L'émeraude
Le bruit assourdissant du métal s'entrechoquant le fit sursauter. Il avait l'habitude de l'entendre mais ne pourrait jamais s'y faire. Il décolla sa main de son oreille pour faire un signe au forgeron, lui signalant d'arrêter son vacarme quelques minutes.
– Salut Maël, dit le jeune homme en essuyant quelques gouttes perlant sur son front. Ça tombe bien que tu sois là, j'ai presque fini l'épée.
– Super ! Je suis justement venu pour ça, je suis impatient de découvrir le résultat. Tu as réussi à incruster la gemme ?
Le garçon avait ramené à Célis une gemme quelques jours auparavant. Il l'avait trouvée alors qu'il se baladait dans la forêt pour ramener des ingrédients à son père, l'herbologue du village. Ne sachant quoi en faire pour lui-même, il s'était dit que les talents en forgeage de son meilleur ami sauraient mettre en valeur sa couleur émeraude. Le jeune forgeron avait en effet pris énormément de plaisir à accomplir cette demande. Il avait fait de sa passion son métier et était capable de répondre à tous les besoins du village, des outils agricoles, jusqu'aux pièces pour les bateaux marchands. Cependant, c'était lorsqu'il laissait s'exprimer sa créativité qu'il était le plus heureux, et Maël lui avait donné l'occasion parfaite. À partir d'un vieux bout de métal qui trainait dans la grange depuis un moment, il avait confectionné l'objet de ses rêves ; une épée à son goût, à son image.
– J'y connais pas grand-chose en arme, mais celle-ci est exceptionnelle ! S'exclama Maël en s'approchant de l'atelier. Je peux la toucher ?
Sa curiosité naturelle prit le dessus et il approcha sa main de la garde qui s'étendait en deux branches de part et d'autre de la poignée. La fusée était fine ; elle avait l'air si légère. Un petit creux s'y trouvait, sûrement pour y ajouter la gemme une fois l'œuvre finie.
– Il me reste deux trois détails à peaufiner, mais elle devrait être prête d'ici demain.
– Mihile te laissera travailler dessus tout l'après-midi ? Vous n'avez pas d'autres commandes en ce moment ?
– Deux, pour être exact. Mais ce sont des demandes très précises avec beaucoup de spécificités donc il a préféré s'en occuper lui-même.
Le plus grand lui promit de revenir dès la première heure le lendemain, trop impatient de découvrir l'objet final.
Alors que la nuit était déjà bien avancée, Célis venait de finir son polissage. Satisfait du résultat, il sortit un petit mouchoir de la poche de son tablier et le déplia avec précaution sur la table. La gemme avait gardé son éclat, même sans être exposée à la lumière du jour. Il la plaça dans l'espace qui lui était dédié, et replia des anneaux en laiton pour la maintenir fermement. Il se leva, tourna sur lui-même en agitant la lame comme pour repousser des ennemis invisibles. Un sourire s'étira sur son visage ; il avait fait un merveilleux travail.
La pierre émeraude se mit soudainement à briller plus intensément, un orbe vert se diffusa dans tout l'atelier. Célis lâcha son arme brusquement, l'éjectant à plusieurs mètres de lui, et se prit les pieds dans son tabouret. Les yeux écarquillés, il observa l'étrange lumière se résorber. De peur que cela ne se produise encore, il courut l'envelopper dans un drap pour la cacher sous son lit une fois de retour chez lui.
Quelque chose clochait, les deux amis le sentaient et le savaient. Ils s'étaient enfermés dans la chambre du plus vieux, l'épée posée au milieu de la pièce, sous le regard fasciné de Maël. Bien heureux que le forgeron ne soit pas du genre à le juger, il se lança dans ses explications après un moment de réflexion.
– Je suis formel, c'est de la magie, chuchota-t-il.
