Chapitre 10
La volonté d'Adrien s'est dissoute dans un brouillard épais, son esprit est emprisonné dans un cocon. La femme face à lui sourit de plus belle et s'approche, pose sa main sur sa joue pour la pincer.
Aucune réaction du policier, complètement léthargique. Satisfaite, elle tourne les talons et se dirige vers l'escalier menant aux loges. Adrien ne pense plus, somnambule, il se met à la suivre comme un papillon hypnotisé par la lumière.
— Ça n'a rien de personnel, dit-elle en grimpant tranquillement les premières marches.
À quelques pas derrière elle, Adrien ne l'entend pas vraiment, sa voix lui paraît lointaine comme si sa tête était sous l'eau.
— Je ne vais pas vous faire de mal, au contraire, susurre-t-elle, vous allez prendre du plaisir à en mourir.
Sur le palier, elle se retourne et lui attrape la main. Au contact de sa peau, un frisson parcourt chaque disque de la colonne vertébrale d'Adrien. Puis, une chaleur se développe dans son corps contre son consentement, emballe son rythme cardiaque, fait pulser le sang dans ses veines. Il ressent soudain une excitation dans son bas-ventre. Plus ils avancent, plus ce ressenti inconfortable prend de l'ampleur.
La femme ouvre une porte, probablement sa loge.
— Je peux savoir où tu emmènes monsieur Vaillancourt, Joséphine ?
Elle se retourne et découvre Gabriel qui la toise avec une attention froide. Il croise les bras pour signifier son mécontentement.
— Oh, mon petit Gabriel, je t'ai piqué un de tes jouets ?
— C'est possible. Dans tous les cas, tu n'as plus le droit de venir au palais, encore moins de chasser.
Elle hausse les épaules, tandis qu'Adrien reste debout, hagard, le regard voilé par une étrange fumée rose. Gabriel s'avance, furieux.
— Je voulais récupérer mes dernières affaires et j'ai croisé ce bel homme sur ma route, voilà tout, se défend Joséphine.
— Tu as conscience que s'il arrive quelque chose à un agent de police ici, tu vas tous nous mettre en danger ?
Il serre les poings pour contenir sa colère.
— C'est vraiment ce qui t'inquiète ? demande-t-elle en levant les sourcils avec un air amusé. Tu sais bien que je ne vais pas le manger, même si j'ai un gros appétit.
Une langue bifide vient lécher les lèvres de la femme qui tient toujours fermement la main de sa docile proie. Devant la grimace du ténor, elle affiche un sourire carnassier.
— Laisse-le-moi en cadeau d'adieu. Je te le rends après, promis.
Adrien n'entend que des échos de cet échange, ne voit que des formes humanoïdes qui se font face dans d'épaisses ténèbres, tandis que son corps lui donne l'impression d'être en feu. Gabriel, lui, bout de l'intérieur, mais pour une tout autre raison.
— Tu veux te mesurer à moi Joséphine ?
Ils se fixent. Des iris de Gabriel se dégage une fureur bleutée. Son visage, habituellement taquin, affiche une expression défiante et agressive. Joséphine déglutit.
— Tu en fais vraiment tout un drame ! clame-t-elle.
— Lâche-le.
L'injonction perfore les défenses mentales de la femme qui tressaille et délaisse immédiatement la main d'Adrien. Elle tente de recouvrer son sang-froid.
— Tu n'as pas le droit de me...
— Prends tes affaires et disparais.
Soudain, Gabriel sent une autre présence et voit Joséphine regarder derrière son épaule. Il se retourne et surprend une silhouette qui les espionne depuis le palier des escaliers, avant de fuir.
Tout à coup, de très longues mains griffues attrapent le cou du ténor, le serrent en prenant soin qu'aucun son ne s'échappe de sa gorge. Un coup brutal fléchit un genoux du chanteur et le renverse au sol. Son adversaire se met à genoux sur son dos pour écraser ses poumons de tout son poids et rendre ses mouvements inutiles.
— Je t'ai toujours détesté, sale sodomite ! À constamment racoler mes proies ! Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas !
La vision de Gabriel se trouble, ses doigts agrippent désespérément la robe de la femme derrière lui. Un filet de bave coule sur la moquette, son visage devient rouge. La douleur de ses côtes qui cherchent à déployer un souffle lui arrache des larmes. Tout à coup, Joséphine voit des cheveux argentés s'enrouler autour de ses poignets, puis serrer jusqu'au sang. Elle hurle et relâche son étreinte, permettant à Gabriel de crier, non sans souffrance, une injonction à destination d'Adrien.
