Chapitre 18
Adrien est soulagé. Sa théorie, validée par Messager, lui permet d'innocenter Gabriel.Mais le meurtrier court toujours. Sa seule piste, pour l'instant, est celle du cuisinier.
Il se dirige vers la rotonde du glacier. Lucien Lapreuze est déjà là, préparant des tas de mignardises pour le buffet de ce soir. Cette fois, Adrien observe de loin, attendant que sa présence soit perçue par l'immense chef. Quand Lucien le voit, ce dernier donne des instructions à son commis, puis s'avance tranquillement vers Adrien, sans aucune agressivité.
— Vous reprenez le travail ?
— Oui.
— Comment vous sentez-vous ?
— Mieux. Mais ça n'aurait pas dû arriver. Je suis sincèrement désolé, monsieur l'inspecteur.
Adrien acquiesce. Lucien regarde autour de lui avant de se pencher sur lui.
— Je termine mon service très tard, mais j'aimerais vous parler, dit à voix basse le cuisinier.
— Très bien.
Les deux hommes se séparent, puis Adrien entreprend d'interroger plusieurs danseurs qui étaient absents depuis son arrivée. Beaucoup montrent de la distance envers Allaire, contrairement à madame Patti, et assurent que les deux portés disparus n'entretenaient aucune liaison. Chose intéressante, Adrien découvre que la chanteuse s'entendait bien avec Gabriel. Mais, pour l'heure, il n'est pas d'humeur à parler avec le ténor.
Lorsqu'il quitte le foyer de la danse et croise Gabriel totalement par hasard, sa mâchoire se crispe en même temps que son cœur.
— Monsieur Vaillancourt.
— Oui ? répond sèchement Adrien.
L'inspecteur tient ses distances, restant à deux mètres de lui.
— Grâce à vous, je suis innocenté, j'aimerais vous remercier.
Gabriel s'approche un peu, le sourire avenant.
— C'est inutile, je ne fais que mon travail, monsieur de Neuville.
Le ton d'Adrien lui glace le sang. Ne perdant pas la face, il ose demander :
— Comment avez-vous su ?
À cet instant, Adrien revoit des images, fugaces, de cette soirée. Son cœur se lève dans une nausée qu'il réprime.
— Cela ne vous regarde pas.
Sur ces mots, il s'éloigne pour prendre un autre couloir. Gabriel le rattrape.
— Vendredi soir, la porte de ma chambre d'hôtel était ouverte, c'était vous ? Vous m'avez suivi ?
Gabriel devient livide quand Adrien détourne les yeux. Sa main se crispe sur le bras de l'inspecteur qui, d'un mouvement, la rejette. Son esprit est un château de cartes qui s'écroule.
— Je vous dégoûte ? dit-il d'une voix étranglée.
Adrien s'accroche à son masque de froideur pour ne laisser filtrer aucune émotion à travers ses traits.
— Monsieur de Neuville, ce que vous faites en privé ne me regarde pas. Je ne suis pas la brigade des mœurs et je n'ai pas spécifié la nature de votre relation avec Lambourg dans mon rapport.
Ce n'est pas ce que Gabriel veut entendre.
— Vous agissez comme si je vous répugnais.
— Je n'ai rien à vous dire de plus, rétorque Adrien en plantant ses yeux dans ceux du ténor.
Le silence soudain pèse sur leurs épaules, l'inspecteur le brise avant qu'il ne soit trop lourd.
— Vous m'avez délibérément caché votre liaison avec Lambourg, comment puis-je continuer de vous faire confiance ? Avez-vous la moindre idée de ce qui aurait pu vous arriver si je ne l'avais pas découvert ? Vous pensez que votre amant vous protège ?
Gabriel est écrasé par la carrure d'Adrien qui le surplombe. La langue de l'inspecteur se délie dans un ton entre colère et tristesse :
— Lambourg est prêt à vous sacrifier pour sa carrière. Cette ordure ne fait que profiter de votre charme ! Que vous donne-t-il en échange ? Des cadeaux ? De l'argent ?
Les lèvres de Gabriel s'entrouvrent, sa mâchoire tremble. Adrien lui découvre un nouveau visage, aux yeux écarquillés et rougis, où se dessine la honte.
— De la chaleur, balbutie le chanteur sans réfléchir.
Adrien se fige, il ne s'attendait pas à cette réponse. Gabriel baisse la tête, le silence de l'inspecteur lui est douloureux.
