance, la chute ne l'avait ni brisée ni fêlée. Le soulagement faillit lui éclater les côtes. Ignorant Numa, elle se dirigea vers la poche d'eau sous la petite cascade et se laissa tomber sur l'herbe piquée de pâquerettes et de fleurs aux corolles d'or qui n'avaient pas besoin de soleil pour étinceler.

— C'est donc avec ce couteau qu'on égorgera le taureau blanc ? demanda Numa en examinant la lame avec intérêt.

— Je crois t'avoir demandé de partir.

— Tu ne veux pas que je t'aide à descendre les lambeaux de ta malle ?

Les lèvres de Silvia se tordirent et elle jeta un regard gêné aux planches à moitié morcelées sur le sol. La brûlure du sang sur ses bras n'avait pas totalement disparu : sa peau picotait, sans cesse prise de frisson. Pour lui donner une origine qui en vaille la peine, elle plongea sa main dans l'eau fraiche. L'avant-bras suivi rapidement, mu par l'impérieux besoin de se séparer de ce sang invisible.

— J'y parviendrai. En revanche, j'ai besoin du couteau.

Elle tendit une main et l'espace d'un terrible instant, elle fut persuadée que Numa ne lui rendrait pas ce couteau et se contenterait de la fixer avec ce petit sourire impertinent. Pourtant dans une courbette assez gracieuse, il fit souplement pivoter la lame pour lui présenter le manche.

— Si cela t'agréé ... Ton dux confie donc ses objets les plus sacré à des femmes ?

— Des prêtresses, corrigea Silvia.

— Nous n'avons pas de prêtresse à Tibur. D'aucun considère que la tâche des femmes est beaucoup trop liée à la terre pour qu'elles aient le moindre contact avec le divin. Comment purifier un être qui saigne constamment ?

— Nous sommes des vierges éternelles, Numa. Nous ne sommes pas vraiment des femmes.

L'admettre lui écorchait les lèvres et au lieu de plonger le couteau dans l'eau, elle y trempa de nouveau ses mains et frotta vigoureusement jusqu'au coude. Sa peau devenue écarlate s'hérissa.

— Eternelle ? s'étonna Numa, l'air un peu déçu. Tu es liée à ton culte pour toujours ?

Remue donc le couteau dans la plaie. Amulius et Callidice avaient beau avoir tenté par tous les moyens de lui assurer quel honneur elle lui faisait, Antho répéter à quel point elle lui enviait sa vie sacrée ou Flavie lui expliquer à combien leur mission était vitale pour s'assurer de la paix des dieux chère à leur peuple, se fondre dans son rôle avait achevé de réduire sa volonté en cendre. Avec les années elle était devenue une prêtresse factice, animée par l'habitude et la répétition quotidienne des tâches mais sans y avoir pris aucun goût. Elle espérait sincèrement qu'accomplir les rituels suffisaient aux dieux et compensaient son manque de foi. Comment espérer se sentir sacrée quand sa peau était parée d'écarlate ?

— C'est le contrat qui lie une prêtresse au foyer de Vesta, expliqua patiemment Silvia en saisissant le vase de bronze. Le feu sacré est un époux jaloux, qui ne se laisse naître et nourrir que par des femmes intactes. Nous sommes à la fois mères et nourricières de la flamme.

Les mots jaillirent laconiquement de ses lèvres. Le texte, répété, bassiné, enraciné en elle, se poursuivit et elle leva un index pour tracer un cercle dans l'air.

— Notre temple représente l'union du divin et du terrestre. Avec sa forme ronde il reproduit nos maisons, nos huttes dans lesquels nous naissons et nous brûlons une fois la mort venue. Il est aussi Vesta : cette déesse-mère, avatar de la terre qui elle aussi brûle en son cœur d'un feu perpétuel. C'est ce feu terrestre qui insuffle la vie à toute chose qui permet à nos peuples de se déployer, et pour remercier les dieux de nourrir le feu de la vie, nous dédions notre vie à nourrir le feu sacré des dieux.