— Défends-moi !
La voix du ténor perce le brouillard dans lequel est emprisonné l'esprit de l'inspecteur. Sous ses ordres, il attrape les épaules de la femme d'une poigne ferme et la dégage sur le côté comme un vulgaire mannequin. Gabriel, tousse, les muqueuses de sa gorge, lui donnent l'impression de contenir des charbons incandescents.
Joséphine se redresse, mais Adrien la saisit avec une force surprenante, la plaque contre un mur, tire ses bras dans son dos et passe les menottes autour de ses poignets.
Adrien a agi par automatisme. Il recule et titube; la sensation ardente en lui, ainsi que le brouillard, sont encore là. Une main se pose sur son épaule, mais il ne réagit pas.
Gabriel se met face à lui pour inspecter son regard. Le ténor peste, le charme est toujours actif et Joséphine ne lui fera pas le plaisir de l'en débarrasser. Sa gorge nouée l'empêche de prononcer le moindre mot.
Des pas rapides arrivent depuis l'escalier.
C'est Odette, armée de son balai, alertée par le cri de Gabriel. Lorsqu'elle reconnaît Joséphine son inquiétude se mue en fureur.
Joséphine, quant à elle, devient livide quand elle voit la petite femme courir droit sur elle en levant son bâton. Probablement parce qu'elle sait ce qui l'attend, elle prend la fuite, traverse une fenêtre avant de se transformer en corbeau, laissant les menottes tomber au pied de l'immeuble parmi les éclats de verre.
— C'te gaupe si j'l'attrape j'la tue moi-même ! crache Odette en cassant le manche de son balai entre ses mains pour se calmer.
Elle se tourne vers Gabriel qui passe un bras d'Adrien sur ses épaules pour le soutenir et comprend immédiatement que le policier n'est pas dans son état normal.
— Faut qu't'aille voir Messager.
Le ténor secoue la tête, puis lui fait signe qu'il a besoin de boire.
— Ah !
Elle plonge sa main dans une poche de sa robe pour en sortir une bouteille d'eau. Gabriel sourit pour la remercier.
— Va falloir gérer cette histoire de fenêtre... et nettoyer ! Toujours nettoyer derrière c'te salope !
Gabriel se désaltère d'une grande gorgée, le liquide apaise sa gorge douloureuse.
— André est doué pour inventer des explications, je ne m'inquiète pas, dit Gabriel la voix enrouée.
— Tu vas faire quoi d'lui ?
Odette pointe Adrien du menton. Ce dernier est de plus en plus fiévreux et ne tient plus droit, comme ivre mort.
— Ça va se dissiper, en attendant je m'en occupe.
La petite femme fronce les sourcils et croise les bras.
— J'sais très bien c'qu'il a, c'est c'qui m'préoccupe.
— Tu t'inquiètes pour moi ou pour lui ? demande le ténor d'une voix suave.
— Bah ! Ça m'regarde pas tes histoires de fesses après tout ! J'vais voir le dirlo et toi fais pas l'con, conclut Odette d'une œillade menaçante.
Gabriel rit, mais tousse aussitôt. Puis, pendant qu'Odette disparaît au rez-de-chaussée, il guide Adrien vers sa loge.
— Vous pesez votre poids, se plaint-il.
— Chaud..., parvient à dire l'inspecteur.
— Oh ça, je m'en doute bien.
Adrien veut que tout s'arrête, ce brouillard qui le rend ivre, cette sensation qui prend possession de son corps et lui fait exprimer un désir charnel. Il ne sait pas qui lui parle, l'aide à avancer et l'assied dans un fauteuil.
Après avoir déposé l'inspecteur dans sa loge, Gabriel trouve un verre sur sa coiffeuse, le remplit avec la bouteille laissée par Odette, puis enveloppe le récipient bien au creux de sa main sans bouger pendant quelques secondes. Un râle attire son attention : la sueur perle au front d'Adrien. Le ténor s'approche de lui.
— Ça vous fera du bien, dit-il en lui proposant l'eau fraîche.
Adrien regarde devant lui, distinguant vaguement qu'une personne lui tend quelque chose qui brille. Le scintillement du cristal tire un souvenir de ses pensées nébuleuses.
Un verre, comme ce soir-là.
— C'est un rêve... ? balbutie l'inspecteur.
Gabriel ne répond pas. Voyant qu'Adrien n'attrape toujours pas le verre, le ténor saisit sa main pour le lui donner. L'inspecteur boit d'une traite. D'un geste lent, Gabriel pose le plat de sa paume sur le front d'Adrien.
Il est brûlant, constate-t-il.
N'ayant rien pour le rafraîchir, il se penche sur lui pour dénouer sa cravate. Gabriel lève les yeux sur le visage rougi d'Adrien. Ses doigts effleurent son cou perlé de sueur pour tirer le col et laisser l'air ambiant caresser sa peau. Sur sa lancée, il défait entièrement le gilet et les premiers boutons de la chemise.
Adrien se sent un peu mieux, mais ses muscles restent tendus dans l'attente d'un rapprochement plus intime pouvant le satisfaire. Il a envie d'être touché, caressé, et bien plus. Ses yeux voilés scrutent la personne floutée devant lui.
Gabriel croise son regard langoureux, ça lui donne un frisson très agréable, trop pour être honnête.
— J'aurais adoré profiter de vous dans d'autres circonstances, dit-il. Je n'ai pas envie de vous faire quoi que ce soit dans cette situation, même si ça vous soulagerait.
Alors qu'il se redresse pour s'éloigner, la main de l'inspecteur le tire contre lui. Gabriel maintient difficilement une distance entre son visage et celui d'Adrien. Il pourrait se débattre, lui formuler une injonction, mais au fond de lui la culpabilité de lui en avoir imposé à plusieurs reprises lui coupe l'initiative.
— Pensez à votre femme, tente Gabriel pour essayer de le faire réagir, pensez à Mireille !
Une main se pose dans le creux des reins du ténor qui déglutit tandis qu'un délicieux frisson le parcours.
Ah, quel dommage.
— Vraiment, vous me rendez la chose difficile, vous savez ?
La délicate main de l'inspecteur qui s'enroule autour de sa nuque le tourmente, si douce, et fauve à la fois. Tant de contradictions qui ne font que séduire davantage le ténor.
— Vous avez une carrière et un mariage à protéger, continue Gabriel plus pour se convaincre de ne pas se laisser tenter. Je ne suis pas une bonne personne, Adrien.
Gabriel observe ses yeux ambrés, voilés de rose. Il sent contre son corps, celui, ardent, d'Adrien. Il niche sa tête dans son cou, la bouche près de son oreille. Pendant que les mains de l'inspecteur s'agrippent à lui, haletant, Gabriel chantonne une berceuse qui parvient à faire sombrer son esprit dans un profond sommeil.
🐚༄.°
Adrien se redresse en sursaut. Il constate qu'il est dans un fauteuil, gilet ouvert et chemise partiellement déboutonnée. La panique le saisit quelques instants avant de reconnaître la loge où il se trouve. Ses mains tâtonnent son propre corps à la recherche d'une blessure, ou de n'importe quoi d'autre de suspect. Puis, il observe la pièce.
Gabriel est assis sur une chaise, avachi sur la coiffeuse, la tête posée sur ses bras croisés en guise d'oreiller. Il ne dort pas, ses yeux bleus le regardent avec une intensité qui le fait rougir.
— Vous êtes une très jolie marmotte, vous savez ? dit-il en se rasseyant convenablement.
— Je... Qu'est-ce que je fais ici ?
Adrien passe sa main sur sa figure.
— Oh, vous avez fait un malaise dans le magasin de costume.
— Il y avait une femme en robe rouge, se souvient-t-il en fronçant les sourcils.
Gabriel sort un discours qu'il a anticipé durant deux bonnes heures :
— Une « amie » de Messager, c'est elle qui vous a vu chanceler.
L'inspecteur n'arrive pas à déceler le mensonge dans cette réponse préparée à l'avance.
— Elle fumait quelque chose.
— Madame Pervenche à la manie de consommer un tabac très incommodant. Vous avez fait un malaise, conclut Gabriel en haussant les épaules.
Adrien peine à y croire, il ne se savait pas aussi fragile. D'ailleurs, il se dit qu'il devrait voir un médecin.
— Et votre réflexe a été de me porter jusqu'à votre loge ?
Gabriel rit, il s'attendait à cette question.
— Ma loge est un sanctuaire, monsieur Vaillancourt, répondit-il tendrement.
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Je pense que vous avez comprit maintenant dans quel contexte se trouve Adrien, non ? x)
Vous avez des théories ?
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