Chapitre 4 - Turbulence et résilience
— Vous n'êtes pas sérieux ? s'étouffe Harry.
— Ne croyez pas que ce soit de gaieté de cœur, Potter.
Au plus grand désarroi d'Harry, Rogue semble bien décidé à passer ce réveillon de Noël avec lui, dans sa demeure, aussi petite et humble soit-elle.
Sidéré, il le regarde remonter la légère pente jusqu'à la maison, ses robes et sa cape noires flottant dans son sillage, battues par l'air de plus en plus glacial.
Passé la première surprise, il se précipite à sa suite, injuriant dans son fort intérieur son amie, incapable de tenir sa langue.
— Attendez ! crie-t-il en arrivant à sa hauteur. Vous ne pouvez pas faire ça !
Rogue lui accorde à peine un regard, évoluant avec facilité sur le terrain accidenté fait de mottes de terre et de gravier verdi par la mousse.
— Minerva me harcèlera toute la soirée si je rentre sans vous.
— Dites-lui que vous m'avez vu partir pour le Terrier.
— Et passer pour un menteur quand elle découvrira que ce n'est pas vrai ? Ça ira, merci.
— Mais vous étiez espion ! Vous savez mentir, elle n'y verra que du feu.
— N'insistez pas, Potter. C'est votre entêtement qui me pousse à de telles extrémités.
— Mais...
Se laissant distancer pour réfléchir, Harry se sent soudain désemparé. Comment éloigner Rogue ? Comment faire changer d'avis au terrible Serpentard ?
Soudain, une idée lui vient et un sourire mauvais se dessine au coin de sa bouche.
— Professeur... souffle-t-il d'une voix qu'il espère suffisamment désespérée pour le faire s'arrêter.
Mieux encore, l'homme se retourne et, d'une voix ou perce un agacement certain, il s'impatiente :
— Quoi encore, Potter ?
Saisissant sa chance, Harry se rapproche et, alors qu'il n'est plus qu'à deux pas de Rogue, il le corrige.
— Harry.
Ne comprenant pas où il veut en venir, Rogue fronce les sourcils.
— Comment ?
— Harry, répète le garçon. Vous vous imposez chez moi pour Noël sans y avoir été invité, alors que j'ai quitté Poudlard pour être tranquille quelques jours. Appelez-moi Harry, ce soir, professeur.
La réaction de Rogue dépasse tout ce qu'il a pu imaginer.
L'homme se raidit tout d'abord, puis ses traits se figent en une expression d'horreur teintée de dégoût et il recule même de deux pas sans quitter le jeune homme des yeux.
— Vous...
Pour un peu, Harry s'attendrait à le voir transplaner sur le champ. Et au fond, c'est un peu ce qu'il espère.
— Avez-vous perdu la tête, Pot...
— Harry !
Prenant sur lui, le professeur, inspire profondément et force ses muscles à se détendre.
— Je ne peux pas vous appeler comme cela, Potter. Je n'en ai aucune envie.
— Alors, partez.
— Vous savez que je n'en ferai rien.
— Dans ce cas, vous allez devoir m'appeler Harry, insiste-t-il, son sourire insolent toujours collé au visage.
Se retournant vers la battisse, Rogue se pince l'arête du nez entre le pouce et le majeur de la main droite et ferme brièvement les yeux.
— Pourquoi est-ce si important pour vous ? Et ne me répondez pas que c'est juste pour me rendre fou, je vois clair dans votre jeu, Pot... Je vois clair dans votre jeu. Mais il y a forcément quelque chose de plus.
Quelque chose de plus ? Non, absolument rien. Juste l'envie de l'énerver suffisamment pour qu'il le laisse tranquille, pour qu'il s'en aille.
— Ça ne vous regarde pas, répond-il plutôt, toute trace de son sourire évanouie.
Il hausse les épaules et enchaîne.
— Vous êtes chez moi, ce sont donc mes règles qui priment.
Pendant quelques secondes, Harry nourrit encore l'espoir de le voir disparaître, mais quand le professeur reprend la parole, sans plus trace d'énervement, avec juste sa froideur habituelle, il réalise qu'il aurait dû aller plus loin. Le tutoyer, peut-être, l'appeler par son prénom ?
Mais c'est trop tard.
— Vous êtes... insolent. Et irrésistiblement attiré par le danger. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faites, trop absorbé que vous êtes par votre petite personne. Mais je ne vous abandonnerai pas ce soir... Harry.
