Chapitre 7
Adrien tente d'attraper la potentielle arme du crime. Le bout de ses doigts effleure l'ustensile, mais aucune prise n'est possible. Il se relève et cherche quelque chose pouvant servir, comme une pince ou...
— Je peux ? demande Gabriel.
— Ne vous embêtez pas : vous êtes plus petit que moi, vous ne l'atteindrez pas, répond le policier.
— Vous me sous-estimez, lui sourit le ténor en réajustant ses gants.
Un malaise s'empare d'Adrien quand Gabriel retire sa veste et la lui tend. Il la saisit, puis l'observe se coucher au pied de l'armoire. Son corps svelte lui permet de passer la tête et les épaules sous le meuble. Mais même ainsi, le policier doute qu'il puisse ramener le couteau.
C'est donc très surpris qu'il voit le couvert glisser jusqu'à ses pieds.
— Et voilà ! clame le ténor en rampant pour sortir.
Adrien se penche pour l'aider à se relever. Gabriel accepte cette main secourable et la saisit. La poigne est puissante et le remet debout en une seconde.
Ils n'ont jamais été aussi près l'un de l'autre. Pas depuis dix ans. Le cœur d'Adrien cogne dans sa poitrine, comme si des années de frustration cherchaient à se frayer un chemin pour sortir du déni.
Gabriel plonge son regard dans le sien. D'aussi près, les iris ambrés de l'inspecteur ne lui sont pas inconnus, ni ce visage.
— Pardonnez-moi, mais..., commence Gabriel, on ne se serait pas déjà rencontré par le passé ?
Soudain, Adrien le repousse dans une réaction incontrôlée et détourne le regard, honteux de ce qu'il vient de faire.
Gabriel est interloqué, mais il prend sur lui.
— Excusez-moi, dit-il en ajustant le col de sa chemise. Je ne voulais pas me moquer de vous.
Le geste de l'inspecteur l'a refroidi. Même si sa question était sérieuse, il pense qu'Adrien l'a interprété comme une provocation de trop. À raison, se dit-il, on lui reproche souvent d'aller trop loin, de dragouiller tout ce qui est à son goût, de s'amuser à mettre mal à l'aise les autres sans se préoccuper des conséquences.
Gabriel se demande tout à coup pourquoi il s'inquiète pour lui. Il ne le connaît pas après tout et ne lui doit rien.
Cet homme est un étranger.
Pour cacher son malaise, Adrien se penche pour ramasser le couteau. La lame est tachée d'un sang oxydé depuis plusieurs jours et sa forme correspond aux marques vues sur le cadavre. Son esprit est trop préoccupé pour réfléchir, et ce n'est pas le lieu. Il porte la main à sa sacoche, sort une pochette et glisse la preuve à l'intérieur.
— Merci pour votre aide, monsieur de Neuville.
— J'aime me rendre indispensable, répond le ténor en ouvrant les bras pour s'incliner un peu en avant.
Adrien roule des yeux et lui restitue sa veste.
— Je vais devoir fouiller plus minutieusement cette pièce.
— Oh, il y a une représentation ce soir et la rotonde accueillera le buffet, les commis devraient arriver dans trois heures.
— J'ai largement le temps.
En effet, la cuisine n'est pas immense et le ménage a été fait depuis. Adrien retire son manteau, remonte ses manches puis glisse les jarretières de ses biceps pour les serrer et être sûr que sa chemise ne le gêne pas.
Gabriel doit avouer que ses gestes précis le fascinent.
— Vous avez sans doute des choses à faire, non ? demande Adrien.
Il n'aime vraiment pas être seul... pense-t-il.
— Plus intéressantes que de regarder un policier tel que vous faire son travail ? Pas vraiment. Et puis, je peux vous faire la conversation si vous le voulez.
Enfin, le ténor est parvenu à arracher un petit sourire en coin à l'inspecteur.
— Eh bien, profitez-en pour instruire un néophyte tel que moi sur votre métier.
🐚༄.°
Mireille ferme sa boutique à 16 h. Elle doit préparer des victuailles en avance pour un repas de famille le lendemain. Pour certains c'est un moment de joie et de retrouvailles, pour elle, ces moments sont synonymes d'angoisses et de pression sociale. Mais ne pas s'y rendre, c'est prendre le risque de se fâcher avec sa sœur et sa mère qu'elle aime tant. Elle donne le dernier coup de clé dans la porte dans un soupir.
