Chapitre 22
Adrien pensait ignorer les regards insistants des passants dans la rue. Mais il constate qu'être une attraction ambulante est inconfortable.
— Vous ne voulez pas appeler un fiacre ? demande-t-il.
Gabriel, à ses côtés, pivote vers lui, tout sourire.
— Oh s'il vous plaît, laissez-moi profiter du moment.
Adrien est pris à son propre piège. Il espérait que la mascarade ne durerait pas et admet que le ténor est bien plus fort que lui à ce genre de petit jeu.
— À moins que vous ayez froid ? s'inquiète Gabriel.
— N'oubliez pas que je suis l'inspecteur bouillotte.
Le sourire du chanteur suffit à le réchauffer. Ils poursuivent leur marche dans la rue, déjà plongée dans l'obscurité.
— Vous êtes sûr que votre femme va apprécier cette visite surprise ?
Adrien hoche la tête.
— Prenons-lui un petit quelque chose sur le trajet ! suggère Gabriel en tapant dans ses mains.
Son enthousiasme est contagieux et solaire, songe l'inspecteur en l'écoutant faire une liste :
— Des fleurs ? Non pas la saison... Un bijou ? Inapproprié... Oh, des chocolats ?
Adrien voit Gabriel courir vers une épicerie fine encore ouverte malgré l'heure tardive. Il hésite à le suivre à cause de son costume. Il finit par retirer sa coiffe et lui emboîte le pas. La femme qui tient boutique les regarde, amusée. Gabriel choisit un bel emballage d'assortiments au cacao subtils dont le prix exorbitant donne des sueurs froides au mousquetaire. Il s'offre même le luxe d'agrémenter le paquet de quelques feuilles de houx. La gérante essaie de vendre d'autres produits au ténor, mais Adrien le tire par la manche. Les chocolats sont bien suffisants.
— Vous êtes bien enthousiaste, fait remarquer Adrien avec un sourire.
— C'est la première fois que je découche loin de ma péniche ou de l'Opéra.
Le regard d'Adrien s'assombrit, une question est au bout de sa langue, mais il ne veut pas la poser. Son mutisme soudain incite le ténor à couper l'herbe sous le pied :
— Je ne passais pas de nuit entière avec Lambourg. Il devait rejoindre sa femme avant les douze coups de minuit, telle une princesse de conte de fées, me délaissant dans la froideur nocturne, termine-t-il sur un ton théâtral.
Gabriel se moque de Lambourg, mais un petit éclat de tristesse n'échappe pas à Adrien.
— Vous aimez aussi les chocolats ? demande le ténor en adressant une œillade à Adrien.
— Je ne suis pas un bec sucré, mais j'apprécie. Mireille adore ça, avec le thé.
— Oh, c'est vrai qu'elle prépare très bien le Darjeeling.
Pendant qu'ils marchent, Adrien le retient par la manche pour lui éviter une bousculade avec un piéton.
— Comment le savez-vous ? demande l'inspecteur.
— J'ai rencontré votre femme à sa boutique. C'est Amandine qui m'a recommandé son adresse pour réparer mon chapeau. Et je dois admettre qu'elle a fait un travail formidable !
— Le monde est vraiment petit, commente Adrien. Ces chocolats sont un cadeau pour la remercier ?
— Un extra ! Et puis je ne pouvais pas concevoir d'arriver les mains vides chez vous.
Finalement, Adrien parvient à oublier le regard des autres, concentré sur Gabriel et ses expressions faciales dont la palette l'étonne toujours. Il l'écoute, le laisse parler, profitant de ce moment où ils sont loin de l'Opéra, ni suspect ni inspecteur. En moins d'une heure, il apprend que le ténor joue du piano, adore les produits de la mer, le chocolat évidemment, et qu'il a peur des mouettes.
