1 - Terminus, tout le monde descend
Jimin atteignit l'arrêt de bus en un sprint haletant, s'efforçant de donner l'image d'un homme pressé plutôt que celle d'un fugitif. Le panneau des horaires, palpitant avec urgence au cœur de la nuit, semblait dysfonctionner mais, par chance, il n'en avait pas besoin. Un vieux bus crachotait déjà des volutes de fumée, ses feux rougeoyants dansant sur le bitume humide.
Se dissimulant sous sa capuche, ses mèches noires plaquées à son front comme des ombres complices, il gravit la première marche du bus tout en veillant à garder la tête baissée pour éviter de croiser le regard du conducteur.
– Désolé, je... n'ai pas de carte de transport, ni de monnaie, bredouilla-t-il, le souffle court à cause de sa course effrénée.
L'homme derrière le grand volant grogna en retour, comme si les seuls sons qu'il pouvait émettre à une heure aussi avancée de la nuit étaient ceux d'une bête en retrait. Jimin prit cela comme une approbation tacite, s'inclina en signe de gratitude et s'engouffra rapidement dans le couloir exigu, serrant son sac à dos contre sa poitrine.
En relevant les yeux pour chercher une place libre, il réalisa avec effroi que le bus était vide. La paralysie le saisit à la simple idée d'être seul avec le chauffeur, mais il prit sur lui, résolu à rester. Ce n'était pas comme s'il avait d'autres options. Descendre de ce bus n'en était pas une. Il avait atteint son objectif : trouver un moyen de quitter cette ville le plus rapidement possible. Il ne pouvait y renoncer à cause d'une peur irrationnelle.
« Froussard... », lui susurrait cette voix familière dans son esprit. Il se frappa la tempe pour la chasser et s'installa vers le milieu du véhicule, dans la pénombre, puis posa son sac sur le siège voisin pour dissuader les éventuels futurs passagers de s'approcher de lui. Les portes expirèrent un soupir et le bus reprit sa course. Comme s'il n'avait attendu que ce passager pour cela.
Le paysage se mit alors à défiler à travers la vitre que Jimin contemplait. Il avait réussi. Il s'enfuyait. Il quittait la ville.
Et jamais il ne reviendrait.
Il ignorait encore où ce bus crasseux le conduirait, mais peu lui importait. Il l'avait pris juste parce qu'il était apparu comme par miracle sur son chemin, pas par choix éclairé. Il s'intéressa tout de même au panneau d'affichage.
Le nom des arrêts étaient étrangement manquants, à l'exception du terminus : Meonville. Un endroit qui lui était inconnu. Il pouvait pourtant affirmer avec certitude que c'était là-bas qu'il descendrait. Loin, aussi loin que ce tas de ferraille pouvait l'emmener.
Au-delà des suspensions qui grinçaient à chaque virage serré et de la morsure froide du cuir usé traversant son pantalon, Jimin se trouvait encore trop près de ce qui lui servait de maison pour aspirer au calme. Les rues pouvaient bien être désertes, chaque ombre, chaque silhouette, ravivait ses craintes. « Froussard ! ».
– La ferme, Minjun... murmura-t-il, les dents serrées.
La tension se lisait sur ses épaules crispées, cachées sous un sweat-shirt trop grand, et ses yeux marron trahissaient sa nervosité alors qu'il levait discrètement la tête pour scruter l'immense pare-brise qui se profilait par delà les sièges. « Il n'est pas ici. » se répétait-il. « Il ne m'a pas suivi. » s'appliquait-il à penser. « Minjun n'a pas pu me suivre. »
L'aube se dessinait peu à peu. Jimin avait maintenant réussi à mettre une certaine distance entre lui et cette vie qu'il espérait laisser derrière. Pourtant, à chaque coup de frein brusque, il avait l'impression que le bus ralentissait sa fuite. Et cette voix prenait plaisir à se moquer de lui.
Il tenta de se perdre dans d'autres pensées, déchiffrant l'inscription gravée sur la tablette en plastique devant lui : H + B = ♡. Puis, il observa la route et les publicités défraîchies qui ornaient les parois du bus. Mais tout était étrange. Les produits vantés semblaient appartenir à un passé révolu et le bus, malgré les arrêts qu'il croisait, ne faisait aucune halte.
Jimin posa finalement sa tempe contre la vitre froide. Une fine condensation se forma sous son souffle, créant un voile fugace entre lui et ce monde qui lui avait toujours donné le sentiment d'être trop faible, trop gentil, trop naïf, de trop.
Après plusieurs kilomètres ainsi, la tension qui étreignait son estomac commença à s'apaiser. Un peu. À peine. Mais elle ressurgit lorsque le bus s'immobilisa brusquement.
À travers sa fenêtre, il aperçut une jeune femme sous un abri bus en verre. Elle avait les cheveux noués en une queue de cheval négligée et portait sur son dos un sac décoré d'innombrables porte-clés.
Les portes du bus s'ouvrirent pour elle. Elle monta à bord et le voyant lumineux au dessus de Meonville clignota avant de rester fixe.
Dans un geste poli, Jimin baissa les yeux lorsqu'elle passa au niveau de sa rangée. Mais, elle, elle s'arrêta et le dévisagea. Pas lui spécialement, plutôt ce qu'il semblait représenter : un passager à destination du terminus. Elle prit finalement place juste derrière lui et le bus redémarra. Aussi rapidement qu'il l'avait fait pour Jimin.
Quelques kilomètres supplémentaires furent engloutis, chacun représentant une victoire sur les chaînes invisibles qui enserraient Jimin. Mais à mesure que le bus roulait vers sa destination finale, l'atmosphère semblait changer. Elle devenait abstraite, à l'image d'un rêve ; le chauffeur sifflotait un air inquiétant, et de la buée obscurcissait les vitres, occultant le monde extérieur.
– Tu vas à Meonville ?
La question perça l'air, brutale et indiscrète. Surpris, Jimin se tourna légèrement et découvrit que la jeune femme avait glissé son visage entre l'interstice des sièges que lui et son sac occupaient. Il lui répondit en lui offrant son sourire poli, celui qu'il avait appris à utiliser pour échapper aux questions dont il voulait taire les réponses :
– On dirait bien.
La jeune femme s'agenouilla sur son siège pour dominer celui de Jimin.
– Qui est-ce que tu fuis ? demanda-t-elle, persuadée d'être perspicace et, à la fois, blasée de l'être.
La clairvoyance de la demande le figea légèrement, mais l'habitude de composer avec les mensonges lui permit de garder son calme :
– C'est quoi cette question ? Personne.
– Oh, allez ! insista-t-elle.
– Désolé, mais tu fais erreur.
– D'accord, d'accord, comme tu voudras, répondit-elle avec un amusement non dissimulé tout en le scrutant d'un regard insistant.
Jimin tira sur sa capuche, cherchant à s'y réfugier davantage, et se renfonça dans son siège. Lui qui avait pris l'habitude que les gens croient ses mensonges, simplement parce que ça les arrangeait, se sentait mal à l'aise face à cette fille. Quand elle se rassit convenablement, il en fut soulagé. Mais, comme souvent, sa curiosité prit le dessus.
– Pourquoi tu penses que je fuis quelqu'un ? laissa-t-il échapper sans bouger, les yeux rivés sur la tablette en plastique pliée devant lui.
Ses mots étaient teintés d'une nervosité qu'il se donnait beaucoup de mal à dissimuler. Est-ce que quelque chose l'avait trahi ? Il entendit rire doucement dans son dos.
– Parce qu'on ne va pas à Meonville de son plein gré. C'est la vie qui nous y pousse.
Le visage de la jeune femme surgit de nouveau entre les sièges.
– C'est pareil pour toi, j'me trompe ?
Méfiant, il n'eut ni l'envie de répondre, ni celle de nier et encore moins celle de lui donner raison. Mais il pivota vers elle, scrutant son visage du coin de l'œil. Elle arborait un petit sourire espiègle et avait l'air à peine majeur.
– Tu y es déjà allé ? l'interrogea-t-il pour changer de sujet.
– Plusieurs fois.
– C'est comment ?
– Hé ! s'offusqua-t-elle, amusée. Je vais pas te gâcher la surprise !
Son visage disparut d'entre les sièges. Jimin se tourna alors vers elle tout en se redressant, l'avant bras sur son dossier.
– Pourquoi tu y vas, toi ?
Elle le fixa droit dans les yeux.
– Parce que je fuis, répondit-elle sans détour.
Jimin fronça les sourcils alors que l'expression de la jeune femme avait changé. Elle souriait tristement en regardant la vitre. Avec son index, elle dessina un cercle sur la buée, à l'endroit où son reflet aurait dû se trouver.
– Je me fuis moi-même. Et quoi de mieux pour échapper à soi que de se perdre... ?
Le soupir mécanique des portes se fit entendre, suivies par les plaintes du chauffeur qui ordonnait à ses deux passagers de se dépêcher de sortir. Jimin n'avait même pas remarqué que le bus avait ralenti jusqu'à s'arrêter et, le temps qu'il attrape son sac, la jeune femme était déjà parti. Lui dut prendre une grande inspiration avant de sortir du véhicule, afin de se préparer mentalement à l'inconnu.
Une fois dehors, une odeur âcre et indistincte lui assaillit les narines. Il pressa sa manche contre son nez pour s'en protéger, observant le bus qui s'éloignait déjà et qui laissait un nuage de poussière dans son sillage.
– L'enfer, pas vrai ? Bienvenue à Meonville ! s'exclama la jeune femme, enjouée.
Jimin inspecta rapidement son nouvel environnement, terne et gris, poussiéreux et ouaté, alors que sa camarade de route humait l'air à pleins poumons, comme si elle retrouvait une vieille connaissance. Il en eut la nausée.
– Mais...- bon sang, c'est quoi cette odeur ? se plaignit-il.
– Oh, ça ? C'est l'abattoir.
<3
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