Le ciel maussade menace encore une fois de pleuvoir ce qui ne l'aide pas à se sentir mieux. Elle hèle un fiacre, s'arrête chez un épicier, puis un boulanger avant de rentrer dans son cocon. L'appartement du couple est modeste, mais décoré avec goût. Adrien lui a toujours laissé la liberté de faire ce qui lui plaisait. Elle sourit en déposant ses courses dans la cuisine.
Un mari attentionné qui la respecte, une boutique qui marche bien, un appartement bien à eux, des finances suffisantes pour ne pas être dans le besoin. Il ne leur manque plus qu'un enfant. Pour éviter de sombrer dans une humeur morose, Mireille se concentre sur le positif et tout ce qu'elle possède, que bien des gens lui envient.
Il est 20h quand la porte s'ouvre. Adrien entre, déjà l'odeur du bon petit plat mijoté plane dans l'air. Mireille est dans le salon avec un livre. Elle le pose et se lève pour accueillir son époux avec le sourire.
— Tu as l'air de bonne humeur ! constate sa femme.
— L'affaire avance, j'ai...
— Ne m'en dis pas plus.
Elle pose un doigt sur sa bouche et le prend dans ses bras pour une étreinte réconfortante.
— J'ai quelque chose pour toi, lui murmure Adrien.
Mireille répond avec un haussement de sourcil. Adrien tire d'une poche de son manteau un papier qu'elle saisit délicatement puis lit à voix haute :
« Chère Mireille Vaillancourt,
Un simple mot pour vous remercier de votre admiration pour moi. En espérant vous rencontrer un jour à l'une de mes représentations.
Gabriel de Neuville. »
Le visage de Mireille s'illumine comme un soleil. Adrien est heureux de la voir ainsi. Elle se jette à son cou, écrase ses lèvres sur sa joue.
— Tu y as pensé ! Merci !
— J'ai autre chose, de sa part.
Il sort ensuite une enveloppe.
— Ce sont des billets pour l'entendre chanter dans Sigurd.
Le regard de Mireille pétille.
— Attends un peu, dit-elle avec un sourire en coin, je pensais que tu ne pouvais pas le voir en peinture. Il s'est passé quelque chose ?
— Il m'a aidé à trouver l'arme du crime.
— Oh j'ai saisi, ce monsieur essaye de t'avoir à la bonne, attention !
Rieuse, elle attrape les billets et fait quelques tours dans le salon. Au fond, Adrien sait qu'elle a raison. L'attitude du ténor peut biaiser son jugement, mais... il ferait tout pour rendre Mireille plus heureuse. Elle est sa confidente, son plus grand soutien, sa meilleure amie.
🐚༄.°
Très tôt ce matin, Adrien aurait aimé que les relevés d'empreintes lui apportent un élément de réponse, mais non. Celles prises dans la cuisine sont inutilisables car il y a eu trop de passage et celles du couteau ont permis d'apprendre que l'agresseur n'est pas fiché et ne correspondent pas à celle de monsieur Neuville.
Il s'affale sur le dossier de sa chaise dans son bureau aux Orfèvres. L'odeur de soufre provenant des égouts lui donne la nausée. Marc vient à sa rencontre pour échanger leurs informations durant une bonne heure.
— Et si madame Patti l'avait tué ? questionne Marc en revenant du local de pause avec deux grandes tasses de café et des croissants. Peut-être étaient-ils amants ?
— Je ne pense pas : Allaire préférait les jeunes femmes et elle avait la cinquantaine.
— Bah ! Qui sait ? Mon père dit toujours que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures.
L'image qui se dessine dans la tête d'Adrien est dégoûtante. Marc tire sa chaise plus près de la table et saisit sa tasse pour en boire une grande gorgée.
— Et ce Neuville ? demande-t-il.
— Il a l'air très motivé à ce qu'on trouve l'agresseur : il croit être victime d'un coup monté.
Adrien porte à ses lèvres le café fumant.
— Paranoïaque, ou alors il essaie de se faire bien voir pour biaiser votre appréciation. Ou pire, il veut aider à prouver que c'est bien lui ?
Les policiers ricanent ensemble, car c'est déjà arrivé de tomber sur des criminels qui aiment signer leurs actes, et d'autres qui désirent être retrouvés quitte à s'auto-saboter.
