Chapitre 9
Une routine s'installe dans les jours qui suivent : Adrien se rend au palais Garnier du lundi au mercredi pour interroger des employés et les cuisiniers du restaurant. Ces derniers ont des allures singulières : le chef est immense, large d'épaules et chauve, alors que l'un de ses commis doit mesurer dans le mètre quarante, avec des yeux globuleux, et une chevelure lustrée. Le premier s'exprime en quelques mots, tandis que l'autre développe une dissertation à chaque question que lui pose l'inspecteur. Il n'en tire rien de particulier : ils n'ont rien vu et chacun à un alibi le soir du crime.
Mais Adrien ne se décourage pas.
Il ne croise pas beaucoup le ténor argenté, occupé à préparer la relève d'Auguste Allaire. Le policier fait une synthèse le jeudi avec Marc. Ce dernier confirme que Giulietta Patti est introuvable et qu'il est peu probable qu'elle ait prémédité un meurtre. La thèse de l'accident se peaufine, mais Gabriel, en tant que rival de la victime, reste un suspect à ne pas négliger. Étant un homme, il est en capacité physique de déplacer un corps seul, voire un deuxième; et tout le monde l'aime bien, a-t-il dit, peut-être que des employés l'ont aidé ?
Gabriel lui cache des choses et il doit trouver ce dont il s'agit.
Ce vendredi, Adrien se rend à l'Opéra. Alors qu'il cherche de nouvelles têtes à interroger, il reconnaît sa voix près de la remise de costumes :
— Ce n'est pas si mal, non ?
— C'est trop grand, ça va se voir, dit Nathalie. Je vais prendre vos mesures pour en confectionner un autre.
Adrien entre dans une sorte de dressing, Gabriel est au centre les bras tendus pendant que la couturière ajuste sur lui une fausse armure d'écaille.
— Je sais, je suis magnifique, ironise le ténor en remarquant l'inspecteur dans le miroir face à lui. Vous me cherchiez ?
— Non, pas vraiment.
— Moi qui espérais vous manquer un peu, dit-il en esquissant un sourire taquin. Je vous présente Nathalie.
La jeune femme se lève et salue le policier d'une inclinaison polie qu'il lui rend. Adrien observe ses cheveux châtains coincés dans un chignon impeccable et sa robe modeste parfaitement entretenue. Il se souvient l'avoir déjà rencontré et même interrogée sur madame Patti.
— C'est moi qui m'occupe du costume que portait monsieur Allaire, précise-t-elle.
— Intéressant. J'aurais encore des questions à vous poser quand vous serez disponible.
Elle hoche la tête :
— Pas aujourd'hui, j'ai beaucoup de travail, mais je serai là lundi prochain, dit-elle avant de se tourner vers Gabriel. Vous pouvez l'enlever, je vais faire des retouches pour la représentation de ce soir.
Puis elle quitte la pièce, laissant les deux hommes seuls.
— Vous voulez me voir tout nu ? demande le ténor en levant un sourcil.
— Vous portez une chemise et un pantalon dessous.
Malgré son ton sec, Adrien ne peut empêcher un petit sourire de tirer un coin de ses lèvres. Gabriel bat des paupières, il n'a pas l'habitude de voir l'inspecteur amusé et ça lui plait.
— Oh, c'est dommage.
Le policier roule des yeux, attend qu'il se débarrasse de la fausse armure avant de s'approcher de lui.
— Que faites-vous là dans ce cas ? Vous voulez m'embarquer ?
Pour rire, Gabriel tend ses mains. Soudain, deux anneaux de métal froid se ferment sur ses poignets. Surpris, il lève le regard sur Adrien qui affiche une expression neutre.
— Q..., balbutie le ténor.
Une goutte de sueur perle sur sa tempe.
— C'est pour vous rappeler que cette affaire n'est pas un jeu, monsieur de Neuville.
Le silence pèse. L'inspecteur espère pousser Gabriel à livrer un secret en lui remémorant la gravité de sa situation.
