Chapitre 14
Assis dans une petite pièce servant d'infirmerie, Adrien grimace de douleur malgré la délicatesse d'Amandine : l'application de la pommade sur sa pommette lui déclenche comme des décharges électriques. Il imagine déjà le visage de Mireille pâlir quand elle le verra blessé. Ce métier à risque est une source d'anxiété pour son épouse, et Adrien culpabilise à l'avance de l'inquiéter davantage. Il grimace à nouveau.
— Pardon, bafouille la jeune femme.
— Ce n'est pas vous, je dois avoir une petite fracture.
Son regard ambré glisse sur le commis de cuisine en face de lui, Basile, qui triture sa toque en scrutant le policier.
— Je suis vraiment désolé de ce qui vous est arrivé monsieur, s'excuse-t-il.
Amandine sort d'une trousse de premiers secours de quoi réaliser un pansement.
— Mon confrère a des problèmes d'humeur, mais il est suivi par un médecin ! s'empresse-t-il d'ajouter. Il a dû oublier de prendre son médicament ce matin.
Chaque employé qu'Adrien rencontre en défend un autre. Il les comprend. Les policiers font de même entre eux. C'est peut-être pour cette raison que l'enquête piétine, trop de secrets sont balayés sous le tapis « pour la famille ». Monsieur Lapreuze fait un excellent suspect, mais Adrien n'en dit rien à Basile qui se préoccupe justement de la suite de l'événement.
— Vous allez l'embarquer ? demande nerveusement le commis en serrant les genoux.
— Je devrais. Il vient d'agresser un agent de police, devant témoins.
Basile blanchit à vue d'œil derrière son épaisse moustache.
D'une foulée silencieuse, semblant presque sortir des murs, Messager entre dans la pièce, l'air grave.
— Comment allez-vous, monsieur Vaillancourt ?
— Plus de peur que de mal, se contente de répondre l'inspecteur.
Amandine recule, elle a terminé et préfère se retirer. Adrien a à peine le temps de la remercier.
— Je venais prendre de vos nouvelles, et vous dire que Lucien s'est réveillé.
Basile fait quelques pas vers Messager.
— Comment va-t-il ?
— Bien. Mais je lui ai ordonné de rentrer chez lui pour une semaine, ce n'est pas normal qu'il ait négligé son traitement. C'est... problématique.
Adrien a l'impression qu'un sous-entendu passe entre les deux hommes face à lui.
— Qu'a-t-il dit à son réveil ? demande Adrien.
Messager semble gêné par sa question.
— Il s'excuse profondément.
— Quand il est comme ça, il n'est plus lui-même et oublie ce qu'il a fait, bredouille Basile.
Mais le petit homme reçoit en retour un regard foudroyant de son patron. Adrien enregistre cette information très intéressante dans un recoin de sa tête.
— Monsieur Vaillancourt, commence Messager, je vous assure que Lucien est un homme fiable qui travaille ici depuis des années. Il n'a jamais blessé qui que ce soit.
Mensonge, devine Adrien en observant un léger haussement des épaules du directeur au moment où il défend le cuisinier.
— Je ne vais pas l'emmener, annonce l'inspecteur en se relevant. À condition qu'il prenne son traitement. Au moindre soupçon, ou altercation, je sévirai.
Basil écarquille ses yeux brillants d'espoir. Il ne se doute pas qu'Adrien essaie de gagner la confiance des employés. Messager plisse les paupières, il est moins dupe mais se détend.
— Laissez-moi passer !
Le directeur et Basile sont bousculés par un ténor en panique. Adrien est surpris de voir Gabriel se pencher sur lui, portant le déguisement de Sigurid par dessus son costume, l'air terriblement inquiet.
— Je vais bien, bafouille l'inspecteur dont les oreilles chauffent.
Gabriel fronce les sourcils, comme s'il demandait implicitement si c'était vrai. Il tend une main tremblante vers le pansement et se ravise. Le geste fait rougir Adrien qui détourne le regard de ses yeux bleus.
Le chanteur tourne les talons pour faire face aux deux hommes restés silencieux. Il clame avec un ton sévère :
— Comment c'est arrivé ?
— Lucien a oublié son médicament..., tente d'expliquer Basile.
Soudain, Adrien est spectateur d'une dispute où Gabriel accuse tour à tour le directeur et le commis d'être responsables de la situation. Le coeur de l'inspecteur s'emballe, sans raison apparente.
— Vous savez à quel point c'est grave ! conclut le chanteur, la gorge serrée.
Messager lâche un soupir, s'excuse auprès d'Adrien avant de prendre congé en emmenant un Basile totalement démuni avec lui.
Le silence revient comme une chape de plomb, mettant mal à l'aise Adrien, mais la présence de Gabriel ne lui donne pas envie de quitter la pièce.
— Bon ! s'exclame soudain ce dernier tout sourire. Je dois retourner au travail. Ménagez-vous, inspecteur, je serais triste de ne plus vous revoir.
Adrien reconnaît bien là le fantasque Gabriel et son air taquin.
— Ce serait plutôt une bonne nouvelle pour vous, cela signifierait que l'enquête est résolue et que vous n'êtes pas sous les barreaux.
Le visage de Gabriel se fige quelques secondes, il s'attendait à autre chose et retient un rictus de déception.
— Votre vie ne s'arrête pas à cette enquête j'espère ?
— Non, en effet.
— Et bien ! Nous aurons le loisir de nous revoir après tout ce bazar.
Un « pourquoi pas » reste coincé dans la gorge d'Adrien. Il déglutit.
— Qu'allez-vous faire du reste de la journée ? demande le ténor en esquissant un sourire espiègle.
— Désolé, je n'ai pas à vous donner mon emploi du temps, réplique l'inspecteur en levant un sourcil.