— Ça n'a pas de sens, autant se livrer directement, le juge sera moins sévère, souligne Adrien. Ses empreintes ne sont pas présentes sur l'arme du crime, mais il porte très souvent des gants, même pour déjeuner.
Marc mord dans un croissant en mettant des miettes partout sur son costume.
— Qu'allez-vous faire maintenant ? demande-t-il à son collègue qui ne touche pas à sa viennoiserie.
— Continuer d'interroger la troupe et des employés. J'imagine difficilement quelqu'un d'extérieur assassiner Allaire. Ça ressemble à une dispute qui a mal tourné...
— N'empêche que Patti est introuvable et que le commissaire est persuadé qu'elle l'a tué.
Adrien soupire.
— Allaire pesait 115 kg pour 1m82, selon le rapport d'autopsie. Madame Patti m'a été décrite comme ayant un gabarit bien en dessous : comment aurait-elle pu réussir à le poignarder en lui cassant des côtes, puis traîner son cadavre ?
— Elle n'était pas seule, répond Marc en époussetant sa veste.
— Peut-être. Mais il manque le mobile du crime et Patti n'avait aucun intérêt à faire ça, pas de façon préméditée.
— Bah ! Il y a toujours une histoire de cul dans les parages, vous le savez aussi bien que moi : c'est monnaie courante dans les affaires. Ce Neuville par contre est le seul à avoir un mobile non ? Vous devriez vous en méfier. Si ça se trouve, il a exécuté Patti, car elle l'a surpris en plein méfait.
Marc se claque la cuisse puis se lève pour retourner à son bureau. Adrien le regarde partir sans rien dire et réfléchit. Si Gabriel avait été surpris en train de tuer Allaire, comment aurait-il pu gérer sa victime et Patti ? Même avec un complice, pourquoi n'avoir jeté dans la seine que le corps de son rival ? Patti serait-elle une meurtrière en fuite ? Gabriel n'a pas d'alibis pour ce soir-là non plus...
Il se passe une main sur la figure. Il lui manque trop d'éléments et Raynaud dit souvent que des explications trop complexes sont une fausse piste : bien souvent, les mobiles sont simples, parfois stupides.
Dans l'après-midi, il se rend à l'Opéra et découvre l'effervescence des répétitions. Toute la troupe et les employés s'animent : montage des décors, vérification de l'éclairage, essayages de costumes, maquillage, retouches et la loge des choristes est pleine de chanteurs qui se préparent. Adrien se faufile partout, observant les attitudes, écoutant les discussions à portée d'oreille. Les disparitions de madame Patti et de monsieur Allaire sont au centre des rumeurs. Certaines personnes l'approchent pour donner leur avis sur la question : un fatras de versions et d'opinions qui se contredisent.
— On a déjà aperçu Giulietta se diriger vers la rotonde du glacier le soir, lui dit une costumière du nom de Nathalie.
La jeune femme répare un costume sur une chanteuse, qui ne s'est pas présentée, et qui préfère relire ses paroles plutôt que de participer à la conversation.
— « On » ? creuse l'inspecteur qui doit tendre l'oreille pour entendre correctement dans le grouillement des bruits et de discussions alentour.
Nathalie lui répond en roulant ses yeux bleus, remet une mèche châtain derrière son oreille avant de reprendre :
— C'est une rumeur, mais on raconte qu'elle se servait dans la réserve du restaurant pour se goinfrer.
— Et ensuite, se faire vomir, Odette râlait de devoir nettoyer derrière elle, surenchérit tout à coup la chanteuse.
C'est intéressant, mais pas de quoi faire un mobile crédible. À moins que, dans la panique d'avoir été vue, madame Patti ait commis l'improbable ? Ou bien a-t-elle été agressée par la victime et s'est défendue ? Gabriel n'apparaît dans aucun de ses scénarios : le jugement d'Adrien serait-il biaisé ?
Le soir approche, l'inspecteur quitte le palais Garnier avant le spectacle pour se rendre au dîner de famille : un programme qui ne l'enchante guère.
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L'enquête s'est complexifié et avec les moyens de l'époque : difficile de déceler des indices sans tests ADN, ni caméra de surveillance...
Que pensez-vous de la dynamique "Gabrien" ou "Adriel" xD ?
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