— Donc ce n'est pas la flamme qui vous protège à proprement dit ?

— Non, la flamme n'assure aucune protection, sourit Silvia, puisque la méprise l'amusait. Ce n'est pas si différent du sacrifice d'aujourd'hui. A chaque fois, il s'agit de maintenir la paix avec les dieux. On répète les mêmes gestes et les mêmes rites parce qu'ils ont semblé leur plaire et briser la chaîne nous exposerait à leur courroux.

— Les malédictions s'abattraient sur Albe, devina Numa en hochant la tête.

A l'écoute du récit de Silvia, il s'était accroupi à côté du ruisseau et avait posé un genou sur l'herbe. Dans sa lutte avec son camarade, ses cheveux blonds s'étaient échappés de son lien et encadrait un visage aux traits un peu bruts, coupés à la serpe et constamment adoucis d'un léger sourire. Il avait des yeux très clairs ombragés de cils épais qui lui donnaient un regard à la fois charmeur et déroutant.

— Te voilà donc épouse d'un feu. Un feu jaloux qui plus est. Voilà qui explique pourquoi ton oncle n'a pas cherché à te marier alors que tu es infiniment plus aimable et diplomate que ta cousine.

Silvia envisagea vaguement de défendre Antho, qui de plus était raisonnable et gracieuse depuis quelques jours avant de renoncer. Après tout elle avait passé quelques banquets à devoir rattraper les coups d'éclats de sa cousine.

— Exactement.

— Et qu'arrive donc aux prêtresses qui font des infidélités à leur brûlant époux ? Après tout ses caresses ne doivent pas être des plus agréables ...

Pour s'être brûlée en manipulant le feu plus qu'à son tour, Silvia ne pouvait qu'acquiescer. Les sourcils froncés, elle fouilla sa mémoire avant de secouer la tête.

— Je n'ai pas souvenir que ce soit arrivé de mémoire d'homme. En revanche une prêtresse a laissé s'éteindre le feu il y a quelques printemps de cela et a été vertement fouettée par Amulius.

C'était Flavie. Elle avait été l'autre grande victime du raid sabin qui avait embrasé Albe et décrédibilisé Numitor : c'était elle de garde près du feu, qui avait abandonné son rôle en voyant les hommes en arme déferler en sa direction. Danger ou non sa mission était sacrée et elle y avait consacrée sa vie. C'était injuste. Ce n'était pas tant que le foyer s'était éteint : les sabins s'étaient servis des braises pour allumer un incendie. La flamme avait été vivifiée ; mais c'était aux dépends de la cité. Le feu sacré était devenu le feu monstrueux craint par tous. Elle résuma l'incident à Numa d'une voix blanche et à son grand étonnement, le sourire qui ourlait perpétuellement ses lèvres s'accentua.

— Je suppose que je dois faire des excuses publiques au nom de mon peuple ?

Silvia sursauta face à l'allégation et se retrouva à ouvertement dévisager Numa, confuse. Un frisson lui parcourut l'échine lorsque le sourire de Numa s'agrandit encore.

— Tibur est sur l'Anio, les eaux qui se jettent dans le Tibre et les Sabins se sont appropriés cet espace entre les deux cours d'eau. Nous sommes à la frontière entre le monde latin et le monde sabin. Fondé par les premiers, mêlés aux seconds, il y a longtemps que nous nous sommes tous mélangés. (Il s'installa nonchalamment sur l'herbe). Mon grand-père est originaire de Cures, bien plus au nord. Il était riche, venait d'une grande famille et comme sa cité ne lui donnait pas le rôle qu'il méritait il est venu l'arracher à Tibur.

La mâchoire de Silvia se contracta pour ne pas laisser échapper une grimace. Elle devait admettre qu'elle vouait aux Sabins une rancune tenace pour avoir provoqué le malheur de sa lignée. Sans ce maudit raid, le conseil ne serait pas précipité avec tant d'ardeur chez Amulius pour le pousser à prendre les armes contre son frère.