— Et si vous me surveilliez ?
— Quoi ?
— Je suis un suspect : espionnez-moi cet après-midi, dit-il tout content de son idée.
— Le principe d'une filature, c'est de le faire à votre insu.
— Oh. Évidemment.
Gabriel réfléchit en tordant sa bouche, un doigt posé sur le coin de son menton. Adrien est amusé de le regarder chercher une excuse sans se cacher.
— Si je m'apprêtais à esquiver en catimini la répétition pour un rendez-vous hors de l'Opéra, vous trouveriez ça douteux ? demande le ténor en levant son index.
— Ma foi, oui, pourquoi ?
L'inspecteur est de nouveau désarçonné par Gabriel qui lui répond en quelques battements de cils. Soudain, Adrien se retrouve avec l'armure en mousse de Sigurd sur la tête. Lorsqu'il l'enlève, le ténor a disparu.
🐚༄.°
Après avoir fouillé le rez-de-chaussée, Adrien aperçoit enfin la silhouette de Gabriel depuis une fenêtre. Ce dernier est déjà dehors, montant dans un fiacre. L'inspecteur se précipite dans la cour, enfourche son vélo et pédale à toute vitesse pour retrouver le véhicule à l'intersection entre les rues Charles-Garnier et Auber.
Lorsqu'il est à distance suffisante, Adrien ralentit afin de ne pas éveiller les soupçons du cocher. Les chevaux vont tout droit, filant dans la grande avenue de l'Opéra. Se dresse devant eux la façade de l'aile Richelieu du Musée du Louvre. Des colonnes corinthiennes, sous le pavillon Rohan, ouvrent un passage menant à la place du carrousel et son parterre de fleurs. Adrien balaye d'un regard rapide l'architecture massive et ornementée du Louvre avec ses toits mansardés en ardoise.
Le fiacre fait halte devant la place Napoléon. Adrien s'arrête à quelques mètres derrière et observe Gabriel descendre, puis traverser le petit jardin en direction de la porte Denon du Louvre. L'inspecteur approche et voit disparaître sa cible dans le bâtiment, l'obligeant à laisser son vélo à proximité du vestibule.
Il monte rapidement les quelques marches menant à la porte et entre en bousculant une personne qui le sermonne. Adrien s'excuse brièvement et fouille la pièce du regard à la recherche de la moindre chevelure argentée. Il retire son chapeau et avance dans l'immense rez-de-chaussée. Son rythme cardiaque s'accélère. Malgré le froid hivernal qu'il a traversé, il suffoque et ouvre son grand manteau. Il sort son mouchoir azur, essuie la sueur de son front avant de le ranger dans la poche de son gilet.
Gabriel n'a pas pu aller bien loin, se dit Adrien quand il aperçoit un costume bleu marine à quelques mètres. Il se précipite et réalise qu'il s'agit d'un vieillard grisonnant. Il peste entre ses dents et fouille du regard la salle et tombe sur Gabriel, montant les escaliers à l'autre bout de la pièce. L'inspecteur marche d'un pas rapide dans sa direction, mais une fois sur le palier, le ténor a encore disparu. Devant lui s'étend une galerie de magnifiques peintures italiennes. Les doigts d'Adrien tremblent, il serre les poings. Le ténor se joue-t-il de lui ? Avec qui a-t-il rendez-vous ?
Une main se pose sur son épaule, coupant net le flot de ses pensées.
— Quelle surprise de vous croiser ici, monsieur ! chantonne presque une voix à sa droite.
Adrien se tourne vivement pour voir Gabriel, très amusé par la situation.
— Vous aimez la peinture ? Ou vous préférez la sculpture, peut-être ? demande-t-il en se mettant face à lui avec un sourire moqueur.
L'inspecteur le fixe intensément. Ses yeux ambrés essaient de sonder le ténor qui ne se laisse pas impressionner par son regard. Au contraire, ça lui plaît.
Adrien cherche ses mots. Son cœur s'emballe, à la fois contrarié et content.
— Vous saviez que j'allais vous suivre jusqu'ici, parvient-il à dire à voix basse.
— Pas le moins du monde, ment Gabriel sans se cacher.
— Votre répétition...
Le ténor hausse les épaules.
— Je n'en ai pas besoin. Les autres devront se passer de moi pour une fois.
Impertinent.
— Vous le savez, je n'aime pas être seul. Et la visite est un peu triste en solitaire. Mais maintenant que vous êtes là, voulez-vous m'accompagner ? Ce serait vraiment complaisant de votre part, termine Gabriel en battant de ses longs cils.
Adrien se sent pris au piège. Mais la situation lui procure un sentiment heureux, inavouable. Il durcit son visage, pour paraître imperturbable.
— Mais, vous n'aviez pas dis avoir un rendez-vous avec quelqu'un ?
Gabriel étouffe un rire derrière le dos de sa main.
— Oh Vaillancourt ! se retient-il de clamer à haute voix dans la salle silencieuse.
Il arrange une mèche de cheveux derrière son oreille et se pince la lèvre pour retenir un dernier rictus. Adrien le fixe, il comprend ce qu'il se passe.
Gabriel sait qu'il ne devrait pas faire ça. Il devrait cesser d'importuner le beau policier. Mais c'est plus fort que lui, il prend beaucoup trop de plaisir à le faire et à profiter de sa présence.
Il se dresse sur la pointe des pieds et lui murmure langoureusement :
— C'est vous, mon rendez-vous.
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Est-ce que je suis contente de la façon dont Gabriel a manipulé Adrien ? Oui xD
La pyramide du Louvre n'existait pas encore, à la place se trouvait un petit jardin, devant un parterre de fleur qui n'existe plus non plus .
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