Les voilà enfin sur le palier de l'appartement, Adrien imagine déjà le visage de Mireille qui découvre son accoutrement. Gabriel regarde les environs, pour la dixième fois si ce n'est plus, comme s'il avait peur qu'une ombre se jette sur lui. Lorsqu'il l'invite à entrer, Mireille affiche sa surprise avec un large sourire, avant de rire aux éclats en voyant le mousquetaire derrière lui.
— Bonsoir, madame, j'espère que ma présence ne vous dérange pas ? Votre gentil mari m'a proposé de me joindre à vous pour ce soir, je n'ai pas su dire non : vous savez comment il est difficile en affaires !
Gabriel envoie une œillade complice à Mireille qui répond sur le même ton :
— Oh oui, il vous a forcément ordonné de le suivre.
— Il était prêt à me menotter si je refusais !
Gabriel et Mireille rient pendant qu'elle récupère le manteau du ténor pour l'accrocher. Adrien les regarde se moquer de lui sans rien dire, à vrai dire ça l'amuse aussi.
— Mais que fais-tu en mousquetaire ? demande Mireille en tournant autour de son mari dans le vestibule.
— Il me fallait des arguments, répond Adrien en haussant les épaules.
— Je plaide coupable, madame.
— Vous avez bien fait : ça lui va comme un gant !
— N'est-ce pas ?
— Je vais tout de même me changer pour être plus à l'aise, finit par annoncer Adrien.
Mireille dresse un couvert pour son invité qui scrute les recoins du salon. Il observe une jolie bibliothèque où se côtoient boxe française et mode parisienne, récits policiers et Jules Verne. Puis, il remarque une photo de mariage. Adrien et Mireille posent ensemble, radieux. Un pincement désagréable dans sa poitrine détourne son regard.
— J'espère que vous aimez les tourtes ? C'est ma spécialité.
L'œil de Gabriel brille.
— Je n'en ai pas mangé depuis une éternité.
Pas depuis que Marie est partie, songe-t-il avant d'ajouter :
— Oh ! Tenez, c'est pour vous, mais je ne suis pas contre participer à une dégustation en dessert.
Il tend la boîte à Mireille qui la déballe avec enthousiasme. Touchée par l'attention, elle le remercie en rougissant.
Quand Adrien revient, tout ce beau monde passe à table et savoure la fameuse tourte farcie de crème à la moutarde, de champignons, de courges et de panais avec un bon morceau de pain. Gabriel parle beaucoup de l'Opéra, de son métier avec des anecdotes et n'a pas son pareil pour les rendre croustillantes.
— Une fois, une admiratrice s'est introduite dans ma loge et a retiré son manteau : elle était totalement nue !
Les Vaillancourt écarquillent les yeux, les histoires de Gabriel valent cent fois les articles à sensations de la presse.
— Je l'ai rhabillée prestement évidemment ! Point de jugement de ma part, je peux comprendre qu'on puisse être prêt à tout pour obtenir l'affection de quelqu'un.
Gabriel ne peut s'empêcher de jeter un regard triste sur Adrien. Cela ne dure qu'un battement de cil, mais Mireille a surpris cette attention. La discussion revient sur l'Opéra, puis sur l'enquête.
— Comment avez-vous rencontré Adrien ? demande Mireille très curieuse.
— Et bien, j'ai plaqué votre époux contre un mur, et il me l'a bien rendu.
Mireille fixe Gabriel, les yeux ronds, tandis que son mari laisse tomber de sa fourchette un gros morceau de panais.
— Ce n'est pas..., commence Adrien.
— Pourtant, c'est ce qui s'est passé !
Gabriel affiche une mine très amusée.
— Vous pourriez au moins préciser le contexte, suggère l'inspecteur.
Mireille assiste à cet échange, d'abord circonspecte, puis sourit.
— En tout cas, vous n'y êtes pas allé de main morte, surenchérit Gabriel la bouche en cœur.
— Vous m'aviez menacé, rappelez-vous.
— Ah, oui, c'est vrai. Mais je n'ai aucun regret.