— Vous êtes les duces sabins d'une cité latine ? comprit-t-elle avec un certain déplaisir.

— Mon frère aîné est dux. Mais déjà marié, je doute qu'il intéresse votre oncle pour la princesse ... Moi je ne suis que le fils cadet. Peut-être serais-je obligé d'agir comme le fit mon grand-père ... J'ai parcouru les rives des fleuves. Entre les cités latines et colonies d'Albe existent des peuplades qui n'ont pas encore trouvées leur maître. J'ai connaissance d'un endroit au bord du Tibre peuplé de bergers et qui vivent en dehors des lois des hommes ...

— Vous y auriez régné avec Antho. Quel beau projet ...

Son ton égal provoqua un rire rauque de la part de Numa.

— Quand bien même ton princeps aurait accepté de la marier à un cadet aux envies d'ailleurs, je pense que je ne me serais pas laissé tenter par ce genre de femme. Ne te méprends pas, elle est très agréable à regarder et sa musique est enchanteresse. Mais si je devais choisir entre les deux princesses d'Albe ce n'aurait pas été sur elle que mon choix se serait porté.

Silvia demeura quelques secondes interdite, la patère entre les mains et stupidement statique. Elle s'efforça de garder les yeux rivés sur l'eau qui ruisselait devant elle et comblait le silence pesant qui s'était abattu sur le lucus.

— Il n'y a qu'une princesse à Albe, articula-t-elle.

— Oui, j'ai compris. Feu jaloux et virginité éternelle. La princesse est devenue prêtresse.

La désinvolture de ses mots pinça assez Silvia pour qu'elle lève de nouveau les yeux sur le jeune homme. Il souriait toujours, mais avec une certaine douceur. L'étincelle de son regard échauffa les joues de Silvia autant qu'il instilla une sorte de langueur dans son esprit.

— Honnêtement je ne sais pas ce qui est passé par la tête de ton oncle en te consacrant à cette déesse. Tu as plus de doigté que sa fille. Ta diplomatie aurait été une vertu précieuse pour ton projet d'unification des peuples latins. Il aurait doublé ses chances de nouer des alliances ... Vraiment c'est aussi troublant que stupide.

— Un chef se doit de servir la paix des dieux, rappela âprement Silvia. Antho s'occupe de celle des hommes. Je trouve au contraire la balance des plus équilibrées.

Certes, toutes deux auraient rêvés de voir leurs vies inversées ... Mais elle ne pouvait pas enlever ça à Amulius. Loin de se contenter de poursuivre ses plans terrestres de guerre et de paix, il n'oubliait pas son double rôle tourné vers le divin. Il respectait scrupuleusement tous les rites, avait ordonné à l'Augure de constituer un calendrier pour arrêter les jours fastes dédiés aux dieux et préservait tous les lieux de cultes, du foyer de Vesta à l'autel de Jupiter en passant par la vaste prairie qu'à l'heure des guerres les soldats nommaient « champ de Mars ».

Numa garda les yeux plantés sur elle, avec toujours cette étincelle qui brillait d'intérêt pour l'étrange créature voilée qu'elle était.

— Quel gâchis que des deux, ce soit tombé sur toi, murmura-t-il, l'air sincèrement peiné.

Malgré la chaleur qui marbrait son cou, Silvia resserra résolument ses doigts autour des hanses du vase. La conversation n'avait que trop duré. Il n'avait pas le droit de la flatter ainsi, pas le droit de lui faire miroiter ses rêves brisés. Et elle n'avait pas le droit de se laisser bercer par ce sourire.

— Je dois vraiment nettoyer ces objets pour le sacrifice, rappela-t-elle d'une voix qu'elle posa autant qu'elle put. Maintenant je vais te demander de partir. Pour de bon.

Elle fut satisfaite d'entendre sa voix de prêtresse résonner dans la clairière. Car elle ne disposait que de cette autorité sacrée pour chasser l'importun. Numa ne bougea pas dans un premier temps, mais avant qu'elle n'ouvre la bouche, se dresse d'un bond ou lui abatte le vase sur le crâne, il se leva souplement. Sans un mot, et avec un dernier sourire, il quitta le lucus et disparu, avalé par la pente.