D'un mouvement ample du bras qui tient toujours sa baguette, Rogue fait naître sa biche argentée. Pendant quelques secondes, elle le sonde de ses yeux doux puis se détourne de lui et s'échappe en quelques bonds avant de s'évanouir dans la nuit.
— Que...
— Je préviens Miss Granger et les Weasley que vous êtes sain et sauf, évidemment, soupire l'homme en se remettant en route vers la maison.
**
À quel moment la vie d'Harry a-t-elle pris un tournant aussi inconcevable ?
Les mains plongées dans une bassine d'eau tiède, en train de laver les légumes pour la soupe, alors que Rogue, debout à côté de lui, touille une étrange mixture rappelant de loin un vague hachis parmentier mixé à... de la bolognaise ? Il remet toute sa vie en question.
Quelles ont été les décisions qui ont poussé le destin à lui infliger une telle épreuve en guise de réveillon de Noël l'année de ses 18 ans ?
— C'est de votre faute, répond Rogue à sa question muette. Maintenant, dépêchez-vous un peu ou cette soupe ne sera jamais prête à temps.
Mêlant le geste à la parole, il fait venir au garçon une marmite pleine d'eau bouillonnante dans laquelle il l'invite à verser ses légumes plus que bien nettoyés.
— Mais, comment...
— Vos yeux parlent pour vous, Pot... Harry. J'ai pourtant tenté de vous apprendre à fermer votre esprit, soupire-t-il en secouant la tête sans quitter des yeux sa préparation. Avec le succès que l'on connaît.
— De toute évidence, grogne Harry, vexé, mais il fait ce que le Maître des Potions attend de lui et une minute plus tard, la soupe cuit sur le feu, embaumant déjà la minuscule kitchenette de son odeur hivernale.
Le repas se passe étonnement bien, sans pique lancée d'un côté ou de l'autre. Ou presque sans pique, les deux hommes parvenant à se disputer trois fois tout de même, lors de la petite heure qu'ils passent à table.
Quand celle-ci se voit débarrassée et la vaisselle abandonnée dans l'évier, Harry soupire en regardant son reflet dans la fenêtre.
— Des regrets, Pot... Harry ?
— Je n'ai que ça, professeur, désespère le garçon en laissant son regard se perdre dans la nuit d'encre.
Mal à l'aise devant la sériosité soudaine de son élève, Rogue se met à bafouiller.
— Je, hum... parlais de... euh, cette soirée.
À bafouiller. Rogue. Bafouiller.
Ce qu'Harry, trop perdu dans ses pensées, ne remarque même pas.
— Oh. Non, cette soirée était... euh... très bien ?
Le regard que lui lance le professeur à ce moment, mi-hébété, mi-incrédule, reflète bien mieux ce qu'il pense que ne pourraient jamais le faire un millier de mots sortant de sa bouche : Ne me demandez pas ça, à moi, Potter !
L'ironie de la situation n'échappe pas au garçon, qui se surprend à en sourire. Lui, qui porte ses émotions en bandoulière, est parvenu à faire naître ce simple aveu de malaise sur le visage du meilleur occlumens qu'il connaisse. Quelle prouesse.
— Mais en fait, ajoute-t-il, sans même le faire remarquer à son professeur. Je pensais à toute autre chose. Venez, si vous voulez.
Ne lui laissant pas le temps de répondre ou de l'interroger plus avant, il prend son balai qui repose accroché au mur dans l'entrée.
— Potter ! s'inquiète soudain Rogue, craignant que l'abruti de Gryfffondor ne s'envole en dehors de la bulle protectrice tissée par Hermione.
Un regard noir du garçon le fait se reprendre, et il corrige de lui-même en roulant des yeux :
— Harry. Oui, Harry. Je sais.
— Je ne vais pas m'enfuir, si c'est ce qui vous fait peur, professeur. C'est juste que...
— Que ?
— Je pense qu'on peut voir Poudlard d'ici en s'élevant un peu. Et je me disais qu'avec ses décorations de Noël, ça devait être beau à voir.
Rassuré, Rogue laisse échapper un soupir. Ainsi, le gamin veut juste voir les illuminations de l'école. Comment peut-il encore se laisser séduire par ce genre de folklore après avoir vécu tant de choses horribles ?
— Vous venez avec moi ? interroge-t-il en enfourchant son éclair de feu.
— Je vous rappelle que vous n'avez qu'un balai, Harry.
Le Gryffondor hausse les épaules en désignant du menton l'espace derrière lui.
— Il est assez grand pour deux.
