Chapitre 15 : Changement brutal
« Est-ce que tu es libre ce soir ? »
Dès que je reçus le message de Stan, j'y répondais aussitôt et aussi parce que j'attendais impatiemment ma sœur sur le parking du lycée.
« Désolée. J'ai quelque chose d'important à régler avec ma sœur. »
Après avoir appuyé sur "envoyer", j'inspectai les alentours en espérant croiser du regard ma sœur. Nous devions avoir une importante discussion avec nos parents. Marina était plus que jamais décidée : elle voulait vivre avec moi. Je savais d'ores et déjà que la situation allait être très tendue, surtout parce que nos parents étaient particuliers dans le genre. Ils étaient les maîtres dans les reproches.
Et voilà que de nombreux souvenirs assez désagréables me revenaient à l'esprit. Ce jour était encore gravé dans ma mémoire, ce jour où je leur avais avoué à contrecœur ce que je vivais au collège. Ils ne m'avaient pas pris au sérieux, évidemment. J'avais été une idiote de croire le contraire et, comme toujours, j'avais dû trouver un autre moyen pour me réconforter. À cette époque, la photographie m'avait semblé une excellente solution. J'avais alors claqué toutes mes économies pour un petit appareil et immédiatement, j'avais fait le tour de la ville avec mon nouveau trésor dans les mains, prenant quelques photos de ce qui me plaisait au premier regard. Là encore, j'aurais voulu avoir le soutien de mes parents, vainement. Ils m'avaient ri au nez, me disant que jamais je ne réussirais dans ce milieu, que je n'avais aucun avenir dans le domaine artistique.
— Hé ! Ça va ?
En me tournant vers cette voix, j'aperçus ma sœur sur le siège passager et relâchai aussitôt le volant que je tenais bien trop fermement.
— Oui, oui, ça va. Et toi ? Ça s'est bien passé ta journée ?
Ma voix était soudainement aiguë. N'importe qui pourrait confirmer que j'étais mal à l'aise et que je mentais d'une manière assez éhontée.
— Ça pourrait être mieux, répondit-elle faiblement. Mais... tu es vraiment sûre que ça va ? Tu trembles...
— Ce n'est vraiment rien, lui assurai-je. Bon, on va devoir y aller...
Son visage se crispa et ce devait être de même pour le mien. Nous allions passer un très mauvais quart d'heure, mais nous n'avions pas d'autres choix. Je ne voulais pas voir ma sœur souffrir comme ça avait été mon cas. Elle méritait mieux que ce que j'avais vécu.
*
Contrairement à d'habitude, je n'avais pas meublé la conversation avec elle, acceptant le silence, bien que ce soit à contrecœur. J'avais tellement envie de la rassurer, mais j'en étais incapable, j'étais tout aussi inquiète qu'elle.
— Et s'ils ne veulent pas ? s'enquit-elle.
— Je suis majeure et tu es libre de décider avec qui tu veux vivre, déclarai-je d'un ton qui se voulait rassurant.
Elle mordit sa lèvre inférieure et déglutit avec difficulté, puis elle baissa son regard, fixant ses doigts qu'elle triturait entre eux.
— Ne t'en fais pas, tout va bien se passer, ajoutai-je d'une douce voix.
Elle hocha la tête d'une manière hésitante et nous descendîmes de la voiture, nous approchant lentement du porche. Je pris une longue inspiration avant de sonner. Les secondes qui suivirent me parurent durer des lustres. J'allais me retrouver face à mes parents après tant d'années, la dernière fois n'étant autre que celle où j'avais quitté le domicile familial.
J'inspirai de nouveau avant que la porte ne s'ouvre. Dès que mon père arriva dans mon champ de vision, je fis mine d'être stoïque et imperturbable alors qu'intérieurement, je ne voulais que fuir ce maudit endroit.
Sa réaction ne se fit pas attendre : elle écarquilla des yeux, sûrement choquée de me revoir. Puis elle tenta de reprendre son air placide et se tourna vers ma sœur, lui adressant un air furieux.
— Marina ! On t'attendait justement ! Ça tombe bien ! s'écria-t-elle.
La concernée fit tomber sa mâchoire inférieure, ne pouvant prononcer le moindre mot. Je pris alors les devants pour la sauver de cette situation :
— Elle ne revient pas.
— Ce n'est pas à toi de décider, m'interrompit-elle brusquement. Tu n'es qu'une irresponsable !
— Je pense qu'elle sera bien mieux chez moi, répliquai-je froidement.
— Je suis sa mère, pas toi.
Marina enroula ses bras autour d'elle, elle faisait souvent ça pour se protéger du monde extérieur. Elle faisait comme moi à une certaine époque.
— Ce n'est pas grave, je vais revenir, lança-t-elle faiblement.
— Marina ! Tu n'y es pas obligée ! m'indignai-je, surprise par sa soudaine réaction.
Ma mère afficha alors un air victorieux, m'adressant un sourire machiavélique.
— Je suis désolée, murmura-t-elle.
Ce n'était pas elle qui parlait, mais plutôt la peur, et j'étais impuissante face à ce sentiment. Personne ne pouvait combattre ce sentiment à sa place.
Ma mère prit ma sœur par le bras et je me sentis soudainement faible, comme si j'étais redevenue une gamine sur qui on pouvait crier dessus.
— Marina... Ma porte est toujours ouverte quoi que tu décides, lâchai-je complètement désespérée par la tournure des évènements.
Ses sourcils s'affaissèrent tandis que l'emprise de ma mère sur elle s'intensifia. N'ayant plus d'autres choix, je fis demi-tour jusqu'à ma voiture alors que ma sœur retournait en enfer...
*
J'avais erré dans les sombres rues de la ville, les larmes aux yeux, puis j'avais fini par me poser sur un banc quelconque au bord d'une route peu fréquentée. Je ne cessais de ressasser les derniers évènements, ce qui n'était qu'un autre moyen de me torturer.
Comment avais-je pu laisser ma sœur retourner là-bas ? Pourquoi ne m'étais-je pas plus imposée ?
J'aurais dû dire à ma mère tout ce que je pensais d'elle et de mon père, ce que j'avais pensé de leur éducation et de leur négligence. Je savais exactement ce que j'aurais pu leur dire, je l'avais rêvé tant de fois.
Complètement perdue et ne sachant pas comment l'expliquer, je me saisis de mon portable pour envoyer un bref message à Stan.
« J'ai fait que de la merde. »
Sa réponse ne se fit pas attendre. Il me demanda où je me trouvais et je lui indiquai le nom de la rue. Allait-il vraiment venir ? Il ne pouvait pas me voir dans un tel état ! J'étais vraiment misérable...
Et quelques minutes plus tard, il était bel et bien sous mes yeux à bord d'une petite berline. Il m'invita sur le siège passager et silencieusement, je m'exécutai. Il n'osa rien demander et se contenta de conduire tandis que j'étais juste en train de retenir mes larmes. J'avais sûrement l'air débile, pourtant, il ne semblait pas être sur le point de se moquer de moi, au contraire, il était concerné.
Quand il arrêta la voiture, je compris que nous étions arrivés, mais je ne pensais pas que ce serait devant ma maison.
— Si tu ne veux rien me dire, ce n'est pas grave, annonça-t-il d'un ton adorable. Même si ça me tue de te voir dans un tel état...
Je reniflai brièvement – surtout parce que ce n'était pas très élégant.
— Ma sœur... Elle a accepté de retourner vivre avec mes parents...
— Il y a un problème avec tes parents ? me demanda-t-il, le visage contrit.
— On peut dire ça comme ça... Ils ne comprennent rien... et ne font que critiquer...
— J'ai eu le même problème avec mon père. Je ne peux que compatir. Il n'a pas arrêté de me dire que la musique ne me mènerait nulle part... Je suppose que tes parents disaient la même chose pour tes photos...
— En effet, acquiesçai-je dans un murmure.
J'avais déjà entendu parler des problèmes avec son père, mais j'ignorais qu'ils étaient du même ordre que les miens avec mes parents. Jamais je ne m'étais sentie aussi proche de lui qu'en ce moment. C'était comme si je découvrais une nouvelle facette de lui...
— Mon père a tenté de renouer le contact quand j'ai commencé à être connu. Il prétendait être désolé... J'aurais dû lui laisser une chance. Peut-être qu'il avait changé avec le temps... Mais je l'ai repoussé. Je n'ai aucune idée de ce qu'il devient désormais.
— Tu ne souffres pas de son absence ? Tu n'imagines pas parfois ce que serait ta vie s'il était plus présent ? demandai-je, peut-être d'une manière un peu indiscrète tout en bravant les larmes qui me montaient aux yeux. Parce que j'en souffre constamment... J'aurais voulu avoir des parents qui me comprennent, qui ne me considèrent pas juste comme une enfant... mais un être humain à part entière.
Il hocha légèrement la tête, sûrement le temps d'encaisser tout ça et d'y réfléchir un bref instant. Il détourna quelques instants son regard, fixant d'un air vide la route.
— Bien sûr que j'en souffre... Mais je dois vivre avec...
Son regard s'attrista, comme s'il était à la limite de pleurer. Instinctivement, je posai une main sur son épaule, le caressant délicatement, puis j'approchai mon visage du sien. Il se tourna alors vers moi pour caresser amoureusement ma joue. Chacun fixa l'autre pendant un long moment. Jamais nous ne nous étions regardés ainsi. D'habitude, il n'y avait que des désirs charnels. Cette fois-ci, c'était différent. Ce n'était pas que du sexe. Nous étions en train d'échanger quelque chose qui allait au-delà d'un simple contact physique ou d'une coucherie entre deux discussions un peu banales.
Il saisit ma main dans la sienne et la serra fermement. Il n'avait pas besoin de prononcer le moindre mot, ses gestes parlaient à sa place et c'était bien la première fois que nous avions autant besoin l'un de l'autre, dépassant totalement toute réputation. Nous étions juste deux personnes aux souffrances similaires... Deux personnes complètement séparées du reste du monde.
Doucement, ses lèvres se rapprochèrent des miennes pour les effleurer telle une légère brise. Son souffle chaud rejoignit le mien, tout aussi ardent, et mes yeux ne purent s'empêcher d'admirer ses lèvres humides.
Je voulais que cet instant dure... J'aurais tout fait pour. Mais je savais qu'un jour ou l'autre, tout ça n'appartiendrait qu'au passé. Puis, ces habituelles pensées disparurent et je profitai pleinement de ce court moment de plaisir, ce court moment d'intimité.
— Je t'aime, murmura-t-il.
Mes yeux revinrent vers les siens. Son regard me perçait d'une manière passionnelle et irrésistible.
— Moi aussi, répliquai-je dans un soupir.
Les mots étaient sortis tout seuls, je n'avais plus aucun contrôle sur tout. En fait, j'avais perdu le contrôle de la situation depuis un bon bout de temps.
Ses doigts longèrent le creux de mes joues tandis que nos regards ne s'étaient pas quittés, continuant de nous consumer mutuellement.
Finalement, ses lèvres rejoignirent les miennes ainsi que sa langue qui s'immisçait sensuellement dans ma bouche. Nos corps se rapprochèrent pour poursuivre aussi longtemps que possible ce baiser.
Juste quelques minutes de bonheur... C'était juste ce dont nous avions besoin.
Nous prolongeâmes ce moment en restant dans les bras de l'autre sans dire un mot. À partir de maintenant, tout serait totalement différent...
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