Chapitre 20 : Le pouvoir des mots
Mes yeux s'ouvrirent avec difficulté, apercevant la lumière du jour qui traversait les stores et qui m'éblouissait. Je me rendis ainsi compte que la soirée avait été bien plus compliquée que je ne le pensais et aussi que celle-ci était terminée, laissant place à une nouvelle journée.
Pendant un instant, je restai figée, guettant aux alentours, et me rappelai soudainement que j'étais toujours chez Ryan, aussi déstabilisant que ça puisse paraître. Je pus remarquer que Stan n'était plus là tout comme le brouhaha sonore. Tout était devenu bien trop calme.
Ne voulant pas perdre de temps, je quittai le lit et tentai de retrouver ma culotte au passage qui semblait être portée disparue. Tant pis. Je ne m'attardai pas à la chercher et sortis de la chambre. J'entendis quelques bruits provenant de l'étage d'en dessous. Je ne me posai pas plus de questions et m'y dirigeai, retrouvant Stan et Ryan dans la cuisine en train de parler. Ils s'arrêtèrent aussitôt lorsque leur regard croisa le mien.
— Tu as bien dormi ? s'enquit Ryan.
— Oui, très bien merci, répondis-je poliment.
— Tu veux du café ? me proposa-t-il en me tendant une tasse.
— Avec plaisir.
Je m'emparai de la tasse et m'approchai de Stan pour m'asseoir à ses côtés.
— Quelqu'un est allé voir Sandy ? demandai-je en buvant une brève gorgée de mon café brûlant.
— Pas depuis hier, répliqua Stan. Elle ne va sûrement pas tarder à se réveiller.
— Il faut absolument que j'aille lui parler, lançai-je, sûre de moi.
— Pourquoi tu y tiens tant ? s'étonna Ryan, toujours à l'ouest.
— Je pense qu'elle pourrait se confier plus facilement, assurai-je, n'ayant pas abandonné ma conviction. Même si on se connaît à peine... Je suis sûre que le dialogue sera plus évident.
Ryan semblait perplexe et sur le point de me contredire, pourtant il ne dit rien, se tournant vers Stan qui croyait totalement en moi sur ce coup.
— Je vais y aller, annonçai-je.
Je bus une grande gorgée de café comme pour me donner du courage puis pris un verre d'eau pour Sandy. En quelques minutes, je rejoignis sa chambre et y entrai doucement. Je la vis encore en train de dormir et heureusement, je ne l'avais pas réveillée. M'approchant d'elle, je posai le verre sur la table de chevet. Ses yeux papillonnèrent pour finalement s'ouvrir.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d'une faible voix.
Elle se redressa pour s'asseoir sur le rebord du lit, elle s'empara du verre et en but une gorgée. Immédiatement, je m'assis à ses côtés.
— La soirée d'hier a été assez... tendue, tentai-je pour amorcer cette discussion bien que ce soit maladroit.
— Je n'aurais pas dû boire autant, soupira-t-elle.
— D'ailleurs, hier... tu as dit quelque chose à propos... de ton mari...
— J'étais ivre, il ne faut pas en tenir compte, lança-t-elle un faux sourire sur ses lèvres.
Cette expression sur son visage, je la connaissais par cœur, j'en avais abusé tant de fois pour prétendre que tout allait bien alors qu'au fond de moi, c'était un vrai désastre.
— Je ne veux pas te forcer à parler, mais s'il se passe vraiment quelque chose de grave, il en est hors de question que je fasse comme si de rien n'était.
— Tant mieux, il ne se passe rien, rétorqua-t-elle aussitôt d'une voix un peu trop aiguë.
Alors qu'elle s'apprêtait à se lever, je l'interrompis en la prenant fermement par le bras, quitte à paraître assez brusque.
— Sandy... Que te fait ton mari ? m'enquis-je, presque désespérée de la voir aussi fermée.
— Tu ne comprendrais pas... Personne ne me comprend...
— D'accord, pense ce que tu veux, mais d'abord, je vais te dire quelque chose de très personnel sur moi, lançai-je comme dernier recours. Après, libre à toi de tout me dire ou pas, je te laisserai partir si tu n'en as toujours pas envie.
Je jouais un peu à pile ou face. Soit elle s'ouvrait, soit elle partait en ayant découvert une part de moi. C'était peut-être un peu malsain comme moyen de la convaincre, mais je tentais de me persuader que je faisais ça pour l'aider. J'allais forcément le regretter dans le futur.
Elle accepta le compromis, se rasseyant pour pouvoir m'écouter pleinement. Je pris une longue inspiration, complètement déstabilisée aux premiers abords. Par quoi pouvais-je commencer ? Mon vécu me paraissait si long, j'ignorais comment le résumer... Pourtant, il y avait un moyen bien simple de le faire... un moyen assez compliqué... quelque chose que je n'avais jamais dit de vive voix...
J'expirai puis pris une seconde inspiration, calant quelques mèches de mes cheveux derrière mes oreilles pour ne pas en être dérangée. Son regard commençait à m'oppresser, elle attendait vraiment à ce que je dise quelque chose. J'avalai alors rapidement ma valise puis focalisai mon regard sur le sol, évitant le sien pour m'assurer que je ne me défile pas.
— J'ai été violée, avouai-je la voix tremblante.
Je finis par me tourner vers elle. Un air surpris se lisait sur son visage, faisant légèrement tomber sa lèvre inférieure, le tout accompagné d'une pointe de peine.
— C'était mon premier petit-ami. J'avais quinze ans, il en avait trois de plus. Personne ne me croyait... parce que... parce que les gens pensent que le viol n'existe pas dans un couple.
Je passai brièvement ma main sur mon visage puis me mordis les lèvres. J'avais l'impression d'en avoir déjà trop dit, et pourtant, ce n'était que le début.
— Au début, j'en étais folle amoureuse. Je pensais vraiment que c'était réciproque... Puis il a commencé à me forcer pour qu'on fasse notre première fois. Au bout de quelques semaines, j'ai cédé et j'en ai eu mal. Je me suis sentie si sale. Mais je me disais que je ne pouvais rien lui refuser parce que nous étions un couple... Sauf que c'était comme ça à chaque fois, il insistait et je cédai... Je n'ai jamais voulu que ça se passe ainsi... Au bout de quelques mois, j'ai rompu avec lui. Il a tenté de me menacer pour que je le reprenne... Heureusement, ça s'est terminé comme ça.
Je ravalai difficilement ma salive. J'avais dit l'essentiel, sauf que tous les détails me revinrent à la surface, surtout cette affreuse première fois. Nous étions chez lui, nous nous échangions quelques baisers jusqu'à ce qu'il commence à me déshabiller et avant même que je ne puisse dire quoi que ce soit, il était déjà en moi, à un rythme bien plus rapide que je ne l'aurais voulu. J'avais regardé le plafond en priant que ça se finisse rapidement, mais d'après ce qu'on m'avait toujours dit, je pensais que je devais souffrir et saigner, c'était un passage obligatoire où il fallait en pâtir selon certains. Sauf que ça s'était répété à de bien trop nombreuses reprises... Son plaisir avait toujours pris le dessus sur le mien.
En repensant à tout ça, les larmes me montèrent aux yeux. Je tentai de me ressaisir, mais vainement. J'étais encore faible face à tout ça. Surtout quand je savais tout ce que ça avait entraîné. Il avait voulu des nudes de moi, j'avais accepté, bêtement. Le lendemain, tout le lycée n'avait pas hésité à me traiter de pute et de salope. Le harcèlement s'était bien trop vite propagé et jusqu'à la fin de mes années lycée, je fus marquée par cette étiquette de "salope".
Mon regard se plongea dans celui de Sandy et j'y vis immédiatement de la compassion. Je pris donc les devants de la discussion, comprenant que c'était à moi de le faire, même si j'aurais bien voulu me taire.
— Est-ce que ton mari... te fait subir quelque chose de semblable ? Te force-t-il à coucher avec toi sans que tu le veuilles ? demandai-je faiblement.
Elle ne dit rien et se contenta de hocher légèrement la tête. Je le savais, c'était bien trop évident pour qu'elle puisse prétendre le contraire.
— Tu n'as pas à rester avec lui... Même s'il peut être gentil des fois, même si, des fois, il te montre à quel point il t'aime. Demande le divorce, c'est ce que tu pourras faire de mieux...
— Mais... On a un enfant ensemble, rétorqua-t-elle.
— Ton enfant se portera mieux si sa mère ne souffre pas, quitte à ce que ses parents divorcent.
Pour certaines personnes, mon discours pouvait sembler atroce de vouloir séparer une famille, mais je ne supportais pas de voir quelqu'un dans la souffrance. Surtout quelqu'un comme Sandy. C'était une femme incroyable avec de fortes convictions. J'avais parfois pu la citer comme un modèle à de nombreuses reprises.
— Je vais essayer, lâcha-t-elle d'une douce voix.
— Je suis fière de toi, déclarai-je, souriante. Tu as tout mon soutien.
Elle me prit dans ses bras. J'en fus d'abord surprise puis me laissa faire, acceptant pleinement son accolade. Tout ceci m'avait semblé bien trop simple, du moins, seulement en apparence. Il m'avait fallu avouer une partie de ma vie qui ne m'avait jamais ravie, de mettre des mots sur des actes que j'avais toujours tus, même ignorés jusqu'alors. Il m'en avait fallu du temps pour en être arrivé là... Et pourtant, sept ans après, j'en souffrais encore.
Elle finit par me relâcher et je me levai du lit, légèrement perturbée. J'avais vraiment l'impression d'être ailleurs, ce qui venait de se produire me paraissait encore bien trop irréel.
Nous nous échangeâmes un bref sourire avant que je quitte la pièce et tombe sur Stan. Aux premiers abords, j'en fus surprise et réprimai un léger sursaut.
— J'ai l'air de t'avoir fait peur, lança-t-il presque amusé.
— Je ne m'attendais pas à te voir ici, soupirai-je.
Il était tout souriant tandis que je tentais de me remettre difficilement de mes émotions.
— Ça te dirait de te poser dehors ? Je pense qu'on a tous les deux besoin de se reposer un peu...
J'opinai de la tête et le suivis jusqu'au jardin. En deux trois mouvements, nous nous retrouvâmes sur le bord de la piscine, les pieds nus dans la piscine. Je faisais des va-et-vient dans l'eau, créant quelques légères vibrations à la surface de l'eau avec mes pieds, profitant de ce silence apaisant.
— Je t'ai entendu avec Sandy, avoua Stan avec une pointe de gêne. Je n'aurais pas dû, désolé.
Je me figeai. Il n'y avait pas de doute sur ce qu'il avait entendu, c'était une évidence. Il savait et j'ignorais si c'était une bonne chose. De toute manière, j'allais rapidement le savoir...
— Je voulais venir t'aider et j'ai entendu quelque chose qui... qui m'a arrêté... et un peu choqué... Mais si tu ne veux pas en parler, je ne voudrais pas t'y forcer.
Il me paraissait complètement sincère et surtout, très mal à l'aise, mais d'un certain côté, ça me rassurait. Même si c'était bête, j'avais envie de lui faire confiance.
— C'est la première fois que j'ai mis un mot dessus tout à l'heure. J'avais toujours minimisé ça... jusqu'à ce que j'ouvre les yeux... Pendant des années, j'ai cru que les insultes que je recevais étaient légitimes. Je pensais que je n'étais qu'une "salope".
J'étais tentée de plonger mon regard dans l'eau mais me tournai vers lui. Son visage miroitait de la peine. Il devait sûrement à peine imaginer tout ce que ça sous-entendait.
— Heureusement, je n'ai pas trop déconné, poursuivis-je d'une faible voix. J'ai seulement enchaîné les relations, quitte à ce qu'elles soient un peu malsaines... Peut-être pour ça que je t'ai repoussé au début, j'avais peur de me faire encore avoir. Mais à chaque fois, c'est la même chose.
— Ce serait naïf de ma part de te promettre que je ne te ferai pas de mal ? lança-t-il d'un ton hésitant.
— Oui... Mais c'est mieux que rien...
Il me prit fermement dans ses bras. C'était comme s'il avait l'impression qu'il allait me perdre. Pourtant, à cet instant précis, j'aurais voulu qu'il ne parte jamais ou inversement, je voulais que ça dure pour toujours, mais j'avais bien trop conscience de nos différences qui n'étaient qu'un frein de plus jour après jour.
Après de longues minutes à profiter de la présence de l'autre dans ce doux silence, nous dûmes partir. Stan me déposa chez moi et m'avertit qu'il me recontacterait bientôt. De plus, il me tiendrait au courant pour Sandy.
Dès mon arrivée chez moi, j'enlevai mes escarpins qui commençait à me tuer les pieds et branchai mon portable. Rapidement, je mis des vêtements plus confortables, autrement dit, un pyjama, puis revins sur mon portable qui n'avait pas tenu la soirée. Je compris alors la raison de sa faible batterie : il avait été inondé de notifications sur tous les réseaux sociaux, montant jusqu'à une centaine et à première vue, il ne me semblait pas avoir vu passer une notification "sympa". Je reposai mon portable, tremblante, comprenant ce que ça sous-entendait... Pitié, non...
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