— Je vois.
Gabriel plonge son regard sans le sien. Il se retrouve encore dans cette situation où une partie de lui est agacée par le policier et une autre qui apprécie son opiniâtreté, ça le séduit. Il s'approche d'un pas rapide pour roucouler à son oreille :
— J'ignorais que vous aviez ce genre de penchants, monsieur l'inspecteur.
Pris de cours, Adrien bégaie et rougit.
— Vous devriez vite me les enlever avant que je n'imagine des choses étranges sur vous.
Quand Adrien baisse les yeux, le ténor a déjà les mains libres. Les menottes sont dans la paume droite du policier avec la clé.
À quel moment j'ai fait ça ?
Comme le jour du déjeuner à la brasserie : un trou noir l'empêche de se souvenir exactement quand il a défait les bracelets. Ça le met très mal à l'aise.
Qu'est-ce qui m'arrive ? Est-ce la fatigue ? se demande Adrien quand Gabriel le tire de ses pensées :
— Pardon, mais j'ai une répétition générale qui m'attend.
Le ténor sourit, puis se dirige vers la sortie laissant son bras effleurer celui d'Adrien, provoquant chez chacun d'eux un frisson électrisant. Il se retourne quelques secondes, un peu surpris, avant de disparaître dans les couloirs menant à la scène.
🐚༄.°
Pour se changer les idées, Adrien décide de peaufiner sa visite d'endroit où il n'a pas beaucoup passé de temps. Il traverse le long couloir de magasins d'accessoires, avant de sortir dans le vestibule de l'aile ouest du bâtiment où se trouve la loge autrefois conçue pour l'Empereur et l'Impératrice, un salon de réception ainsi qu'un cabinet. Ici, tout est fait pour impressionner des invités de très haut rang.
Adrien se sent observé. Il continue pour remonter vers l'entrée principale en passant par le fumoir public, lui aussi richement décoré. Sa déambulation l'amène dans le grand foyer qui se trouve juste après la loggia qui accueille les visiteurs. D'immenses miroirs donnent l'impression que la pièce est bien plus grande qu'elle n'y paraît. Adrien arrive dans le lieu le plus singulier de l'Opéra : le grand escalier.
Il est entièrement taillé dans du marbre blanc, ses balustrades sont ornées de motifs sophistiqués en bronze doré. L'inspecteur monte jusqu'au premier palier, lentement, sa main glissant sur la rambarde froide et lisse, puis il s'arrête et lève le regard. L'espace lui semble déformé par la grandeur du décor brillant sous les luminaires de cristal. Une fresque somptueuse et des sculptures habillent le plafond et les alcôves.
Adrien se sent spectateur et acteur au milieu de cette ambiance féérique qui fait battre son cœur.
C'est magnifique.
L'écho d'un orchestre le tire de ses pensées : la répétition commence. Adrien décide de quitter l'Opéra pour rejoindre les Orfèvres, voulant tout découvrir lors de la représentation à laquelle il assistera ce soir avec son épouse.
Il redescend les escaliers quand il croise une superbe femme brune, vêtue d'une robe bordeaux satiné. Son regard, d'un noir profond, capture celui d'Adrien qui se fige soudain. Elle s'approche de lui, le salue avec élégance, avant de continuer son chemin vers le salon des premières loges. L'inspecteur ne peut s'empêcher de la suivre du coin de l'œil jusqu'à ce qu'elle disparaisse.
🐚༄.°
Mireille est ravissante. Pour se rendre à l'Opéra, elle a sorti sa plus belle toilette. Adrien n'est pas en reste avec son plus beau costume et ses cheveux tirés vers l'arrière. Le couple est placé à bonne distance de la scène et de l'orchestre. Ils ont hâte que ça commence.