Silvia posa une main sur sa poitrine où son cœur s'était mis à gonfler si fort qu'il lui écartait les côtes. Lâchant le vase dans l'herbe, elle s'adossa au tronc d'un arbre et riva son regard vers les feuillages qui recouvraient le ciel toujours gris, lourd et chargé, prêt à s'abattre sur elle.

— Du calme, s'enjoignit-t-elle, le souffle court. Du calme. Tu n'as pas le droit d'être troublée. Tu es Silvia, prêtresse et épouse du feu sacré, dédiée éternellement à la paix des dieux.

Tu es courageuse, souffla Lausus dans son esprit.

— Tais-toi.

Ses souvenirs ne lui répondirent pas. Moins troublée à défaut d'être apaisée, Silvia se redressa et observa le carnage de la clairière – les fleurs piétinées par la lutte des deux hommes, les objets rituels épars sur l'herbe et le coffre brisé sur le sol. Il fallait qu'elle se dépêche. Elle n'avait pas le droit d'être en retard.

***

Elle était arrivée en retard.

Laevia était furieuse, d'autant qu'elle était arrivée avec les morceaux brisés du coffre sous le bras. Si Flavie n'avait pas été là, Silvia était certaine qu'elle aurait été jetée au feu sacré. Heureusement, aucune n'avait eu le temps de s'épancher en reproches : l'heure du sacrifice approchait. Flavie avait tressé ses cheveux et ajusté les bandelettes pourpres et blanches qui tenaient sa coiffure et retombaient sur ses épaules avant de les laisser rejoindre la procession qui se formait. Même pour Jupiter, une prêtresse de Vesta ne devait pas quitter le foyer.

Elles étaient plus qu'en retard : lorsqu'elles rattrapèrent enfin la procession, ils entamaient l'ascension du mont Albain. Elles remontèrent la file de latin, de petites gens comme membre des délégations venus honorer le dieu des dieux, avec en ligne de mire la file de têtes couvertes par un voile de tous les duces, suivis des membres du conseil. Tous détenteurs de l'autorité sur terre étaient habilités à converser avec les dieux et se muaient en prêtre lors des jours fastes.

— Amulius va nous maudire, râla Laevia, dont chaque pas été un effort surhumain et le visage déjà écarlate. Et je te maudirai toi, petite, jusque la fin de ma vie.

L'idée qu'elle allait passer l'entièreté de sa vie en compagnie de Laevia était déjà assez désagréable pour qu'elle se rajoute ses malédictions. Alors pour l'inciter à allonger le pas et à grimper plus vite, Silvia attrapa la main de la prêtresse et l'entraina à sa suite. Elle sentit la brûlure du regard noir de Laevia. Pourtant celle-ci ne la lâcha lorsqu'elles furent montées en tête du cortège.

Antho et Callidice encadraient Amulius, vêtues de leur plus belle robe et leurs plus jolis bijoux. Silvia se glissa aux côtés d'Antho, portant l'urne de mola salsa, la farine rituelle que les prêtresses avaient préparé pour le sacrifice, quand Laevia, postée de l'autre côté, présentant sur son plateau le couteau, la louche et la patère. Silvia sentit peser des regards intrigués et courroucés sur elle, mais son souffle se relâcha : elles étaient arrivées à temps pour le sacrifice, et c'était tout ce qui comptait.

— Tu l'as échappée belle, murmura Antho du coin des lèvres. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Je t'expliquerai. J'ai l'impression que c'est un jeu pour les sabins de perturber la cérémonie pour Jupiter Latiaris ...

— Un sabin ?

Antho, paniquée, parut sur le point se pivoter vers son père pour le prévenir d'une attaque et Silvia lui attrapa vertement le bras pour l'en empêcher.

— Mais non ! Je t'ai dit que je t'expliquerai !

— Les filles !