— De toute façon, poursuit-il difficilement, je ne vous suis plus utile désormais. Nous n'avons plus aucune raison de nous fréquenter. C'est mieux pour vous.
Le simple fait d'imaginer qu'ils ne se verraient plus noue l'estomac d'Adrien. Il voit le ténor qui tourne les talons pour prendre des escaliers. Il tend une main vers lui, beaucoup trop tard. La sidération le cloue sur place.
Un coup de manche à balai sur son tibia lui arrache un cri. Il se penche. Odette le fixe d'un regard noir.
— Z'êtes un idiot, siffle-t-elle.
— Je n'ai rien fait de mal, se défend Adrien.
Il recule de deux pas pour s'éloigner de l'effrayante femme qui le menace toujours avec son ustensile.
— Ah ouais ? Vous v'nez d'faire pleurer Gabriel.
— Je ne voulais pas...
— J'sais ! C'pour ça qu'je dis qu'vous êtes un idiot ! Vous avez blessé Gabriel comme un rustre à sous-entendre qu'c'est un gigolo !
Adrien baisse les yeux. Il réalise enfin que son cœur bat à tout rompre, passe une main, tremblante, sur sa figure. Odette a cessé de le menacer avec son balai.
— Au moins, j'espère que c'tt' histoire va l'faire changer d'avis, grommelle la petite femme. C'était pas la solution à sa solitude.
Pincé au cœur, l'inspecteur rebondit :
— Gabriel se sent seul ?
— Allez-lui d'mander vous-même !
🐚༄.°
Perçant à travers les nuages, le soleil se couche sur les toits de Paris. Le ciel se farde d'un rose orangé cotonneux. Les derniers rayons de lumière hâlent les tuiles d'ardoise tout en se retirant du dédale des rues étroites. L'astre termine sa course en projetant ses ultimes reflets sur les belles statues dorées du palais Garnier.
Accoudé sur un muret, Gabriel observe ce paysage brillant et coloré. Il grelotte mais son esprit est ailleurs, loin des sensations que lui renvoie son corps. Ses yeux bleus sont pailletés de lumière, mais leur rougeur trahit son émoi.
Il pense à Lambourg, de leur rencontre à leur première nuit. Tout n'est qu'une succession de mauvais choix qui auraient pu l'amener sous les barreaux. Qu'attendait-il au fond ? Ils ne s'aimaient pas.
Le vide en lui grandit. Il croise les bras, plaque son front dessus, puis ferme ses yeux, balayant quelques larmes. La brise glaciale lui mord la peau, quand une chaleur réconfortante se dépose sur ses épaules.
Il se redresse, surpris, et découvre Adrien, sans manteau. Gabriel sourit et s'emmitoufle dans le vêtement en laine, comme s'il s'agissait d'un duvet.
— J'ai été indélicat, avoue Adrien en se massant la nuque. Je vous prie d'excuser mes propos, je ne voulais pas vous blesser.
Gabriel observe le regard fuyant de l'inspecteur, ses larges et solides épaules, ses cheveux dont la laque ne tient plus les mèches qui glissent sur son front.
— Vous ne me dégoûtez pas, monsieur de Neuville. Quelle que soit la raison qui vous a poussé dans les bras de Lambourg, cela ne regarde que vous. Je n'aurais pas dû vous juger de la sorte.
Le silence qui suit met Adrien mal à l'aise, mais il parvient à lever les yeux sur Gabriel, ridiculement petit dans son manteau, mais qui semble s'y sentir bien. Ça lui fait plaisir, plus qu'il ne faudrait.
— Vous savez, commence Gabriel, si j'avais eu dans ma vie une veste aussi chaude, peut-être que j'aurais fait d'autres choix.
Enfin, le ténor sourit comme avant. Adrien accueille cette phrase avec un rictus au coin de sa bouche.
— Vous êtes sacrément frileux, raille l'inspecteur.
— Vous n'avez pas idée ! Mais, se pourrait-il que vous ayez une chaufferie à la place du cœur ?
— Comment ça ? demande Adrien en posant ses poings sur les hanches.
— Auprès de vous, je n'ai jamais froid.
Adrien rougit et détourne à nouveau ses yeux sur les toits parisiens.
— Peut-être parce que j'ai du sang méditerranéen.
— Oh vraiment ?
Gabriel fait un pas vers lui, le regard pétillant. Adrien s'avance vers un muret pour s'accouder, imité ensuite par le ténor.
— Oui, une partie de ma famille est Valencienne. Et vous ?