Cette conversation divertit beaucoup Mireille. Elle regarde tour à tour les hommes qui se répondent dans cette fausse dispute. Gabriel prend plaisir à taquiner Adrien qui réplique sérieusement avant de glisser peu à peu dans son jeu. Mireille pose son menton dans le creux de sa main, les observe avec tendresse.
Ils vont bien ensemble.
🐚༄.°
Après le repas, le trio s'attarde dans des discussions plaisantes autour d'une infusion pour accompagner les délicieux chocolats. Mireille est enchantée et ne se prive pas d'en manger plusieurs, un par un, avec un plaisir non dissimulé. Adrien, quant à lui, analyse un chocolat sous toutes ses coutures, avant de le sentir, puis de le porter à ses lèvres. Gabriel suit chacun de ses gestes, songeant même qu'il aimerait être ce chocolat qui goûte ses lèvres et fond sur sa langue. L'expression d'Adrien qui se régale le rend heureux.
Puis, la fatigue finit par gagner la tablée, et le premier à bâiller est Adrien.
Mireille présente la chambre d'amis à Gabriel, avant de disparaître en promettant de revenir avec de quoi dormir. Le ténor fait quelques pas dans la pièce et s'approche lentement d'un landau à baldaquin à proximité d'un lit pour une personne. Vide, bien sûr. Il ne peut réprimer un pincement au cœur. Ses yeux se posent sur les rideaux blancs, puis une armoire massive. Curieux, il l'ouvre et y découvre du linge pour bébé, ainsi que des peluches de diverses tailles. Il ferme la porte rapidement, remarque une série de jouets en bois dans un coin, se penche dessus et glisse son doigt sur la surface lisse d'un cube : une épaisse couche de poussière s'effrite. Toute la maison est rutilante de propreté, ce détail noue l'estomac de Gabriel. Il manque de sursauter quand Mireille revient avec des draps sentant le frais. Le ténor insiste pour l'aider à faire le lit. Puis elle lui tend une très longue chemise de nuit appartenant à Adrien.
— Si vous avez froid...
— Ça devrait aller, merci, dit Gabriel le regard assombri par ses sentiments.
— Merci d'avoir accepté l'invitation, je suis contente de vous avoir revue.
Gabriel lève les yeux sur elle tout en prenant le vêtement.
— Vous vous entendez bien avec Adrien.
— Qui aime bien, taquine bien, répond-il.
Elle sourit.
— J'espère que vous vous fréquenterez encore après l'affaire, il vous apprécie beaucoup.
Mireille échange avec lui un long regard qui le fait rougir.
Elle repart en lui souhaitant une belle nuit. Lorsqu'elle croise Adrien, ce dernier lui rend son sourire, puis se dirige vers la chambre d'ami pour, à son tour, saluer le ténor avant qu'il ne dorme.
— Vous avez passé une bonne soirée ?
— Oui, merci beaucoup pour l'invitation. Votre femme est merveilleuse, vous savez ?
— J'ai conscience d'être chanceux.
— J'ai passé une très belle fin de journée en votre compagnie. Vous n'étiez pas obligé de...
— Allons, coupe Adrien, ne pensez pas que je vous ai pris en pitié : j'avais envie de vous remonter le moral.
— Merci, balbutie Gabriel.
— Bonne nuit, à demain matin.
Adrien lui sourit comme il ne l'avait jamais fait jusqu'ici, puis quitte la chambre. Le cœur de Gabriel bat très fort. Qu'il aurait aimé le retenir, l'inviter à dormir avec lui, profiter de sa chaleur ! Il prend une profonde inspiration, puis se met totalement à nu pour enfiler la robe de chambre d'Adrien. Ça lui donne un frisson. Puis il s'allonge dans le lit, avec l'agréable sensation que l'inspecteur l'enveloppe de sa présence.
Gabriel s'endort, bercé par ce cocon.
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J'espère que ça vous plait toujours ? Que pensez-vous de la réaction de Mireille ? Je suis curieuse de savoir ^^
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