Il n'y avait pas réellement de risque que quelqu'un les entende, mais mieux valait être prudent dans leur village. La magie avait été bannie de leurs terres des siècles plus tôt. Elle était maudite et n'apportait que misère à ceux qui l'employaient. Les guerres magiques faisaient rage depuis trop longtemps au-delà de leurs frontières, menées par le sorcier Eolum fusionné à un démon qui lui avait conféré de sombres pouvoirs. Son désir d'unir le royaume des morts et des vivants l'avait transformé en véritable tyran, détruisant tout sur son passage pour ramener les Ombres parmi eux. L'usage par ce sinistre personnage de la magie avait relégué cette dernière au titre de chose "malsaine".
– Je ne voudrais pas trop m'avancer, mais ça me rappelle une légende. Tu l'as peut-être déjà entendue ? Celle des deux Magiciennes et de l'Arbre ancestral.
– Non, ça ne me dit rien. Tu en sais bien plus que moi sur ce sujet.
– C'est la couleur de la gemme et ce qu'elle dégage qui me la rappelle. De l'autre côté du royaume se trouve la tribu la plus ancienne du monde, tu as sûrement déjà entendu leur nom : les Viedamas. Ils tirent leur essence magique d'un arbre qui est là depuis la Création ; il possède trois racines qui représentent les trois éléments indispensables à l'équilibre. La fraternité, la protection et la justice sont les piliers de notre Histoire. Dans leur société, certaines jeunes filles, lorsqu'elles atteignent la majorité, doivent se présenter à l'Arbre et l'une d'elles est choisie comme Magicienne, devenant leur cheffe. Le problème est qu'un jour deux furent choisies, deux amies aux caractères diamétralement opposés.
Célis apprit alors comment leurs divergences avaient pris le dessus sur leur amitié, et la manière dont leur environnement en avait pâti. Cette communauté qui vivait en autarcie avait subi les conséquences des querelles du pouvoir ; les cultures n'étaient plus aussi abondantes, et la disette s'installa à la table de nombreuses familles. La plus téméraire, Jiwoo, s'enfuit de ses terres pensant mettre fin à tous leurs problèmes, ce qui, bien au contraire, ne fit qu'empirer les choses. L'Arbre s'éteignait à petit feu, alors la dernière héritière se sacrifia, retournant sa part de magie à sa source dans un dernier espoir de sauver son peuple.
– Ça a apparemment fonctionné puisqu'ils ont continué à prospérer.
– Qu'est-il arrivé à Jiwoo ? Demanda Célis.
– Je crois que personne ne le sait vraiment. J'ai trouvé très peu de documentation fiable sur cette partie. Tout ce que l'on sait pour sûr, c'est qu'elle s'est baladée dans tout le royaume. Elle était un peu comme toi d'ailleurs : le style tête brûlée, à toujours vouloir saisir les opportunités de partir à l'aventure. Tu te souviens de ta fugue presque réussie quand tu avais douze ans ?
– Mais moi, je me suis résigné, soupira-t-il. Peut-on en revenir à notre sujet ?
– Eh bien, le plus intéressant est qu'elle était reconnaissable à son collier unique : un pendentif serti d'une pierre verte étincelante. Exactement comme celle-ci.
Les deux garçons fixaient l'émeraude, ne sachant s'ils devaient être effrayés, ou se réjouir de cette trouvaille incroyable.
– Personne n'est réellement d'accord sur ce qu'il s'est passé par la suite, mais la majorité parle de trois gemmes magiques, continua le plus jeune. Elles seraient nées du conflit, et justement à cause de cela, seraient chacune déséquilibrées. Il leur manque un des éléments.
Les questions fusaient dans la tête du forgeron. Était-ce vraiment la même gemme ? Quels étaient ses réels pouvoirs ? Et pouvait-il en faire quelque chose ?
- Qu'est-ce qu'on en fait ? Osa-t-il demander.
- On la garde à l'abri. Qui sait ce qu'il pourrait se passer si elle tombait entre de mauvaises mains, répondit Maël en prenant un ton grave. À l'inverse, entre les bonnes mains, cette gemme pourrait être la solution à tous les maux du royaume. Imagine qu'elle puisse affaiblir Eolum, voire l'éliminer !