Rogue fronce les sourcils, pas certain de comprendre si le garçon se moque de lui ou est bel et bien sérieux.
— Je ne monterai pas avec vous sur cet engin, répond-il pourtant, incertain, persuadé que la poitrine d'Harry se soulèvera bientôt au rythme de ses rires alors que son visage convulsera en découvrant que le professeur honni à marché dans son piège.
Mais au lieu de ça, Harry se met à insister, comme si sa présence dans les airs lui importait réellement.
— Bien, bien, fini par céder Rogue. Montez. Mais pas trop haut ! Ne dépassez pas la frontière.
— Mais... et vous ? s'entête Harry.
— Montez. Je vous rejoins là-haut.
Circonspect, Harry accepte finalement de s'élever seul. Les yeux fixés sur lui, son professeur resté au sol devient de plus en plus petit, jusqu'à ce que la limite du sort de protection se mette à électriser les cheveux du jeune sorcier.
C'est une idée d'Hermione. Pour qu'il sache toujours jusqu'où il peut aller, aussi bien sur terre que dans les airs, la bulle protectrice émet un puissant champ électrostatique quand il s'en approche trop.
Sentant ses cheveux et tous ses poils s'ériger soudainement, Harry redescend d'un bon mètre et s'immobilise.
Au sol, Rogue garde toujours les yeux levés vers lui, dans la même position.
Harry a juste le temps de se demander comment il va le rejoindre, que l'homme se met à tournoyer sur lui-même et disparaît.
L'instant d'après, un poids non-négligeable s'abat sur l'arrière du balai et Harry manque d'en perdre le contrôle, propulsé en arrière, dans une position en inadéquation avec le pilotage de matériel aéronautique magique.
— Redressez, Harry ! Bon sang, redressez ce balai ! Nous allons tomber !
— Facile à dire, geint le sorcier en s'agrippant au manche alors que deux mains se retiennent à ses épaules, les broyant au passage. Mais pourquoi vous êtes debout, aussi !? Vous savez pas vous asseoir, comme tout le monde ?
— Arrêtez de vous plaindre et stabilisez ce foutu balai. Vous êtes le joyau de l'équipe de Gryffondor ou pas ?
Grommelant dans sa barbe, Harry parvient à redresser l'engin et s'arrête en vol stationnaire à environ huit mètres du sol. Les mains de Rogue libèrent alors ses épaules meurtries et il se redresse, tournant enfin la tête vers le château illuminé.
— Je ne le suis plus, fait remarquer le jeune sorcier.
— C'est superbe, vous aviez... Comment ?
La vue est fabuleuse, mais ce que vient de dire Harry fait tiquer le professeur.
— Attrapeur. J'ai démissionné. Mcgonagall ne vous l'a pas dit ?
— Non, confirme Rogue. Elle n'en a rien dit. Je suppose qu'elle espère vous voir changer d'avis avant le prochain match.
— Ça risque pas.
Cette tristesse dans sa voix. Le garçon a-t-il été de cette humeur toute la soirée ? Le professeur ne pourrait le jurer, mais, en y réfléchissant un peu, il est vrai que ça fait des mois qu'il ne semble plus être tout à fait lui-même.
Oh, il est toujours arrogant, insupportable et fier de ses exploits, mais quelque chose a changé. Cette même chose dans son regard, dans son attitude, qui a poussé Rogue à cesser de le provoquer en classe. Celle-là même qui l'a forcé à rester avec lui, ce soir.
— Pourquoi avoir arrêté ? Vous avez passé six ans à ne vivre que pour le quidditch.
Harry veut hausser les épaules, mais sent l'équilibre du balai vaciller quand il entame le mouvement. De toutes façons, Rogue a les yeux plongés dans les illuminations, il ne verra même pas sa réponse muette.
— Ça ne me procure juste plus autant de plaisir. Avant, voler me permettait d'oublier mes problèmes pendant une heure ou deux. Oublier la guerre qui approchait, les examens, mes parents, Sirius, Voldemort, mes prises de tête avec... vous.
Il a un sourire triste que Rogue capte du coin de l'œil. Mais depuis quand le gamin est-il si sérieux ? si... éteint.
— Mais aujourd'hui, je ne parviens plus à oublier. Même sur un balai. Je ne parviens même plus à dormir, alors oublier...
— Des cauchemars, encore ?
Harry soupire, mais approuve.
— Oui. Oh, plus des visions, bien sûr. Mais des souvenirs, des flash. Des morts. Des cris...