Le murmure rauque, mais coupant d'Amulius les réduisit au silence. Même Antho referma la bouche sans broncher et se contenta de couler un regard sur sa cousine où brillait à la fois l'incrédulité et l'inquiétude. Silvia se fustigea d'avoir réveillé ce souvenir si puérilement, mais n'eut pas le temps de s'attarder sur sa stupidité : ils parvenaient à l'autel. Un trépied surmonté d'un fagot de bois était d'ores et déjà installés dessus, mais le plus impressionnant restait la bête qui gisait à ses pieds : assommée, prostrée dans l'herbe, le massif taureau blanc dépassait des deux côtés de l'autel du bout de ses sabots à son mufle d'où s'échappait un souffle erratique.

Amulius s'arrêta devant lui et tous se déployèrent autour de l'autel en cercle concentrique dont les premiers rangs étaient bien évidemment tenus par les duces et conseillers d'Albe. Armé d'une crosse dont le bout se recourbait sur lui-même, le maître à lire la volonté des dieux, l'Augure Celer, s'avança au bras de son fils. Avec son vieil âge et ses genoux noueux et castagneux sous sa tunique, c'était de l'avis de Silvia un véritable miracle qu'il ait réussi à se hisser jusqu'au sanctuaire. Lâchant son fils, il leva ses bras et son bâton augural au ciel, offrant son visage couvert de rides à la maigre lumière du jour.

— Que le tout-puissant dieu du ciel nous entende ! En ce jour nous t'honorons Jupiter pour que dans ta sagesse ta puissance tu apportes force et prospérité au peuple latin qui se présente aujourd'hui à tes pieds !

— Gloire au dieu de l'orage !

Le cri unanime, lâché d'un seul homme par la foule, roula sur la peau de Silvia pour lui arracher des frissons. Fascinée, elle détailla tous les visages autour d'elles, grava dans son esprit que tous ces hommes s'étaient fait la guerre pour des morceaux de terres et quelques troupeaux tout en parlant le même langage et vénérant les mêmes divinités. Ils étaient tous frères une fois les sempiternelles combats des hommes passés. Ils étaient tous frères lorsque c'était vers le ciel qu'ils se tournaient.

Celer, accompagné de son fils et d'autres membres du conseil, commença à psalmodier. Et pendant que les formules rituelles s'étiraient, à moitié chantées entre les dents des puissants, d'autres joignaient le geste à la voix. Laissant l'urne de mola salsa, Silvia rejoignit Laevia près du trépied. L'œil de la vénérable prêtresse était toujours noir et outré.

— Il est temps de te rattraper, persiffla-t-elle.

Et j'aurais pu te laisser crever pendant que tu gravissais la montagne, songea amèrement Silvia. Mais elle garda son venin sur sa langue et se pencha docilement sur le fagot. Quelques gestes précis plus tard, le crépitement du feu venait ajouter sa voix à celui du chœur de prêtre. Elle n'aimait pas particulièrement sa vie de prêtresse, mais elle admettait que la fierté rayonnait toujours de voir combien elle était capable de faire jaillir le brasier du néant. Profitant de l'orgueil qui rougeoyait sous les cendres, elle cessa de baisser les yeux et embrasa la place du regard.

Evidement la première chose qu'elle vit fut le sourire de Numa.

Caché derrière un homme qui lui ressemblait assez pour être son frère, il avait revêtu la tenue des prêtres et rabattu son capuchon sur son front. La fixait-il ainsi depuis le début ou cette rencontre était-t-elle le fruit du hasard ? Silvia faillit en perdre la maîtrise de ses gestes. Heureusement, une seule personne s'en aperçut : Antho, qui fronça les sourcils avant de fouiller la foule du regard à la recherche de l'objet de son attention. Pour preuve qu'elle était la personne qui la connaissait le mieux au monde, elle repéra vite Numa et sa bouche s'arrondit légèrement. Antho parvint à capter de nouveau l'attention de sa cousine et l'incita d'un discret geste de la main à poursuivre. Silvia inspira profondément et s'activa derechef pour reprendre le fil de la cérémonie. Ses mains si sûres à animer le feu lui parurent maladroite et pataude à brûler l'encens et répandre un mélange de mola salsa et du vin contenu dans le vase qu'elle avait si soigneusement nettoyé dans la patère. Elle le fit tourner avant de le répandre sur le contenu sur le front de l'animal. Le souffle qu'il exhala fit trembler les replis de sa robe.