L'épée resta cachée sous le lit de Célis pendant des jours avant qu'il ne cède à l'envie de la manipuler à nouveau. Lorsque la nuit tombait, il s'amusait à inventer de nouvelles parades. Il n'avait jamais appris à se battre mais trouvait qu'il se débrouillait plutôt bien.
Bientôt, l'arme occupait toutes ses pensées. Il travaillait moins vite, devenait moins précis dans ses gestes, et son mentor n'avait pas manqué de le lui faire remarquer. Le brun passait de plus en plus de temps enfermé dans sa chambre ; puis l'approche des festivités printanières le rendait presque malade. Les fortes odeurs de fleurs, leurs couleurs chatoyantes et les airs de luth à longueur de journée lui donnaient des nausées. S'il n'était pas très investi dans les célébrations les années précédentes, il l'était encore moins cette fois-ci malgré les représailles de ses parents. Comme si le monde était contre lui, même Maël ne lui rendait plus visite, bien trop occupé par sa petite copine. Aisha était une bien meilleure fréquentation que lui ; c'était certainement ce que tous ses voisins avaient dû lui dire pour qu'il le mette de côté ainsi du jour au lendemain.
Célis était plus irritable que jamais, et personne ne semblait vouloir lui lâcher la grappe.
– Tu devrais changer de pince, lui dit Mihile. Celle-ci est trop épaisse, tu risquerais de briser le métal.
– Merci, je sais ce que je fais. J'ai passé le stade apprenti depuis un moment ; je préfère faire les choses à ma manière.
– Tu feras les choses à ta manière quand tu sauras d'abord les faire correctement. Pose cette fichue pince !
Le jeune forgeron fit la sourde oreille et continua son œuvre. Exaspéré par son comportement insubordonné, son mentor posa lourdement le marteau qu'il tenait et lui arracha la pince des mains.
- Il suffit ! Tu as brisé un nombre incalculable de lames ces derniers temps, tu ruines le travail de tes collègues, et tu nous retardes considérablement ! Par les temps qui courent je n'ai pas le temps pour tes gamineries. Je n'ai aucune idée de ce qu'il t'arrive, mais tu devrais prendre quelques jours de repos.
- Parfait, puisque je ne suis plus désiré en ces lieux...
Célis lui jeta un regard noir, fit une révérence ridicule, et jeta ses gants au sol en passant la porte. Bouche bée, l'homme à la carrure puissante soupira longuement. Jamais le brun ne s'était montré aussi irrespectueux. Le Maître forgeron savait que son élève se sentait comme un lion en cage, mais l'art de la forge lui avait toujours permis de se vider la tête, comme une échappatoire. Plus rien ne semblait l'apaiser désormais. Ses parents ne savaient plus quoi faire, Maël non plus. Ce dernier avait été très touché par les propos que le garçon avait eus envers lui. Il avait tenté de mettre ça sur le coup de la fatigue, il avait bien remarqué ses yeux cernés, mais les injures proférées à maintes reprises l'avaient sincèrement blessé. Célis était devenu rustre, sans qu'il n'en comprenne la raison.
Une ombre glissait sur les pavés du village, se dirigeant vers l'orée de la forêt. Pressé, Célis ne jeta pas un seul regard derrière lui avant de s'engouffrer dans la nature sauvage, pas même aux arches de fleurs ni aux fontaines recouvertes de lierre. Si sa place n'était pas dans son village, alors il la trouverait ailleurs.
Son épée fermement accrochée à sa taille, son maigre baluchon de provisions sur les épaules, il avançait vers ce qu'il pensait être son destin. Il priait depuis des années pour qu'une quelconque aventure vienne à lui ; Maël la lui avait apportée sur un plateau d'argent. Il avait l'impression de ne faire plus qu'un avec la gemme émeraude, et il sentait au fond de lui les autres l'appeler. Peu importe où elles se trouvaient, il s'en saisirait. Il se mit en chemin pour les montagnes dans lesquelles se cachaient les dernières tribus de mages. Ils étaient ceux qui s'y connaissaient le mieux en magie, et les plus à même de le guider dans sa quête.