Très enthousiaste d'être là, Mireille n'arrête pas de parler jusqu'à ce que le rideau se lève enfin. Elle se tait, écarquille les yeux et s'émerveille. Tout est parfait et la prestation du ténor la cloue dans son fauteuil. La voix de Gabriel emplit l'espace et charme tout son auditoire. Mireille sent la main d'Adrien serrer la sienne. Elle risque un coup d'œil vers son époux, et le surprend en train de pleurer d'émotion.
Lorsque le rideau tombe pour la pause dinatoire, le couple se dirige vers la rotonde du glacier pour profiter du buffet qui était inclu dans l'invitation. Adrien n'a pas d'appétit, le fait de savoir qu'un homme est mort en cuisine lui noue l'estomac.
— Le spectacle te plait ? demande-t-il en saisissant le verre de vin que Mireille lui tend.
— C'est grandiose ! On devrait venir plus souvent.
Elle sourit et mange quelques petites bouchées salées. Adrien ne touche à rien, buvant tranquillement.
— Toi aussi tu avais l'air de beaucoup apprécier, dit-elle en levant un sourcil.
— Oui c'est impressionnant tous ces décors, ces lumières...
— Et cette voix de ténor, ajoute Mireille en gloussant.
Adrien termine son verre d'une traite, il ne sait pas vraiment comment réagir.
— J'ignorais que tu étais une admiratrice de Gabriel de Neuville.
— Oh je l'ai surtout vu dans les journaux mais jamais entendu. Je le trouvais déjà charismatique en photo.
Mireille affiche un sourire espiègle avant de terminer son verre de rosé. Adrien hausse les épaules pour afficher un détachement qui sonne faux.
— On peut dire qu'il ne passe pas inaperçu c'est certain.
Il saisit une bouchée, la tourne entre ses doigts avant de la gober. Pendant qu'il analyse le goût sucré du confit de figue qui s'étale sur sa langue, mêlée à un petit bout de fromage de chèvre, Adrien remarque des journalistes en pleine discussion avec Messager à quelques pas d'eux.
Posent-ils des questions sur l'affaire ? Le spectacle ? Aucune idée, mais ce soir, Adrien ne veut pas le savoir.
🐚༄.°
Lundi, l'inspecteur veut interroger l'habilleuse Nathalie. Sous un ciel menaçant, il pédale jusqu'au palais Garnier et se dirige vers le magasin de costumes. L'odeur particulière des divers tissus embaume l'air sec. La lumière peine à filtrer à travers les fenêtres et aucun candélabre n'est allumé. Adrien se sent encore une fois observé. Il s'arrête un instant pour surveiller ce qui l'entoure.
Les murs ont des oreilles, monsieur Vaillancourt, se souvient l'inspecteur.
Une silhouette féminine de dos, porte-cigarette allumé à la main, lui apparaît à l'angle d'un couloir. Adrien s'avance, car il ne reconnait pas l'allure de Nathalie et à raison : c'est la belle inconnue en robe bordeaux.
Elle se retourne paresseusement, insère entre ses lèvres la tige fumante et sourit. Tous ses mouvements sont raffinés. Beaucoup trop parfait.
— Bonjour madame, commence Adrien. Vous êtes ?
Dans une marche fluide et langoureuse, la femme s'approche de lui qui observe une lueur étrange dans son regard, rose. Ses yeux glissent sur l'inspecteur de bas en haut avec une lenteur qui le met mal à l'aise. Adrien a l'impression d'être un bout de viande. Il fronce les sourcils, ouvre la bouche pour s'exprimer quand elle expulse de la sienne une fumée rose qui s'infiltre dans ses poumons.
Son esprit devient soudain sombre et son corps ne lui obéit plus.
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J'avoue, j'aime beaucoup la scène avec les menottes et vous ? xD
Est-ce que pour vous l'enquête avance de façon crédible ? Je trouve difficile de jongler entre scènes de la vie, les personnages à découvrir et faire passer du temps ensemble, tout en se préoccupant de l'enquête initiale ^^'
Ci-dessous, illustration de Gabriel qui se prépare à prendre son bain ^^
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