Adrien tourne la tête vers Gabriel qui a déposé son menton dans la paume de sa main.
— J'ai probablement des ascendances germaniques, c'est moins séduisant.
— Vous n'avez pas besoin de ça pour l'être.
Gabriel glisse vers Adrien un regard lourd de sous-entendus. L'inspecteur déglutit et observe soudain vers l'horizon, repère la tour Eiffel et s'y accroche. Ses oreilles et sa nuque chauffent.
— Je veux dire, en toute amitié bien entendu, vous avez du charisme, quelles que soient vos origines.
Gabriel éclate de rire, le policier est vraiment adorable.
— Vaillancourt, je ne vais pas vous manger tout cru si vous me trouvez joli, voyons ! Merci du compliment.
Adrien affiche un sourire en coin : cette phrase lui rappelle une conversation qu'ils ont eue ensemble, il y a dix ans déjà. Est-ce qu'il devrait le lui dire ? Non, ça ne sert à rien. Pire, il pourrait l'accuser de l'avoir caché tout ce temps.
— J'accepte vos excuses, dit Gabriel en relevant le col du manteau.
Un long silence apaisé s'installe quelques instants.
— Des roses, des vêtements, du parfum..., poursuit-il, Lambourg m'a offert toutes ces choses.
Adrien le regarde du coin de l'œil, un peu surpris par la tournure des choses. Mais il sent que Gabriel a envie d'en parler. Alors, il se tait.
— C'est grisant vous savez, quand quelqu'un de haut placé vous courtise avec des cadeaux luxueux. Mais ce n'était pas ce dont j'avais besoin. Je ne me souviens plus vraiment quand tout a basculé dans cette liaison charnelle. La seule chose qui me revient, c'est la chaleur de nos ébats qui me faisait du bien, avant de disparaître aussitôt consommée.
Gabriel baisse le regard vers les rues déjà plongées dans la vie nocturne.
— Ça aurait pu être n'importe qui d'autre en vérité, conclut-il sans l'ombre d'un sourire sur son visage.
Adrien scrute aussi au loin, les mains entrecroisées. Son cœur s'est levé à plusieurs reprises. Il risque un œil sur Gabriel dont les dernières paroles résonnent dans sa tête. Lentement, il s'approche de lui, attrape un pan du manteau et le tire pour amener le chanteur face à lui.
Gabriel le laisse faire, surpris, le cœur battant.
— Vous dites que si vous aviez eu plus de chaleur dans votre vie, peut-être que vous auriez fait d'autres choix...
Adrien ouvre le manteau d'une main tremblante. Il ne regarde pas le ténor dans les yeux, il ne peut pas, cela couperait cet élan qu'il ne désire pas réprimer. Timidement, ses bras étreignent Gabriel par la taille, l'amènent et le pressent contre lui.
— Je ne sais pas si le peu que je vous offre peut être suffisant.
Gabriel sent le corps chaud d'Adrien à travers ses vêtements. Il ferme les yeux et sourit, profitant de sa douceur. Il se sent bien, réchauffé jusqu'au plus profond de sa poitrine. Ses lèvres s'entrouvrent, il lâche un soupir. Non sans difficulté, il se retient de serrer cet homme, si gentil, contre lui.
— Vous n'aimez pas je fréquente Lambourg, n'est-ce pas ?
Adrien baisse sa tête pour répondre timidement à son oreille :
— Vous méritez mieux.
Gabriel se dit qu'il est vraiment dans de beaux draps, enfin, de beaux bras, desquels il n'a plus envie de partir. Il sait le manque que lui causera le départ d'Adrien, quand l'inspecteur rejoindra sa femme ce soir. Il ne devrait pas s'y accrocher, ne pas se laisser aller, mais c'est plus fort que lui, le plaisir d'être ici le rend heureux.
— Votre simple présence vaut mille nuits passées avec Lambourg. Je vais y prendre goût, faites attention.
Ils rient un peu ensemble avant de rentrer car, malgré tout, Adrien n'est pas immunisé au froid. Dans un doux silence, avant de se séparer, les deux hommes s'échangent un regard rempli de gratitude d'un côté et de bienveillance de l'autre.
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Je n'avais pas envie de tomber dans le cliché de la miss communication, ou bien celui du personnage qui devient froid pendant 40 épisodes tant qu'il aura pas parlé avec l'autre. De fait, ça a aboutit très vite a un moment romantique entre Adrien qui s'enfonce dans son déni et Gabriel qui en profite toujours un peu xD
Ce n'était pas trop rapide ?
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