Rogue est tenté de lui assener un coup à l'arrière du crâne. S'il avait en main un parchemin roulé, ou encore un livre, c'est probablement ce qu'il ferait, même si ça risquait de déconcentrer le gamin et de les envoyer dans une nouvelle tournoyade incontrôlée. Mais, au lieu de ça, il pose sa large main blanche dans les cheveux sombres du garçon et les ébouriffe, comme il suppose que l'aurait fait Sirius ou bien même... James.
— Pourquoi ne pouvez-vous jamais parler de ce qui vous tourmente à vos professeurs, Harry ?
La caresse dans ses cheveux déstabilise Harry bien plus que ne l'aurait fait un coup et, pendant une fraction de seconde, il perd le contrôle de son balai.
Les secousses forcent Rogue à s'agripper à sa tignasse pour ne pas tomber, et ce sont finalement ses cris et la douleur ainsi occasionnée qui ramènent le jeune sorcier à la raison.
— Potter, par Merlin ! Que fichez-vous ?
— Pardon, professeur. Un, euh... des... des turbulences.
— Vous vous payez ma tête, Potter ?
— Non ! Mais, euh... Vous m'avez encore appelé Potter, professeur.
Rogue soupire. Les doigts emmêlés dans les cheveux d'Harry qu'il a involontairement tirés vers l'arrière. Le regard vert du jeune homme, levé vers lui dans cette position inconfortable et qui ne se plaint que d'avoir été appelé par son patronyme, lui envoie une décharge électrique qui n'a rien à voir avec le champ de force dans lequel ils sont emprisonnés.
Libérant la tête de son élève, il époussette sa cape, comme si celle-ci avait pu s'encrasser dans la cascade qu'il vient d'involontairement d'effectuer.
— Oui, bon, excusez-moi, ça vous va ? La situation était un peu... extraordinaire.
La bouche béante, ouverte en un O parfait, Harry discerne une autre chose extraordinaire qu'il peine à croire. Rogue vient-il réellement de s'excuser ?
— Professeur, lâche-t-il sans réfléchir, encore sous le choc, autant de la caresse dans les cheveux que des excuses. Ne m'appelez plus Potter.
— Je sais, je sais, grogne Rogue en assurant ses appuis sur le balai.
— Non, je veux dire...
Maintenant toujours fermement le manche d'une main, Harry se retourne et plante ses yeux clairs dans ceux, plus sombres, du professeur.
— ... quand vous m'appelez par mon nom, quand vous le prononcez, vous voyez mon père. Je le sais. Je le vois dans vos yeux, dans la moue de dégoût qui se peint sur votre visage à chaque fois. Vous ne me regardez pas, professeur, vous le regardez, lui. James Potter, le garçon que vous avez haï parce qu'il s'est comporté comme un connard, l'homme que vous détestiez et dont vous vous estimez responsable de la mort. Arrêtez de le regarder, professeur. Arrêtez de penser à lui. Regardez-moi. Appelez-moi...
— Harry...
Le visage levé vers lui, avec ses absurdes yeux verts pétillants pour la première fois depuis des mois... Se rend-il compte, cet abruti, de ce à quoi ressemble son petit discours ?
De plus en plus mal à l'aise sur ce bout de bois ridicule posé dans les airs, Rogue toussote dans sa main en vacillant.
— Je tâcherai d'y faire attention, marmonne-t-il en regardant une dernière fois le château. Il commence à faire vraiment froid... Harry. Nous devrions peut-être redescendre.
Suivant son regard, Harry accroche une dernière fois des yeux la scène féerique de l'école environnée de petites loupiotes virevoltant de part et d'autres de ses tours.
Dans un soupir, il approuve et, sans même un regard vers le bas, il fait pivoter son balai et fonce en piqué droit vers le sol.
**
Les gens !
Je vous ai pas dis, mais je publie actuellement un calendrier de l'Avent d'histoires absurdes de Noël (ou d'hiver, parce que Noël n'est pas présent à chaque fois non plus).
Il y a une mini nouvelle par jour jusqu'au 25 décembre (500 à 800 mots en moyenne. Enfin, j'essaie de ne pas dépasser cette limite, mais ça arrive).
Ça s'appelle Mécomptes de Noël – Le calendrier de l'Avent de l'absurde et ça se lit (en général) en moins de cinq minutes par jour.
C'est absurde (d'où le nom), rigolo et la nouvelle du 4 décembre se déroule à Poudlard.
N'hésitez pas à aller y jeter un œil si vous pensez que ça pourrait vous plaire.
Des bisous et à jeudi.
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