— Merci, prêtresse, murmura Amulius lorsque Laevia lui présenta le couteau sur son plateau.

Laevia inclina la tête et rentra dans le cercle, Silvia à sa suite. Contre son gré, elle jeta un petit coup d'œil par-dessus son épaule. Numa la contemplait toujours, sans même faire mine de porter attention à Amulius qui s'était porté au cœur du cercle, la lame à la main. On vint lui prendre la main, une seconde avant que la voix d'Antho ne résonne à son oreille.

— Mais qu'est-ce qu'il veut ?

— Il est apparemment déçu que je sois vouée au célibat éternel.

Silvia n'aurait pas voulu avoir l'air déçue elle-même mais elle sentit le dépit enrober son murmure. Elle n'avait pas songé qu'un jour une simple rencontre ferait renaître l'amertume d'avoir été privée de sa vie. Simple, banale et éphémère rencontre. Comme quoi l'écho du cœur de la fillette insouciante et rêveuse qu'elle avait été battait toujours au fond d'elle. Les doigts d'Antho se figèrent sur son poignet.

— Vous êtes deux alors, je suppose.

Ce n'était pas énoncé avec la pointe d'incompréhension habituelle et Silvia tourna légèrement la tête pour découvrir le visage peiné de sa cousine. Un sourire était fait pour l'enjôler et accepter la reddition. Elles n'étaient pas maîtresses de leur destin. Aucune d'entre elles. La gorge nouée, Silvia noua ses doigts à ceux d'Antho et puisa dans cette maigre étreinte la force d'étouffer le cœur de l'enfant.

Le chœur mené par Celer ne faiblissait pas. Avec le sang qui battait ses tempes à mesure que la tension montait, Silvia ne percevait pas toutes les paroles. En revanche elle avait pleinement conscience de la puissance du chant poussé par un peuple tout entier. Elle observa Amulius, grand avec cette chevelure sombre qui ondulait sur ses épaules et sans la moindre trace de gris, son visage grave. Ici il n'était pas que prêtre, ni même dux parmi d'autre au sein des latins. Il était le princeps. Le premier des siens. Et la destinée qu'il s'était donnée était en train de prendre forme sous ses yeux. Aux yeux de Jupiter, ne demeurait que lui et son offrande.

Silvia songea à son père, exilé dans les prairies par-delà le Tibre. Helve avait raison. Jamais il n'aurait pu accomplir cela. Loin de la rassurer, cette pensée essora son cœur.

— C'est le moment, souffla Laevia, presque tremblante.

Oui, c'était le moment, se raffermit Silvia et elle arracha ses yeux à ceux de Numa. Amulius promenait sa lame sur l'échine de l'animal. Il n'avait d'yeux que pour lui, comme jadis face à Lausus. Le couteau fut levé et parvint à refléter le tapis sombres qui calfeutrait le ciel. Silvia demeura stoïque, les pieds plantés dans le sol et les yeux sur la trajectoire de la lame. Depuis longtemps elle avait appris à supporter la vue du sang et de la mort. Lorsqu'Amulius égorgea la bête, elle ne cilla pas. Tout était acceptable quand elle n'était pas l'objet du sacrifice. 

***

Je vous écoute, qu'avez-vous pensé de ce chapitre? 

Des questions méthodos/historiques? 

A présent je vous abandonne, j'ai une folle envie de relire Troie de David Gemmel (vous n'avez pas lu? C'est un scandale, courrez-y ! C'est l'un de mes auteurs préférés <3) et de m'imprégner ! On se retrouve dans deux semaines

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro