R E C O N S T R U C T I O N
— Tu es sûr que tu ne veux pas que je t'accompagne ?
— Je suis un grand garçon, Soobin. Je peux y aller tout seul.
— Sûr sûr ?
— Oui, sûr. Tu ne vas tout de même pas m'accompagner à chaque fois que je vais aller bosser.
À l'autre bout du fil, il put presque entendre Soobin sourire tendrement. C'était ridicule, pourtant. Sourire ne faisait aucun bruit. Mais rien que l'imaginer, ça lui fit un peu de bien. Ça détendit ses muscles tendus et dénoua un peu ses épaules qui commençaient à être douloureuses à force d'être crispées, et ellipsa quelques instants le stress qui ne le quittait pas depuis ce matin.
Aujourd'hui, Taehyun avait décidé de retourner au restaurant. Ça pouvait sembler rien, mais après deux semaines d'absence a à peine oser poser un pied en dehors de chez lui, c'était en réalité beaucoup. Il n'avait pas pu fermer l'œil de la nuit. La réaction de Madame Lee lui faisait toujours aussi peur. Soobin lui avait pourtant affirmé à de nombreuses reprises que la vieille femme ne lui tenait pas rigueur de ses absences, qu'elle lui souhaitait simplement de se remettre au plus vite, et qu'elle était là pour lui si besoin ; il avait du mal à y croire.
Ses peurs de gamins lui courraient après.
Une main occupée à tenir son téléphone contre son oreille et l'autre affairée à galérer à fermer la porte de son appartement à clé, il entendit son ami rajouter :
— Et, Tae. Si à un moment ça va pas, tu sais que tu peux m'appeler, hein ?
Entendre ce surnom dans la bouche de Soobin lui fit tout bizarre, une nouvelle fois. Il l'avait appelé comme ça pour la première fois il y avait quelques jours, mais il n'arrivait toujours pas à s'y faire. Ça le renvoyait à une amitié qu'il avait encore du mal à réaliser. La seule autre personne qui l'avait nommée avec ce diminutif affectueux, c'était Yeonjun, du temps à la fois si proche et si lointain où il était encore en prison.
— Je sais, souffla-t-il simplement en retirant enfin ses clés de la serrure. Ça va aller.
— J'en doute pas.
D'autres voix lointaines retentirent derrière celle de Soobin, sans que Taehyun ne parvienne à discerner ce qu'elles disaient, puis son ami lui lança :
— Faut que je te laisse, les cours vont reprendre. On se voit ce soir ?
— Je risque de terminer tard.
— C'est pas un soucis. Je passerai te voir au restaurant, alors.
Un de ses camarades sembla l'interpeller une nouvelle fois, puisqu'il raccrocha rapidement après un bref :
— J'y vais. À tout à l'heure !
Le bip sonore retentit dans le combiné, emportant avec lui la voix réconfortante de Soobin, et Taehyun se retrouva alors seul dans la cage d'escalier. Il prit une profonde inspiration.
Il rangea son téléphone dans sa poche, avant de s'engager dans vers la sortie, son cœur battant à la fois un peu trop vite dans sa poitrine pour que ce soit agréable, et gardant en même temps cette douce chaleur qui le prenait quand il discutait avec l'étudiant. Durant sa descente, il croisa sa voisine, qui lui adressa un petit sourire mi-poli mi-mal à l'aise. Il tenta de ne pas s'en formaliser.
Et, trop vite à son goût, il se retrouva à nouveau devant la petite devanture du restaurant, comme quelques jours plus tôt.
Il resta planté là un instant.
Rien qu'un instant, mais suffisant pour que la peur de se confronter à cette femme ne revienne s'insinuer vicieusement en lui.
Il inspira à nouveau.
« Elle n'est pas ta mère. », tenta-t-il de se répéter à lui-même. Il se refigurait chaque parole que Soobin lui avait lancé la dernière fois qu'ils avaient abordé le sujet, essayant de toutes ses forces de se les encrer soigneusement en lui. « Elle n'est pas ta mère. Elle ne lèvera pas la main sur toi. Elle regrette les mots durs qu'elle a pu te dire. »
Sa mère aussi, lui avait dit regretter, à de nombreuses reprises.
Son cœur se serra dans une douleur vive.
Il secoua la tête pour chasser ces pensées. Et, parce qu'il savait que s'il s'attardait encore ne serait-ce que quelques secondes de plus devant cette devanture il n'oserait plus sauter le pas, il prit son courage à deux mains et poussa la porte du restaurant.
Presque immédiatement, l'odeur étrangement familière de celui-ci vint lui chatouiller le nez. Ça n'était pas une effluve d'alcool et de renfermé, comme il flottait si souvent dans son appartement d'enfance. Ça sentait au contraire la bonne nourriture et la vie. Il réalisa que cette odeur lui avait manqué, et ça lui fit tout bizarre.
— Pour la millième fois, monsieur Jang, j'ouvre à midi, pas à...
La voix de la vielle femme s'éteignit dans sa gorge en même temps qu'elle apparaissait de derrière les cuisines et qu'elle croisa le regard de Taehyun.
Il y eut un moment de flottement. De latence.
Puis Madame Lee sourit – et c'était la première fois qu'elle lui souriait –, avant de s'exclamer comme si de rien n'était :
— Taehyun ! Tu vas mieux ?
Il ne répondit rien, mal à l'aise. Elle ne sembla pas s'en formaliser, et il la laissa s'approcher, le débarrasser de son manteau et l'entraîner vers les vestiaires.
— Ton ami Soobin m'a dit que tu n'avais pas la forme, ces derniers jours, continua-t-elle en perdant son sourire, mais pas la douceur étrangère qui résonnait dans sa voix. J'étais inquiète, tu sais ? Ça m'a fait plaisir de voir qu'il y avait quelqu'un pour s'occuper de toi. C'est un brave garçon.
Une nouvelle fois, il ne trouva rien à redire. Sa gorge était trop nouée pour qu'il n'articule quoique ce soit, et de toute façon, même si ça n'avait pas été le cas, il n'aurait eu absolument aucune idée de quoi prononcer. Il savait répondre avec sarcasme à la Madame Lee froide et blessante ; il n'avait aucune idée de comment répondre à la Madame Lee gentille et maladroite qui lui faisait face.
— Je suis contente que tu sois de retour, continua-t-elle sans s'arrêter, agitée. Gérer le service et la cuisine en même temps à mon âge, quelle idée ! Je ne sais pas comment je faisais avant que tu n'arrives, c'est...
Elle chercha ses mots, incertaine, comme si elle ne savait pas comment dire au plus jeune ce qu'elle voulait lui faire transparaître. C'était sûrement le cas. Après des semaines à s'adresser à une personne uniquement par des mots durs et froids, on oublie comment lui parler autrement. Taehyun le ressentait au plus profond de lui.
Et puis, petit à petit, il réalisa qu'elle ne lui en voulait pas. Qu'elle ne l'insultait pas. Qu'elle ne sautait pas sur l'occasion pour l'accabler à nouveau de reproches comme elle savait si bien le faire.
Qu'elle ne semblait pas le détester.
Cette seulement constatation suffit à lui faire monter les larmes aux yeux.
Elle le remarqua, et s'interrompit alors dans son discours malhabile. À la place, tout ce qui sortit de sa bouche, furent simplement des mots qu'il n'aurait jamais cru entendre venant d'elle :
— ... Je crois que je te dois des excuses, mon garçon. J'ai été plus dure avec toi que je ne le voulais.
Madame Lee esquiva son regard après ces mots, puis rajouta dans un murmure :
— Tu es fort.
Une nouvelle fois, Taehyun ne sut quoi répondre. Et la vieille femme lui laissa patiemment le temps de trouver ses mots.
————◇◈◇————
Retravailler lui fit un bien fou.
Durant ses quelques jours d'absence, il avait oublié la sensation qui le prenait aux tripes aux heures de pointe du restaurant, cette espèce d'adrénaline mêlée de gratitude. Certains jours, il y avait tellement de clients qu'il n'avait même plus le temps de souffler. Mais s'il n'avait pas le temps de souffler, il n'avait pas le temps de penser non plus, et Taehyun préférait mille fois oublier en travaillant plutôt qu'oublier en buvant. S'il avait su qu'il trouverait un réconfort si grand dans son job, il aurait bien moins hésiter à y retourner.
Et puis il y avait Madame Lee. Madame Lee, elle n'avait en réalité pas vraiment changé. Elle continuait de râler sur tout et rien, de se montrer excessivement pointilleuse sur son travail, et de lui faire remarquer son moindre pas de travers. Mais elle ne l'insultait plus. Elle ne le critiquait plus jamais lui pour qui il était, mais uniquement pour ce qu'il faisait, et Taehyun devait bien l'admettre, il était encore novice dans son métier de serveur. Il lui semblait simplement que la vielle femme était comme ça. Que c'était plus fort qu'elle, et que c'était dans son caractère de râler sur tout et rien. Au moins lui montrait-elle maintenant à côté de ça une affection à laquelle il avait toujours du mal à croire.
Tous les soirs, elle lui mettait une portion de restes de côté, et lui donnait en le remerciant pour le travail de la journée. Il lui arrivait aussi maintenant de plaisanter avec lui – ou plutôt, de lancer une blague toute seule à laquelle Taehyun ne savait pas comment réagir –, et de lui raconter des anecdotes sur sa vie, de s'intéresser à la sienne. Bien sûr, Taehyun ne lui disait pas grand-chose. Il avait déjà du mal à se confier à Soobin, alors même si parfois il se surprenait à avoir la drôle d'envie de parler de ses problèmes à la vieille femme, il se contenait. Il avait encore du mal à s'habituer à tout ça.
— Taehyun, au lieu de rêvasser, tu veux pas aller débarrasser la table 9 ?
La voix de sa patronne le fit presque sursauter, et il raccrocha à la réalité en tournant la tête vers elle par réflexe.
— S'il te plaît, rajouta-t-elle ensuite d'un air un peu mal à l'aise.
C'était souvent comme ça. Madame Lee lui lançait une reproche de son habituel ton grinçant, puis semblait se rappeler de la période difficile qu'il était en train de traverser et de sa propre rudesse envers lui au début, et tentait donc de tempérer son propos. Ça réconfortait Taehyun dans l'idée qu'au moins ils étaient deux à ne pas trop savoir comment agir face à l'autre.
— Tout de suite, répondit-il rapidement.
Il se déroba au regard de la vielle femme pour aller débarrasser la dite table, mais ne se pressa pas plus que ça pour autant. C'était la fin de service : le restaurant était calme, et les derniers clients terminaient de déguster leur repas tranquillement. Plus personne ne rentrait ; pour consommer, du moins.
Taehyun jeta un coup d'œil à la porte.
Il fut presque déçu en la voyant close. Soobin passait souvent à la fin de son service pour qu'ils rentrent ensemble, mais ne le prévenait jamais : un jour il n'avait plus de batterie, un jour il avait oublié son téléphone chez lui, un jour il l'avait confondu avec le téléphone de quelqu'un d'autre... ( Anecdote vraie. L'étudiant était sacrément ailleurs et tête en l'air, quand il le voulait. ). Toujours est-il que c'était à chaque fois un peu la surprise, de savoir s'il viendrait ou pas. Et honnêtement, Taehyun n'était pas fan des surprises.
Il transporta méthodiquement les plats vides qu'il venait de débarrasser jusqu'au lave vaisselle, dans lequel il les rangea soigneusement lorsque la petite cloche au dessus de la porte retentit. Immédiatement, il se redressa, et sentit son cœur se réchauffer en voyant la grande silhouette maintenant familière de son ami.
— Soobin, ça faisait un moment, le salua Madame Lee en souriant poliment.
— J'avais des partiels, répondit simplement le concerné en s'asseyant sur une chaise haute du bar. Fallait bien que je révise un peu.
— C'est bien, tu es un garçon sérieux.
Depuis les cuisines, Taehyun croisa le regard de Soobin, et lui adressa un léger sourire. Il termina de ranger les plats dans l'immense lave vaisselle, puis les rejoignit.
— Tu viens tôt, lança-t-il à l'étudiant. Je finis dans une demi-heure, tu sais ?
Soobin haussa les épaules.
— Je peux attendre.
Taehyun allait repartir à son travail après un autre sourire pour le plus grand, lorsque Madame Lee l'interrompit :
— Tu peux partir maintenant, il ne reste plus grand-chose à faire. Vas avec ton ami.
— Vous êtes sûre ?
— Oui oui, je suis sûre. De toute façon tu es d'une inefficacité redoutable dès qu'il y a Soobin dans les environs, ça me fera pas perdre grand-chose.
L'étudiant lâcha un petit rire amusé, tandis que Taehyun fronçait légèrement les sourcils. Il ne voyait pas pourquoi elle disait qu'il était inefficace... Son envie de discuter avec Soobin fut néanmoins plus forte, et il se contenta finalement d'hocher la tête et de la remercier. Il se lava les mains, récupéra ses affaires, et rejoignit son ami qui papotait distraitement avec la patronne. Quand ils furent prêts tous les deux, ils lui dirent aurevoir avant de quitter les lieux.
L'air frais de la nuit vint immédiatement gifler les joues de Taehyun, et Soobin frissonna à côté de lui en se cachant dans son manteau.
— Brr... J'aime pas l'hiver.
— On est encore qu'en automne.
— Vu comment on se les caille, ça change pas grand-chose.
Taehyun sourit légèrement à sa réponse. Lui, il aimait bien le froid. Sa morsure sur sa peau le réveillait. Ils se mirent tranquillement en marche vers son domicile, côte à côte, sans se préoccuper davantage de la nuit noire qui s'était abattue sur Séoul. Taehyun était heureux d'être là ; avec Soobin, il se sentait étonnamment bien. C'était les rares moments où il pouvait dénouer pleinement ses épaules et se laisser aller.
Il fourra ses mains dans ses poches tout en marchant, puis lui demanda :
— Alors, tes partiels ? Ça s'est bien passé ?
— Oula, non, rit Soobin, c'était un massacre. J'ai oublié de mettre mon réveil la veille, le métro est resté coincé entre deux arrêts pendant 15 minutes, et j'ai frôlé la crise d'asthme en courant pour rattraper mon retard. Puis j'ai réalisé qu'en fait, j'étais pas en retard, mais une heure en avance. Du coup j'ai poireauté comme un con.
Taehyun sourit doucement, amusé. Classique. Du Soobin tout craché, quoi.
— Et les questions, c'était pas trop dur ?
— J'avais révisé le mauvais chapitre.
Bon.
À ce stade, Taehyun ne pouvait pas grand-chose pour lui.
Le plus grand le jaugea d'un air suspicieux, le nez rougi par le froid et le bas du visage à moitié caché par sa grosse écharpe, et il lâcha :
— Tu me juges, là.
— Je n'oserai pas.
— Oh que si, tu me juges.
Pour toute réponse, il se contenta d'hausser les épaules, un sourire mutin aux lèvres qui voulait tout dire. Soobin lui donna une tape sur l'épaule en râlant, et ils continuèrent ainsi leur route jusqu'à l'appartement de Taehyun.
Si on avait dit à ce dernier quelques semaines plus tôt qu'il serait capable de discuter tranquillement et simplement avec l'autre comme ça, il n'y aurait sûrement pas cru.
Et pourtant.
Cette pensée lui réchauffa doucement le cœur. C'était rare, qu'il ai des pensées qui lui fasse cet agréable effet et pas l'inverse.
Lorsqu'ils arrivèrent enfin devant la porte de l'immeuble où il résidait, ils se stoppèrent tous les deux. Il observa Soobin qui lui faisait face, avec ses joues rougies par le froid, ses yeux plein d'étoiles, sa frange qui lui tombait de façon désordonnée sur le front. Cette vision lui arracha un doux sourire.
— Bon, commença l'étudiant après un bref silence, son souffle s'évaporant dans l'air dans un petit nuage de buée.
— Bon, répéta simplement Taehyun.
Ils ne bougèrent pas pour autant. Taehyun attendait que Soobin le salue et parte, mais ce dernier ne le faisait pas, semblant attendre autre chose. Ils se dévisagèrent dans le blanc des yeux un instant. Puis, voyant que ce duel de regard pouvait durer très longtemps, Soobin finit par lâcher :
— Tu ne me proposes pas de monter ?
— À vingt deux heures passées ?
L'étudiant haussa les épaules en même temps que Taehyun levait un sourcil.
— Pourquoi pas ? J'ai enfin fini mes partiels, on peut bien se faire une petite soirée à deux pour fêter ça, non ?
Un doux sourire naquit sur le visage de Taehyun à ces mots, sans même qu'il ne s'en rende compte. Le cœur paradoxalement chaud par en comparaison avec le froid extérieur, il poussa finalement la porte de son immeuble après y avoir passé le petit badge, et la tint ouverte en regardant Soobin.
— Viens.
Cette acceptation silencieuse sembla ravir ce dernier, qui ne se fit pas prier pour rentrer se réchauffer à l'intérieur. Il se débarrassa de son épaisse écharpe, puis ils montèrent tous les deux les quelques étages qui les séparaient de l'appartement de Taehyun. Lorsqu'ils pénétrèrent dedans, ce dernier vit sans aucun mal le regard de son ami se faire désapprobateur en survolant le cendrier plein à rabord, mais il ne fit aucun commentaire, et se laissa directement tomber sur le lit dans un soupir de soulagement.
— Fais comme chez toi, surtout, railla Taehyun en accrochant sa veste au porte manteau.
— C'est gentil de proposer.
L'hôte leva les yeux au ciel, mais le sourire sur ses lèvres était plus amusé qu'agacé. Il rejoignit le plus grand, s'asseyant simplement sur le bord du matelas.
— T'as faim ? demanda-t-il.
— Non, j'ai mangé avant de venir. Pas toi ?
— J'étais en service, abruti.
— Ah oui. C'est vrai.
Soobin lâcha un petit rire, et se redressa sur ses coudes.
— Tu veux que je te prépare un truc ?
— Pas besoin. Madame Lee m'a filé des restes.
Son regard s'illumina soudain à ces mots. L'étudiant termina de s'asseoir, et demanda sans attendre :
— Je peux en avoir un bout ?
— Je croyais que tu avais déjà mangé, s'amusa l'autre.
— Oui, mais ta patronne elle cuisine trop bien. Ça compte pas. Je peux enchaîner douze repas d'affilé si c'est préparé par elle.
Taehyun leva les yeux au ciel. Il se releva pour aller chercher son sac, avant d'en sortir le tupperware donné par la vieille femme, et de se diriger vers ses deux plaques de cuisson qu'il alluma. Une poêle sur le feu, les restes dans la poêle, il entendit Soobin se relever derrière lui et le laissa venir se poster à ses côtés. Ils discutèrent de tout et de rien le temps que le plat se réchauffe, continuant de parler ensuite assis à même le sol, avec leurs deux bols chauds entre les mains ( le mini-appartement de Taehyun ne comptait qu'une seule chaise, alors ils se contentaient du mur comme dossier ).
Soobin lui conta plus en détail les mésaventures de son partiel. Taehyun lui partagea ses interrogations quant à une discussion de clients qu'il avait surprise. Là, comme ça, ils restèrent bien trois bonnes heures, à papoter comme si le temps n'existait pas, comme si la nuit n'avait pas de fin.
Taehyun se fit la réflexion qu'il aurait bien aimé que ce soit le cas.
Que ce moment ne s'arrête jamais.
À cet instant éphémère, dans l'obscurité de la nuit et l'intimité de son minuscule studio, son ami d'enfance à ses côtés, il se sentait si bien. Calme. Apaisé. C'était comme si toute la tristesse et la douleur qui pesait sur ses épaules n'existait soudain plus, et plus encore, n'avait jamais existé.
Il lui semblait alors qu'il y avait un espoir qu'il puisse vivre une vie normale, lui aussi.
Après tout, il n'en demandait pas énormément : il ne voulait pas spécialement une longue vie heureuse pleine de joie et de bonnes nouvelles, non. Une vie lui suffisait. Simplement. Une vie où il ne serait pas détruit par tout ce qui l'entourait. Une vie où il aurait le droit d'exister. C'est tout. Rien de plus.
Lorsque qu'enfin ils décidèrent qu'il était temps d'aller dormir, il était quatre heures du matin passées, et au dehors, il ne restait plus que le bruit des fêtards les plus extrêmes et les plus nocturnes.
Ils se couchèrent tous deux dans le lit bien trop petit de Taehyun, l'un à côté de l'autre, et recouverts timidement par la couette dont la taille était à peine suffisante pour couvrir leurs deux corps.
— J'éteins ? demanda Taehyun, la main tenant l'interrupteur de sa lampe de chevet.
— Hm.
L'obscurité succéda alors à la lumière froide de la petite ampoule, et il s'allongea correctement pour faire face à Soobin. Si au début il n'en vit pas grand-chose, la lumière de la lune et de la ville au dehors vint bien vite éclairer sa vision, et il perçut peu à peu un visage, des cheveux qui s'échouaient sommairement contre l'oreiller, un nez, une bouche, des yeux qui le regardaient eux aussi.
— Zut, fit-il remarquer face à ça. On a oublié de fermer les stores.
— Pas grave.
— Ça va nous réveiller, demain.
Pour toute réponse, Soobin haussa les épaules, et passa une jambe au dessus de celle de Taehyun, comme pour l'empêcher de se lever. À ce geste, ce dernier posa un regard interrogatif sur son ami, qui se contenta de répondre :
— Il fait trop froid. Tu me tiens chaud.
Il ne releva pas. Aucun des deux ne parla pendant un moment, restant simplement là, dans cette obscurité relative, à s'observer dans le blanc des yeux. Le silence n'était pas dérangeant, il était presque doux. Rassurant. Réconfortant. Comme une étreinte tendre qui vient écouter tous tes problèmes sans que tu n'aies besoin de les dire.
Taehyun aurait pu rester des heures ainsi, à observer simplement le visage de son ami, sans un mot, sans rien d'autre que leurs respirations pour venir briser cette tranquillité ambiante.
Mais Soobin finit par murmurer du bout des lèvres :
— Dis, Tae...
— Hm ?
— Ça se passait comment, dans la prison ?
— Dans la prison ?
— Oui. Tu ne m'en as jamais parlé.
Taehyun ne répondit pas tout de suite, et Soobin surenchérit doucement sans lui laisser le temps de trouver ses mots :
— Tu avais des amis ?
Des amis.
Il lui semblait que maintenant, il arrivait mieux à cerner ce que ce terme voulait dire.
Alors à cette question, il hocha lentement la tête, se replongeant malgré lui dans les souvenirs qui lui semblaient étrangement lointains de cette période de sa vie.
— J'en avais un, oui.
— Il s'appelait comment ?
— Yeonjun.
— Et tu ne le revois plus ?
— Non. Je n'ai pas le droit. La prison pense qu'il est mieux qu'on rompe tout contact avec les détenus pour se réintégrer plus facilement.
Soobin marqua un silence. Puis, toujours en chuchotant, comme s'il craignait de faire éclater la bulle de quiétude qui les entourait, il murmura dans une petite moue :
— C'est triste.
Taehyun haussa les épaules. Oui, c'était triste. Peut-être même injuste. Avec du recul, il se demandait s'il n'aurait pas été plus heureux et moins perdu à sa sortie si on lui avait laissé l'autorisation d'aller rendre visite à Yeonjun parfois, au lieu de lui arracher tous ses repères d'un seul coup. Il se demanda ce que devenait ce dernier. S'il continuait encore ses bastons intempestives, s'il piquait toujours ses crises de colère, ou s'il s'était calmé, et qu'il avait enfin compris que tout ça ne faisait que rajouter des mois sur sa peine. Il se demanda s'il sortirait de prison dans cinq ans, et s'il se souviendrait de lui. S'il lui manquait. Si, enfermé entre les quatre murs de sa cellule, il pensait parfois à lui, parti depuis maintenant des mois, ou s'il l'avait déjà relégué au rang de simple souvenir.
Ces questionnements lui serrèrent le cœur.
Mais il y avait Soobin, face à lui, et il n'était plus seul. Plus maintenant.
Le regard de son ami se fit tendre, et il lui adressa un doux sourire un peu triste auquel Taehyun ne su comment répondre.
— Tu me parleras de lui, un jour ? rajouta-t-il alors du bout des lèvres.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il a fait partie de ta vie. Et que j'aimerais en savoir plus sur toi.
La gorge de Taehyun se noua.
Il déglutit, puis répéta dans un souffle, incapable de détacher son regard des deux prunelles brillantes de Soobin :
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas trop. Pour pouvoir mieux te comprendre, peut-être. Mieux savoir quoi te dire pour t'aider. Ou alors, tout simplement parce que c'est toi, et que tout ce qui vient de toi me rend curieux.
Taehyun ne trouva pas grand-chose à répondre. Il se contenta d'un discret sourire gêné, duquel il profita pour se détourner et faire face au plafond, plutôt qu'au regard sincère de son ami qu'il avait de plus en plus de mal à soutenir.
Il laissa le silence leur tenir compagnie à nouveau.
Il laissa son esprit se délecter de cette étrange atmosphère, à la fois douce et intime, qui lui apaisait le cœur de la même manière qu'elle le faisait battre plus fort.
Puis, simplement, la voix de Soobin s'éleva dans murmure :
— Et des relations amoureuses ? T'en as déjà eu ?
À ces mots, Taehyun se retourna une nouvelle fois vers Soobin pour lui faire face, puis fronça très légèrement les sourcils.
— Qu'est-ce que c'est que cette question ? marmonna-t-il sans savoir comment réagir.
— Simple curiosité.
Soobin haussa les épaules autant que sa position allongée le lui permettait, et rajouta sans le quitter un seul instant du regard :
— Tu n'es pas obligé de répondre, si ça te dérange.
Taehyun le jaugea d'un œil décontenancé. Son regard glissa sur son visage, s'attardant sur ses yeux qui l'observaient comme s'il était le phénomène le plus intéressant de l'univers, comme si pour Soobin, rien d'autre que lui n'existait à cet instant.
Il marqua un nouveau silence.
Puis, du bout des lèvres, il lâcha simplement :
— Non. Jamais.
Il ne sut pas trop comment interpréter le sourire tendre qui étira les lèvres de Soobin à sa réponse. Ni son regard, doux, qui descendit sur les siennes avant de remonter dans ses yeux.
Ils se fixèrent ainsi sans rien dire de longues secondes, bercés par le calme de la nuit et la quiétude de leur petite bulle. Ils se détaillèrent, se redécouvrirent sous la lumière nocturne, écoutant silencieusement la respiration de l'un, les battements de cœur de l'autre. Taehyun aurait juré qu'en cet instant, le temps s'était arrêté. Que les aiguilles avaient enfin cessé leur course. Que le monde entier autour d'eux s'était immobilisé.
Dans un murmure si bas qu'il ne fut pas sûr de l'avoir bien entendu, Soobin finit par lâcher :
— Dis, Taehyun... J'ai une question bizarre.
— Pose la toujours, souffla-t-il sur le même ton, sans détacher ses yeux des siens.
— Je peux t'embrasser ?
Taehyun ne répondit rien.
Il se contenta d'hocher imperceptiblement la tête, et l'instant d'après, Soobin se redressait très légèrement sur ses bras pour venir prendre son visage en coupe, et déposer très tendrement ses lèvres contre les siennes.
————◇◈◇————
Le lendemain, ils n'en parlèrent pas.
Ni le surlendemain, ou la semaine suivante encore.
En revanche, quelque chose avait changé dans leurs gestes.
Ils étaient plus tactiles. Plus proches. Si habituellement Taehyun gardait une distance certaine avec toute personne qu'il croisait pour ne pas laisser son espace vital se faire envahir, avec Soobin cette barrière n'existait tout simplement plus. Quelque part, elle avait même commencé à disparaître dès le début, quand il y repensait. Il arrivait maintenant régulièrement que Soobin passe un bras autour de son épaule. Repose sa tête contre lui. Parfois même, quand ils étaient tous seuls dans l'intimité de son appartement, il liait leurs mains, ou venait l'étreindre doucement par derrière. Leurs corps se laissaient aller l'un à l'autre avec une aisance qui surprenait toujours Taehyun.
Et puis, plus largement, à côté de tout ça, il avait l'impression de le voir beaucoup plus souvent. Si ce n'est tout le temps.
Les jours où Soobin ne se pointait pas à la sortie de son travail étaient devenus rares. Maintenant, quand Taehyun ne voyait plus sa grande silhouette l'attendre devant la petite échoppe du restaurant, il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. Ce qui était bien inutile, pourtant. Soobin ne lui avait jamais dit avec des mots qu'il viendrait le voir tous les jours.
Ça s'était juste fait naturellement.
Ce soir-là aussi, Soobin était là. Mais quelque chose dans sa tenue inhabituellement soignée et son regard beaucoup trop pétillant disait à Taehyun que cette nuit serait différente de d'habitude.
Il s'approcha prudemment de lui après avoir refermé la porte du restaurant à clé – vraisemblablement, Madame Lee lui faisait enfin assez confiance pour le laisser s'occuper de la fermeture –, et demanda en le rejoignant :
— C'est quoi ce regard ?
— Bonjour non ? rétorqua pour seule réponse son ami, avec un sourire jusqu'aux oreilles.
— Hm, bonsoir.
Soobin leva les yeux au ciel face à la correction du plus petit, sans se défaire le moins du monde de la joie qui se lisait dans les quatre coins de son visage. Il fourra ses mains dans les poches chaudes de son manteau, et lui lança sans attendre plus que ça :
— Tu sais, Tae, c'est mon anniversaire dans un mois.
Le dit Tae fronça les sourcils, confus.
— Oui, je sais. Tu me bannes tous les jours avec pour pas que je l'oublie. Et ?
— Et ce soir, mes amis organisent une petite soirée tranquille pour fêter ça !
— Un mois à l'avance ?
— Ouais, on arrivait pas à trouver une date où tout le monde était dispo plus tard.
— Oh.
Il lui adressa enfin un sourire à son tour avant de répondre :
— C'est cool. Tu vas bien t'amuser.
Il y eut un silence. Court, rapide, bref et éphémère, mais étrangement éloquent : il ne fallut qu'une fraction de seconde à Taehyun pour deviner ce que l'étudiant allait lui proposer. Et il n'eut pas le temps de dire non à la question anticipée que Soobin sortait en effet :
— Ça te dirait de venir avec moi ?
— Soobin.
— Allez, s'il te plaît. Pour mon anniversaire. On sera pas trop nombreux. Ça te fera du bien de sortir un peu et de rencontrer des nouvelles têtes !
— Je sais pas...
— Et puis, ça me ferait très plaisir que tu viennes, moi.
À ces mots, Taehyun redressa le regard pour le planter plus directement dans celui de son ami. Son visage plein d'espoir et de bonne volonté dans lequel se lisait déjà une petite teinte de déception lui arracha un pincement au cœur. Il n'avait pas envie de le voir perdre un peu de cette jolie joie par sa faute. Et puis, c'était pour fêter son anniversaire, et un anniversaire, ça n'arrivait qu'une fois dans l'année. Alors après tout, pourquoi pas...
Il soupira. Déjà le stress commençait à monter en lui à l'idée de se retrouver confronté à des inconnus qui pourraient se construire une image de lui faussée en un instant, mais cette fois-ci, ça ne lui semblait plus insurmontable. S'il continuait à peiner avec certaines choses, d'autres étaient désormais plus simples.
— Ok, finit-il par capituler dans un souffle, et il se fit la réflexion que la façon dont le regard de son ami s'était illuminé encore plus à ses mots valait bien ces quelques efforts. Pourquoi pas.
Immédiatement, Soobin lui sauta au cou, tout content, et s'enthousiasma :
— Super ! Tu vas voir, Tae, tu vas pas le regretter.
Taehyun ne répondit rien, pas aussi certain de ça que son ami. Il le laissa le traîner jusqu'à chez lui pour qu'il se change et s'habille de façon « plus adaptée pour s'amuser », d'après ses dires, puis le suivit à nouveau dans les rues illuminées par les nombreux lampadaires de Séoul. Il avait troqué sa doudoune contre une veste en cuir plus légère sous le conseil de Soobin, et il le regrettait presque, maintenant. Les nuits se faisaient de plus en plus glaciales. Heureusement, l'appartement de l'ami de Soobin où se déroulait la petite fête ne se situait qu'à quelques minutes à pied, alors ils l'atteignirent rapidement.
Planté devant la porte, la nuque et les épaules crispées, le regard perdu dans le vide, Taehyun appréhendait le moment où son ami sonnerait.
— Eh, Tae.
Il raccrocha son attention à Soobin, et ce dernier rajouta :
— Respire, ok ? Ça va bien se passer.
— Oui.
— Dis pas oui juste pour dire oui, t'es tout tendu. Tu me dis si ça va pas, et que tu préfères qu'on rentre.
— Ça va, lui assura Taehyun, déglutissant silencieusement. Ne t'inquiètes pas.
Il avait accepté, il devait assumer. Il n'allait pas mettre Soobin dans l'embarras maintenant, alors que c'était son anniversaire, et que ses meilleurs amis devaient l'attendre derrière cette porte pour lui souhaiter. Alors même s'il sentait l'angoisse monter peu à peu en lui, il s'efforçait de la contenir, et de la faire taire.
« Tu peux le faire. » se répétait-il silencieusement en boucle. « Et au pire, ce n'est qu'une soirée, que quelques heures, et ça passera vite. »
Soobin le jaugea d'un air moyennement convaincu et un peu inquiet, mais ne rajouta rien. Il appuya sur la sonnette sans vraiment le quitter des yeux.
— Au moindre problème, tu me dis, ok ?
Taehyun hocha silencieusement la tête, l'angoisse lui nouant désagréablement la gorge. Et, deux secondes plus tard à peine, la tête d'un parfait inconnu apparaissait derrière la porte, un grand sourire aux lèvres, et la joie brillant dans ses yeux.
————◇◈◇————
Les amis de Soobin étaient bavards.
Celui qui leur avait ouvert – un certain Kai, à l'accent coréen discutable –, leur était directement tombé dessus avec une avalanche de phrases enthousiastes que Taehyun avait eu bien du mal à suivre. Il les avait guidés jusque dans le salon, et là, trois autres personnes cachées derrière le canapé avaient surgi en s'exclamant « Joyeux anniversaire Soobin ! », et l'espace d'un instant, Taehyun s'était senti bête d'être aux côtés de Soobin et non avec ces gens là. Puis la discussion avait commencé.
Ils étaient posés autour de la table basse du salon qui était envahie de chips et de bonbons en tous genres, et ils parlaient de tout et rien. Taehyun se concentrait pour essayer de retenir tous leurs prénoms : il y avait d'abord Beomgyu, un grand type tout aussi bavard que Kai qui avait la capacité impressionnante à déballer un flot continu de mots sans jamais s'arrêter. Il y avait ensuite Haerin, une jeune femme qui n'ouvrait la bouche que pour faire des blagues souvent très peu drôles, mais qui faisaient à chaque fois partir tout le petit groupe dans un immense fou rire. Et pour finir, il y avait Naeun, dont les cheveux étaient inhabituellement longs, et qui discutait chaleureusement avec chacun.
Tout ce petit monde semblait être tout ce que Taehyun n'était pas, et il se sentit malgré lui rapidement comme l'intrus.
Puis l'interrogatoire ne tarda pas à commencer :
— Et toi, donc, c'est Taehyun c'est ça ?
— Oui.
— C'est toi l'ami d'enfance de Soo' ?
— Oui, c'est moi.
— Trop cool ! Depuis le temps qu'il nous parle de toi !
En entendant ça, Taehyun glissa un regard vers Soobin, mais celui-ci ne le vit pas vu, trop occupé à discuter avec ses deux amies.
— Tu tu fais quoi dans la vie ?
— Je bosse dans un restaurant.
— T'es cuisto ?
— Non, juste serveur.
— Faudra que tu me files l'adresse, que je passe !
Et ça continua comme ça.
Beomgyu semblait particulièrement curieux de toute sa vie. Cela faisait désormais bien une heure qu'il s'était assis à côté de lui et qu'il avait commencé à déballer son interrogatoire, et il ne s'arrêtait toujours pas. Il faut dire qu'il divaguait souvent sur les réponses de Taehyun, alors forcément, ça prenait du temps de poser toutes les questions.
Mais, au-delà de tout ça, Taehyun se sentait étonnement bien. Le malaise du début avait laissé place à une forme de nostalgie, lorsqu'il réalisait qu'on lui parlait comme on parlerait à n'importe qui. Sûrement que Soobin ne leur avait pas dit pour son séjour en prison, qu'importe.
La spontanéité de Beomgyu lui faisait vraiment du bien. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait vivre, exister, et avoir une place dans ce monde même en dehors de l'intimité de sa relation avec Soobin. S'il avait encore du mal à se laisser aller, il constatait peu à peu qu'on ne portait aucun jugement sur lui, et cette simple idée lui réchauffait le cœur. Lui donnait de l'espoir. Peut-être qu'au final, il allait y arriver. Peut-être qu'il pourrait reconstruire une vie normale après toutes ces années d'isolement. Et quand bien même il n'était lui-même pas certain de ce qu'il entendait réellement par « vie normale », il avait envie d'y croire.
Le temps passa rapidement, et bientôt, il fut plus tôt le matin que tard le soir. Beomgyu l'avait lâché pour aller papoter avec Soobin et Naeun, et Taehyun écoutait passivement une discussion entre Kai – dont il galérait à comprendre la moitié des mots à cause de son accent – et Haerin. Il répondait de temps en temps aux questions que l'un ou l'autre lui adressait en tentant de l'intégrer, mais au fond, il n'avait plus vraiment envie de parler. Observer lui suffisait.
La scène sous ses yeux, pourtant probablement si banale pour certaines personnes, lui paraissait si étrange. Il les regardait tous les cinq rire, interagir, et son cœur se serrait d'une drôle d'émotion. Ça faisait du bien. Ça faisait mal. C'était étrange. Il avait la gorge nouée, mais il ne se sentait pas si triste. Il avait le cœur doucement réchauffé, mais il n'était pas non plus aux anges. Taehyun avait bien du mal à comprendre les émotions qui s'animaient dans son corps.
Plus loin, assis sur l'accoudoir du canapé, Soobin détournait son attention de la discussion qui animait Beomgyu et Naeun pour la porter sur lui. Leurs regards se rencontrèrent, et ils se sourirent alors. D'un sourire tendre, reconnaissant. Soobin lui adressa un petit signe de tête, puis mima du bout des lèvres : « Tu vas bien ? »
Pour seule réponse, Taehyun acquiesça, le cœur doucement réchauffé dans sa poitrine.
————◇◈◇————
— Je suis d'avis que tu devrais faire le ménage plus souvent. Cette pauvre fenêtre est toute crasseuse.
— Vous exagérez...
— Presque pas. Passe moi la tringle s'il te plait.
Taehyun tendit cette dernière à Madame Lee, qui tenait d'un équilibre précaire sur une chaise à côté de la fenêtre. Lui qui était habitué à devoir baisser les yeux pour la regarder, ça lui faisait tout bizarre de la voir si grande. Et ça l'inquiétait, surtout. Une chute à son âge n'était clairement pas recommandé.
— Je ne comprends pas, ça ne rentre pas... maugréa la vieille femme en trafiquant au-dessus de la fenêtre.
— Descendez. Je m'en occupe.
— Sûrement pas. Tu vas faire des bêtises.
Taehyun soupira devant l'obstination de sa patronne à vouloir fixer les rideaux elle-même. L'autre soir, il avait eu le malheur de se plaindre du Soleil qui frappait directement sur son bureau en début d'après-midi, et depuis Madame Lee s'était mise en tête de lui installer des rideaux pour pallier à ce problème. Bon, disons le nous, c'était très gentil de sa part. Mais également un tantinet anxiogène quand elle gigotait bancalement debout sur la chaise. Taehyun n'osait pas la lâcher du regard de peur qu'elle ne tombe.
— Tentez de pousser un peu plus à droite, peut-être.
— Ne me dis pas ce que je dois faire ! J'ai installé plus de tringle à rideau dans ma vie que toi, mon garçon !
Ça n'était pas bien difficile à atteindre comme palmarès. Avec prudence, Taehyun l'observa se hisser sur la pointe des pieds pour glisser la tringle dans les deux petits anneaux de fortune collés au mur qu'ils avaient déniché, priant pour qu'ils tiennent – étant donné qu'il était dans une résidence et qu'il n'était pas propriétaire, il n'avait pas le droit de percer les murs. Le problème aurait été vite résolu sinon. Là, c'était déjà leur troisième tentative de faire tenir les deux petits anneaux avec le poids de la tringle, et chaque tentative jouait un peu plus avec ses nerfs.
Madame Lee réussit finalement à reglisser la barre à sa place, et éloigna victorieusement la tête de son œuvre.
— Ça marche !
— Il faut encore voir si cette installation supporte le poids des rideaux... rétorqua Taehyun.
— Quel rabat-joie tu fais. Donne les moi.
— Je vais le faire.
— Taehyun, donne les moi.
Taehyun soupira, abattu, et lui tendit les rideaux d'un air résigné. Sa patronne ne descendrait vraisemblablement pas de cette chaise tant que toute l'installation ne serait pas fonctionnelle.
Il la regarda attentivement tandis qu'elle passait les rideaux autour de la tringle, toujours prêt à bondir pour la rattraper à tout instant si elle venait à perdre l'équilibre. Finalement, elle réussit à agencer le tout avec succès, et quand elle retira ses mains ridées de l'installation, rien ne tomba. Taehyun retint de peu un soupir de soulagement.
— Ah, tu vois ! fanfaronna fièrement la vieille femme. Je t'avais bien dit que j'y arriverais sans problème !
Taehyun omis de lui faire remarquer qu'il lui avait fallu trois tentatives, parce qu'il n'avait pas envie de repartir dans un éternel débat avec cette tête de mule, et lui tendit à la place la main en répondant :
— Super. Descendez maintenant.
— Un merci ça t'écorcherait la gorge ? grommela la vieille femme en la saisissant néanmoins.
Taehyun soutint son poids en s'assurant qu'elle ne perdait pas l'équilibre, tout en rétorquant :
— Merci. Faites attention.
— Quel jeune homme mal élevé...
Quand elle eut fini de grommeler sur l'absence d'éducation de Taehyun et qu'elle retrouva le sol, elle se retourna à nouveau vers son œuvre, et l'observa d'un air fier en posant ses mains sur ses hanches.
— Et voilà ! Tu devrais être mieux ainsi.
— Oui, merci...
— Maintenant il faudrait faire quelque chose pour cette décoration ignoble.
La vieille femme se retourna vers l'intérieur de son petit studio, le regard déterminé et jugeur.
— Que dis-je, inexistante, rajouta-t-elle après un rapide coup d'œil.
Taehyun soupira. C'était précisément pour cette raison qu'il n'aimait pas quand sa patronne venait le voir à son domicile : elle ne pouvait pas s'empêcher de vouloir s'occuper de tout et tout changer. La dernière fois, elle avait fait sa vaisselle entièrement sans qu'il ne parvienne à l'en empêcher. La fois d'avant encore, elle avait ramené un petit aspirateur portatif pour le passer dans les moindres recoins de son minuscule appartement – elle avait même aspiré par mégarde un post-it où Taehyun avait noté son prochain rendez-vous avec le personnel de la prison pour ne pas l'oublier : résultat, ça lui était totalement passé au dessus de la tête et il avait eu peur qu'on lui reproche trop gravement cette faute.
Heureusement que Madame Lee ne venait pas souvent ici – en vérité, ça n'était arrivé que trois fois –, car à chaque fois Taehyun se retrouvait à ne pas savoir comment réagir. Il n'avait aucune idée de comment convaincre la vieille femme d'oublier cette soudaine envie de lui faire sa décoration.
— Ça n'est pas nécessaire, tenta-t-il en la voyant déjà élaborer un plan mental de quelle décoration elle pourrait mettre où.
— Évidemment, que c'est nécessaire. Je ne sais pas comment tu fais pour vivre dans un environnement aussi triste.
On s'habitue. On oublie. En comparaison avec la prison, ça n'était de toute manière pas si pire. Taehyun cherchait quoi répondre, quand sa porte s'ouvrit derrière eux. Soobin arriva, son sac de cours hissé maladroitement sur une épaule, et son écharpe tenue sommairement avec l'autre bras. Taehyun se retint de le remercier de le sauver des plans de Madame Lee et de ses pulsions soudaines de décoratrice d'intérieur.
— Salut ! lança Soobin en posant son sac avec un grand sourire. Je ne suis pas en retard ?
— Comme tu peux le voir, rétorqua Taehyun.
Soobin posa ses yeux sur les rideaux tout neufs qui camouflaient désormais le studio de ses vis-à-vis, et sa bouche s'ouvrit dans un petit « o ».
— Ah, vous l'avez déjà installé. Oups.
Taehyun ne répondit rien, se contentant de lever les yeux aux ciel. Connaissant son ami, il aurait du s'y attendre quand il lui avait proposé de les aider à installer les rideaux vu qu'il était grand : la ponctualité n'était pas son fort.
— Ne t'en fais pas mon grand, j'ai tout installé sans soucis, sourit Madame Lee en voyant la petite mine désolée de l'étudiant. Ce n'est pas bien grave.
— Tant mieux alors.
Soobin les rejoignit, et vint immédiatement passer un bras autour des épaules de Taehyun.
— Vous parliez de quoi ?
— Madame Lee me bannait pour que je change ma décoration, soupira Taehyun.
— Pas pour que tu la changes, corrigea la vieille femme, mais pour que tu en aies une.
— C'est quasiment la même chose. Bref, un truc futile quoi.
— Personnellement, je suis d'accord avec Madame Lee. Faudrait rendre un peu plus joyeux ce petit appart.
— Ah, merci ! Tu vois que j'ai raison.
Taehyun tourna la tête vers son ami, trahi.
— Ne t'y mets pas toi aussi.
— Bah quoi ? Je ne vois pas le problème à vouloir mettre un peu de vie dans ton appartement.
La vieille femme opina directement du chef, approuvant vivement les dires de Soobin, et Taehyun rendit les armes, les laissant discuter tous les deux de quelle décoration il faudrait à tel ou tel endroit. Il aurait aimé dire à Soobin qu'il s'en fichait pas mal du matériel, et que sa seule présence lui suffisait à embellir les lieux, mais il ne pouvait décemment pas le faire devant sa patronne, et en plus, il trouvait ça franchement niais. Surtout formulé de cette manière.
Finalement, Madame Lee finit par les quitter quand ils eurent épluché du regard la moindre parcelle de mur à décorer et la moindre étagère à orner. Elle promit de revenir un autre jour avec quelques plantes vertes de son minuscule jardin, et Taehyun laissa couler, se préparant déjà mentalement à la prochaine fois où elle ferait interruption par surprise dans son domicile. Oh, elle trouvait toujours une bonne excuse pour justifier sa présence. Mais au fond, Taehyun savait bien que ce n'étaient que des prétextes pour venir le voir parce qu'elle s'inquiétait. Elle lui faisait déjà bien assez savoir au restaurant combien le voir continuer de fumer lui déplaisait.
Enfin seul avec Soobin, il dénoua ses muscles crispés, et se laissa tomber sur son lit dans un petit soupir de soulagement.
— Le jour où Madame Lee arrêtera de vouloir contrôler tout ce que je fais, je sors le champagne... marmonna-t-il.
— C'est parce qu'elle s'inquiète.
Soobin lui sourit, et vint s'allonger naturellement à ses côtés.
— C'est simplement sa façon de le montrer.
— Hm. Bah vivement qu'elle en trouve une autre.
— Oh, aller, fais pas ta mauvaise langue, rétorqua le plus grand. Je suis sûr qu'au fond t'es content après qu'elle soit passée.
— Peut-être.
Ils se regardèrent un instant dans le blanc des yeux, avant de se sourire mutuellement comme deux abrutis. Soobin passa sa main sur son front pour dégager quelques cheveux qui s'y aventuraient, et lança simplement, changeant de sujet d'un accord commun :
— Je ne serais pas là, ce week-end.
— Tu vas où ?
— Voir mon père. Ça fait trop longtemps que je ne l'ai pas vu, il me manque.
Taehyun eut un petit sourire tendre.
— Tu lui passeras le bonjour de ma part, alors.
— Tu veux venir ?
— Non non, corrigea-t-il rapidement. Je ne veux pas m'incruster dans vos vacances en famille.
— Tu dérangerais pas, tu sais.
— Quand même. Profite de le voir tranquillement.
Soobin ne répondit pas tout de suite, et le dévisagea d'un regard que Taehyun n'arrivait pas à définir. Il y eut un petit silence, puis la voix du plus grand s'éleva à nouveau :
— Tu sais, pour moi, t'es presque dans ma famille maintenant.
Taehyun le jaugea d'un air perplexe.
— Comment ça ? demanda-t-il en se redressant sur ses coudes.
— Ben, je t'aime vraiment beaucoup.
— Comme un frère ?
— Non. Pas de cette manière.
— Comment alors ?
Un nouveau petit silence plana dans la pièce, durant lequel Soobin se rassit sur le lit. Taehyun l'observa se passer une main dans la nuque, une petite mine gênée sur le visage, et des légères rougeurs sur les joues. Son cœur accéléra sans qu'il ne s'en rende compte, alors que la voix du plus grand s'élevait finalement, basse et timide :
— Ben, tu sais...
Fasse à l'absence de réponse de son ami, Soobin se racla la gorge et se releva finalement totalement.
— Oublie, rajouta-t-il le regard fuyant. Rien de très important.
Il récupéra son sac et sa grosse écharpe qu'il avait balancé précédemment par terre, et se retourna vers le propriétaire avec un petit sourire contrit.
— Je vais devoir y aller aussi, annonça-t-il. Mes colocs voulaient qu'on se fasse une soirée tous les trois.
— Oh, ok.
Taehyun se releva à son tour. Dans sa poitrine, son cœur battait toujours anormalement vite tandis que dans son cerveau, ses connections nerveuses surchauffaient sur la courte discussion qu'il venait d'avoir avec son ami. Il n'y connaissait pas grande chose aux relations sociales, à l'amitié, à l'amour, à la vie en général. En revanche, il n'était pas complètement stupide non plus. Et les réponses de Soobin laissaient penser à quelque chose qu'il avait bien du mal à imaginer.
Il vint se poster en face de lui, et le regarda enrouler en plusieurs tours son immense écharpe autour de son cou.
— Serre pas trop, plaisanta-t-il d'un air attendrit en voyant le visage de l'autre disparaître sous les couches et les couches d'écharpe. Tu vas finir par t'étouffer.
— Je préfère ça que de subir le froid glacial de dehors, rétorqua Soobin.
— Frileux.
— Toi même.
Il ne releva pas la répartie discutable de son ami, et marcha jusqu'à la porte avec lui dans un tourbillon de pensées infernales. S'il s'était efforcé de ne pas trop réfléchir à la relation un peu particulière qu'il entretenait avec lui depuis leur unique baiser quelques semaines plus tôt, là il avait bien du mal à ne pas se prendre la tête. Comment Soobin le voyait-il réellement ? Qu'attendait-il de lui ? Depuis quand ? Et Taehyun, est-ce qu'il avait vraiment envie de se lancer dans une relation plus complexe maintenant ?
Il ne savait pas. En revanche, ce dont il était sûr, c'est que le visage de Soobin caché dans son écharpe lui réchauffait doucement le cœur, et qu'il trouvait franchement adorable la façon dont ses joues étaient légèrement rosées. Il était naturellement si pale que la moindre rougeur ressortait directement.
L'étudiant ouvrit la porte, et lui lança un petit sourire timide :
— Bon, ben à lundi du coup ?
— Hm.
Taehyun s'approcha de lui, dégageant légèrement son écharpe de son visage pour venir lui flanquer un petit baiser au coin des lèvres. Il ne savait pas trop pourquoi il avait fait ça – sûrement pour montrer à Soobin qu'il n'avait pas à être gêné de ce qu'ils s'étaient dit, et parce qu'il en avait aussi peut-être un peu envie, qu'importe –, mais la manière dont le plus grand se liquéfia timidement valait bien ce petit geste affectif.
— À lundi, sourit Taehyun à son ami.
Ils s'échangèrent un dernier sourire. Et Soobin disparut à son tour dans la cage d'escalier.
————◇◈◇————
Parfois, il semblait à Taehyun que le monde lui-même avait quelque chose contre lui.
Qu'il avait dû blesser gravement plusieurs personnes dans une vie antérieure pour qu'à chaque fois qu'un semblant de bien-être naissait en lui, ce dernier soit détruit la seconde d'après. Comme si le bonheur était quelque chose qui lui était refusé par une force qui le dépassait, mais qui ne cessait de s'assurer qu'il ne soit pas heureux, pas trop longtemps.
Encore une fois, c'était ce qui lui tombait sur la tête.
Ça commençait à aller mieux, pourtant.
Il s'était réconcilié avec Madame Lee et cette dernière avait cessé de l'envoyer chier injustement.
Il avait construit une relation avec Soobin dans laquelle il se sentait bien, malgré le fait qu'il ne sache pas réellement comment la définir ni où elle allait les mener.
Il avait même commencé à rencontrer d'autres gens et à sortir de sa solitude.
Mais non. Il lui semblait que jamais il n'arriverait à trouver un bien-être durable.
Debout devant son bureau, son courrier étalé négligemment sur celui-ci, il serrait à s'en blanchir les doigts le papier qu'il avait extrait de l'enveloppe ouverte qui reposait face à lui. Sur celle-ci, figurait un symbole d'hôpital qui lui avait fait froncer les sourcils quand il l'avait pris dans ses mains une première fois. Et pour cause. Ses yeux parcouraient les lignes inscrites sur la feuille encore et encore, sans les lire réellement.
Dans son ventre, tout se tordait. Ça s'agitait dans un mélange de colère, de douleur, de tristesse, de rancune et d'incompréhension.
Sa mère lui avait écrit.
Sa mère avait décidé de revenir dans sa vie alors même qu'il ne demandait qu'à l'oublier.
Sa mère s'était autorisée, encore une fois, à venir l'ébranler et l'empêcher de se reconstruire en tournant la page.
Taehyun n'osa pas bouger pendant un long moment, le regard vide ne pouvant se détacher de ces quelques mots tapés au clavier dans une police qui manquait cruellement d'authenticité, mais qui pourtant résonnaient bien trop fort en lui. Ses doigts tremblants finirent par froisser la feuille, avant de la jeter nerveusement dans la poubelle.
Il sortit de chez lui en trombe. Et alla s'acheter une nouvelle bouteille d'alcool.
Plus tard dans la nuit, quand le sommeil l'aura fuit suffisamment longtemps pour que sa détermination à haïr sa mère ne se taise, il se lèvera, et viendra récupérer la lettre dans sa corbeille.
———— ⛅ ————
Coucou tout le monde !
Voilà la suite, après une très longue pause, je m'en excuse :'(
J'ai été stoppée dans mon écriture parce que je n'avais plus du tout confiance en mon style d'écriture, et après je ne voulais pas poster la suite tant que l'histoire n'était pas intégralement finie pour être sûre de ne plus vous faire de faux bonds comme ça... Mais je l'ai terminée, donc la voici ! 〜(꒪꒳꒪)〜
Après ce chapitre, il reste un autre chapitre et l'épilogue, que je posterai demain ou après demain ( ꈍᴗꈍ)
N'hésitez pas à donner votre avis et à commenter, ça fait toujours vraiment plaisir !
J'espère que ce chapitre vous aura plus et à très très très bientôt pour la suite ! ;)
Merci de me lire ♡♡
( Je m'excuse par avance s'il y a des fautes d'orthographes ou d'étourderies, je fais de mon mieux pour me relire mais les chapitres sont longs donc je m'embrouille parfois un peu :') )
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