Jour et nuit, il longea la rivière qui le mènerait jusqu'aux sommets enneigés. Il avait déjà croisé quelques drôles de créatures qui semblaient le fuir comme la peste. Celles assez audacieuses pour le menacer et lui voler sa nourriture ne rôdaient pas longtemps autour de lui ; la magie de l'épée suffisait pour leur faire rebrousser chemin. Célis se sentit rapidement invincible. Pour autant, il pestait à longueur de journée contre les galets humides et la boue qui le ralentissaient. Tout lui paraissait hostile, mais sa détermination n'en était que plus forte. Il s'endurcissait, et lorsqu'il reviendrait des montagnes, il serait un homme changé.
La sensation d'une liberté qu'il n'avait jamais connue le chamboulait. Puis une autre se glissa en lui, lui retournant l'estomac. Petit à petit, le lit de la rivière se vida de son eau. Seuls des cailloux et du sable tapissaient le canal. Les couleurs chaleureuses des fleurs s'étaient mues en nuances froides. Plus il se rapprochait du but, plus l'atmosphère était étouffante ; une tension dans l'air qu'il ne pouvait identifier. Il gardait la paume de sa main posée sur son épée, un réflexe depuis qu'il avait été sauvagement attaqué par une bête aux yeux rouge sang.
Puis, sa vue se dégagea, les arbres se faisant moins nombreux et moins garnis. Pour la première fois depuis son départ, il put pleinement scruter le ciel teinté de jaune orangé. Une tache à ce tableau attira son regard. Au plus haut sommet des montagnes, une épaisse fumée d'un noir profond virevoltait. Elle captait tous les rayons de lumière passant près d'elle. Célis n'eut aucun mal à déduire que les Ombres d'Eolum en étaient à l'origine, bien qu'il n'ait jamais été confronté à ce genre de spectacle auparavant. Cela signifiait un grand danger pour lui, il n'était pas encore assez puissant pour affronter un ennemi de cette taille. Par ailleurs, d'après les récits que les marchands de son village avaient rapportés, s'il essayait de s'y frotter, il s'y piquerait, pire encore, il y mourrait.
Un autre problème s'imposa à lui. Eolum n'avait pas la réputation d'homme de compassion. Peu étaient ceux qui avaient réussi à lui échapper. Le jeune aventurier n'avait donc aucune preuve que ne serait-ce qu'un mage avait survécu aux attaques. Il ne savait pas non plus depuis quand les Ombres avaient pris possession des lieux, ni si elles étaient encore dans les parages. Il repensa à la créature aux yeux du diable et comprit que l'agressivité de l'animal était une conséquence de la toxicité de la fumée. Il avait eu une chance folle de ne pas en rencontrer d'autres ; il était déjà épuisé par le chemin parcouru, il n'aurait pas eu la force de se battre contre une armée de loup enragés magiquement altérés.
Néanmoins, faire demi-tour était impensable. Abandonner ? Il en était absolument hors de question. Célis n'était ni un lâche, ni un froussard. La magie n'était pas que du côté de l'ennemi, elle était aussi du sien désormais. Il renonça à trouver des mages survivants, il ne ferait que perdre un temps précieux. S'il avait réussi à rapidement devenir le meilleur apprenti forgeron, et à développer ses capacités de combat en quelques nuits, il pourrait tout aussi bien réussir à manipuler la magie qui coulait dans sa lame par lui-même. Pour le moment, sa priorité était de trouver un lieu où il serait en sécurité. Il passa en revue les endroits les plus propices, et, joignant l'utile à l'agréable, décida de faire route vers les côtes nord. Il n'avait encore jamais vu la mer de ses propres yeux, seulement des croquis dans la maigre bibliothèque de ses parents.
Il détourna finalement le regard des hauteurs, et un frisson lui parcourut l'échine. Certes, les mages s'étaient installés au point culminant du royaume pour échapper aux persécutions dont ils avaient été victimes après le début de la guerre, et tout le monde se fichait bien de leur sort, mais le forgeron ressentait tout de même de la peine. Cette communauté pourtant autrefois adorée, presque vénérée pour toutes ses vertus, avait connu une descente aux enfers à cause d'un homme. Un homme si diabolique qu'il avait ruiné près de la moitié de leur royaume à lui tout seul, en s'attaquant d'abord aux plus vulnérables, puis en poussant les tribus à se retourner les unes contre les autres sur la base de casus belli bien souvent ridicules.
La colère remplaça la peine. Il devait arrêter ce mage noir. Il ne serait pas le premier à essayer, loin de là, mais il était le premier à avoir en sa possession une émeraude aux pouvoirs redoutables.
Il sortit l'épée de son fourreau et l'observa avec un sourire en coin. C'était exactement cela, des pouvoirs redoutables entre ses mains écorchées. Celles-ci témoignaient des efforts fournis pour parvenir jusque-là ; lui qui n'avait jamais rien vu d'autre que les guirlandes de lanternes de son village. Il n'était pas fait pour une vie routinière. La gemme salvatrice était apparue au moment où il allait se résigner ; c'était un signe du ciel. Peut-être était-il une sorte d'élu ? Maël lui avait souvent dit que la magie n'avait pas réellement disparu, qu'il arrivait que certaines personnes découvrent en elles des pouvoirs insoupçonnés issus de gênes magiques endormis par manque d'utilisation. Était-il l'une de ces personnes ? Il avait tant l'impression de ne faire qu'un avec le flux de magie qu'il tenait dans son poing, il pouvait la sentir couler dans ses veines. Il y a des siècles de cela, tout le monde possédait une part de magie en soi, l'idée qu'il en ait hérité ne paraissait pas si bête.
Il attendit prudemment que la nuit tombe afin de se guider grâce aux étoiles. Il se dirigea vers l'est, vers la mer de nuages. Le ciel était si dégagé, qu'il n'avait aucun mal à voir où il mettait les pieds pour ne pas trébucher. Il marcha toute la nuit, faisant quelques très courtes pauses. Il ne pouvait pas se permettre de prendre son temps ; il pourrait se débrouiller avec les baies qu'il trouverait sur son chemin, mais il ne savait pas s'il trouverait un point d'eau avant d'arriver sur la côte. Il n'avait aucune idée de la distance exacte qui l'en séparait. Mieux valait hâter le pas.
Il put à nouveau profiter de sa scène favorite: le lever du soleil. Il avait toujours aimé ce moment de la journée, il trouvait que c'était le plus paisible. La nature diurne reprenait vie après une bonne nuit de repos, les rayons du soleil encore bas filtraient entre les branches et dissipaient la brume. Cela lui rappelait beaucoup son balcon sur lequel, tous les matins, il prenait quelques minutes pour admirer la beauté du spectacle. Il eut un pincement au cœur, sa maison douillette lui manquait un petit peu. C'était le prix à payer pour un aventurier tel que lui, troquer le confort pour l'adrénaline.
Sa paisible promenade fut interrompue par des bruissements sur sa droite. Il ralentit imperceptiblement et jeta quelques coups d'œil discrets par-dessus son épaule. Si un ennemi comptait le prendre par surprise, c'était loupé, mais il ne voulait pas montrer qu'il l'avait déjà repéré ; c'était lui qui possédait l'effet de surprise désormais. Ses doigts se refermèrent solidement autour de la fusée de l'épée. Il perçut un mouvement derrière lui, et se retourna promptement, son arme brandie prête à trancher. Il défia du regard son adversaire et fronça les sourcils. Il ne s'attendait pas vraiment à cela.
Il avait devant lui une hybride, il ne savait même pas qu'il en existait encore. Elle incarnait tout ce qu'il y avait de plus inoffensif. La jeune fille aux bois de cerf avait de grands yeux dorés qui lui donnaient un certain air naïf, des petites taches brunes parsemaient ses longues oreilles et son visage, jusqu'au bout de son nez arrondi. Ses longs cheveux dorés ornés de feuilles retombaient en cascade sur ses bras recouverts d'une fine fourrure blanche. Célis ne pensait pas qu'elle puisse ne serait-ce que l'égratigner, mais il se méfiait quand même. La nature savait bien cacher son jeu sous certaines apparences ; les fleurs les plus belles étaient souvent les plus dangereuses. Les muscles bandés, il était prêt à se battre comme un coq.
– Tu peux baisser ton arme forgeron. Je ne te veux aucun mal.
Ses paroles contrastant avec son visage révélaient un âge probablement bien supérieur à ce que laissait paraître son apparence. Le garçon, après une courte hésitation, lui obéit.
– Qui es-tu ? Tu ne devrais pas traîner par ici, les Ombres ne sont pas loin.
- Je le sais, j'ai fui les montagnes qu'ils ont prises d'assaut il y a quelques semaines.
Il plissa les yeux, sceptique. Elle confirmait qu'il ne restait personne là-haut, mais n'avait pas répondu à sa première question. On lui avait toujours appris à se méfier de ceux qui refusaient de décliner leur identité.
- Tu me veux quelque chose ? Parce que, dans le cas contraire, si tu me le permets, j'aimerais poursuivre ma route.
- Tu es encore loin des côtes, et je te déconseille de t'y rendre. L'île d'Eolum continue de s'étendre au fur et à mesure que le sorcier dévore les âmes de ses victimes.
Célis ressentit un court vertige. Dévorer des âmes ? Ce mage noir était encore plus cruel que ce qu'on lui avait raconté.
- Tu n'es pas assez puissant pour l'affronter. Pas encore. Tu y risquerais ta vie.
La petite fille s'adressait à lui mais gardait le regard fixé sur l'épée. Le garçon crut un instant qu'elle cherchait à le distraire avant de se ruer sur lui et lui voler son précieux bien, alors il se tourna, presque de profil, afin de la mettre à l'abri dans son dos.
- Tu dois trouver les Fjerosans, annonça la jeune cerf levant enfin les yeux vers lui.
- N'ont-ils pas péri comme les autres tribus des montagnes ?
- Non, pas tous. Nombre d'entre eux sont de valeureux chasseurs aguerris.
- Des gros biceps ne me seront d'aucune utilité. Contre une menace comme celle-ci, c'est de la magie qu'il faut. Et moi, j'en possède.
- Je le sais aussi, je la ressens. Je ressens sa puissance comme son instabilité. Elle te ronge de l'intérieur, lâcha-t-elle avec légèreté. Je doute fort que cela suffise à vaincre Eolum, mais qu'au contraire, elle contribue à la destruction. Destruction de notre monde et de ses habitants, à commencer par toi.
Célis était fortement troublé par ses paroles. Il n'arrivait pas bien à en saisir le sens.
- C'est pourtant évident, n'importe qui avec un peu de bon sens magique s'en rendrait compte. La magie instable puise l'énergie dans ton cœur pour trouver ce qu'il lui manque, mais elle ne parvient pas à le trouver. Il faut être crédule pour croire que la magie n'est que bienfaitrice. Il suffit de t'observer. Ton cœur est petit à petit gagné par la soif de pouvoir et le désir de réussir. Tu as blessé beaucoup de gens.
- Tout ce que je fais, c'est pour rendre service à ce royaume. Je ne suis pas égoïste, se défenda-t-il.
- Si tu prêtais un peu plus attention à ta lame, tu verrais qu'elle commence à se fissurer ; elle n'est pas faite pour supporter un flux magique aussi agité. Le jour où elle se brisera, et la gemme avec, tout sera perdu, à commencer par toi.
Son visage ne laissait transparaître aucune émotion, à tel point que Célis se demanda si elle ne cherchait pas à le manipuler. Il observa prudemment sa lame et vit, en effet, de légères fissures près de la garde.
- Les animaux ne sont pas naturellement agressifs. Souviens-toi qu'ils ne se retournent que contre ce qu'ils identifient comme un danger, comme une magie instable par exemple.
Elle commença à reculer doucement, disparaissant derrière un buisson.
- Trouve les Fjerosans, eux sauront t'aider. Tu n'es pas un héro, tu crois seulement l'être.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro