56. Behind Enemy Lines
Récupérer Leo et Marco s'avéra plus facile qu'anticipé. La dryade les avait guettés et poussa un bref soupir de soulagement lorsqu'ils arrivèrent devant la salle technique.
— On y va, annonça Hector, sans s'avancer davantage.
Serena jeta à peine un coup d'oeil à son acolyte.
— Heu. D'accord, répondit Leo, incertaine.
Les questions devaient s'entrechoquer dans son crâne, mais elle eut la réserve de n'en poser aucune. Lui-même aurait bien aimé savoir si elle avait découvert quoi que ce soit d'utile dans la salle technique.
— On y va, répéta-t-elle à l'intention du gamin qui la flanquait.
Debout derrière son épaule, Marco jeta un regard épouvanté à Serena.
— Évidemment, grommela l'actrice, sans que le Troyen comprenne exactement ce qu'elle entendait par là.
Une chose était certaine, elle ne tenait pas l'adolescent dans son coeur. Intéressant. Probablement utile, s'il réussissait à l'exploiter au moment opportun.
Déjà, elle repartait dans le couloir de son pas rapide, et Hector se coula dans son ombre. Leo et Marco les suivirent. Le jeune homme n'émit aucune protestation, comme s'il était muselé par la présence de son aînée. Le Troyen l'entendit néanmoins couiner à mi-voix lorsque Serena débloqua la porte suivante d'un coup de badge puis d'une paume posée sur une surface sombre. Des lumignons rouges passèrent au vert, un claquement sec retentit quelque part à l'intérieur des murs, et les parois métalliques s'écartèrent devant eux.
Ils avancèrent. Hector devina qu'ils venaient de pénétrer dans une zone plus protégée, un sanctuaire obscur au-delà du portail, la prison où pourrissaient ses semblables. Les terres d'Hadès, les Enfers. Avec un peu d'astuce, un peu de courage, il était possible d'en arracher une âme. Thésée lui-même y était descendu, même s'il avait été piégé et n'avait dû son salut qu'à l'intervention d'Heraclès, venu combattre Cerbère.
Puisque ce dernier n'existait plus chez Légendes, il faudrait qu'Hector s'y substitue. Pourquoi pas, après tout ? Héraclès était fils de Zeus, et Hector lui-même descendait du Chef des Dieux, à six-sept générations de distance.
Et, accessoirement, dans un mythe.
Peu importait. Il ferait illusion.
Les couloirs dans lesquels ils étaient arrivés bourdonnaient d'une activité distante. Plusieurs héros combattaient ce soir-là, certains étaient sans doute sur le point d'entrer en lice, et les équipes qui les encadraient devaient s'agiter dans les coulisses. Le temps filait plus vite qu'espéré, Hector doutait de pouvoir intervenir avant le coup d'envoi du premier duel. Quelle heure pouvait-il bien être ? Il maîtrisait à peine leur système de comptage du temps. Soixante minutes dans une heure, soixante secondes dans une minute, un battement de coeur par seconde, quelque chose comme ça.
Ne pas penser, ne pas s'égarer, progresser.
Des intrus, bien sûr, vinrent à leur rencontre. Deux hommes pressés, qui les doublèrent sans leur prêter attention, puis une femme vêtue d'une robe blanche à la mode antique, qui adressa un salut servile à Serena, avant de filer, le visage rougi, congestionné par une émotion douloureuse.
— Tu devrais liquider Achille avant qu'il ne tue quelqu'un, gronda Serena.
Pendant une seconde, Hector crut qu'elle l'avait percé à jour, puis réalisa qu'elle s'adressait toujours à Miles à travers lui. Il se garda bien de répondre. Ils bifurquèrent dans un couloir, un second, croisèrent encore quelques personnes, mais Serena leur garantissait une immunité formidable, comme si sa présence en ces lieux constituait l'élément le plus banal du monde, quelle que soit son escorte.
Le silence revint peu à peu comme ils poursuivaient leur route , puis Serena s'immobilisa au bas d'un court escalier. Au sommet, une porte frappée d'une tête de vache bloquait le passage.
— Voilà, grommela-t-elle.
Sans hésiter, elle glissa son badge dans une nouvelle fente, puis entama l'ascension. Leo attrapa la manche d'Hector. Il lui répondit d'une grimace. Impossible de parler, impossible de planifier, ils devaient continuer. L'intervention surgit d'ailleurs.
— On va pas entrer, quand même, s'exclama Marco, stupéfait. On ne peut pas...
— Ça risque rien, répondit Serena, de son ton toujours acide.
Sans hésiter, elle pénétra dans la pièce obscure, Hector sur ses traces.
Ils débouchèrent dans une salle carrée, éclairée par une lumière bleue, tamisée, qui émanait des lézardes du plafond. Le sol sableux crissait sous leurs chaussures, la pierre brute des murs paraissait ancienne et solide, une arche s'ouvrait vers le néant et la suite d'un labyrinthe invisible. Dans un coin, roulé en boule sous une cape déchirée, Thésée dormait à poings fermés, les reliefs de son repas abandonnés à quelques pas.
La porte se referma derrière les intrus dans un chuintement sourd.
— Comment on va sortir ? gémit à nouveau Marco, à voix basse.
L'actrice qui jouait Ariane s'était dirigée vers la forme alanguie. Recroquevillé en position foetale, le grand héros athénien paraissait presque fragile. Si de réels monstres avaient erré dans ce dédale, sans doute l'auraient-ils tué sans mal. Depuis leur arrivée, il n'avait pas bronché.
— Filme, ordonna Ariane.
Elle se tourna vers Hector, poings sur les hanches.
— Allez ! Je dois faire quoi ? Lui cracher dessus ? Le bourrer de coups de pied ? Dis-moi !
Elle semblait sur le point d'agir de ses talons pointus. Alarmé, le Troyen s'interposa.
— Sûrement pas.
Il posa sa caméra sur le sol puis se pencha sur le prince athénien. Thésée dormait profondément. Il l'attrapa par l'épaule et le secoua. Derrière lui, Serena rit.
— Il est shooté, tu espérais quoi ? s'exclama-t-elle, interdite.
La pointe de surprise dans sa voix inquiéta le Troyen.
— J'ai ce qu'il faut, intervint Leo.
— Quoi ?
Dans la pénombre, les yeux de Serena allèrent d'Hector à Leo, puis de Leo à Hector. Elle fit un pas en arrière. Hector se releva.
— Merde, vous n'êtes pas avec Miles. Je vous ai emmenés jusqu'ici. Il va me tuer.
Sentant que la situation allait lui échapper, le Troyen se fendit pour lui saisir l'avant-bras. Marco poussa un cri aigu. Serena, en revanche, ne broncha pas, ne lutta pas contre la poigne de son ravisseur. Elle se contenta de le fusiller de ses yeux noirs.
— Personne ne doit être blessé, déclara Hector d'une voix très calme.
L'actrice ne répondit rien mais Marco s'agita, en proie à la panique. Il cherchait manifestement à rouvrir la porte, tâtonnait sur le mur à la recherche de quelque chose, un levier, une fissure, la voix entrecoupée de sanglots et de suppliques inaudibles. Une odeur doucereuse leur saisit les narines. Leo hésitait à intervenir mais elle n'était pas de taille à le maîtriser, surtout dans son état fébrile.
— MARCO ! aboya brusquement Serena. Arrête ! Personne peut te voir, t'entendre, et tu peux pas rouvrir le sas, tu le sais, alors arrête.
Il gémit et se plaqua contre les pierres.
— Me tuez pas, souffla-t-il. J'ai rien fait.
— C'est discutable, remarqua Leo, grinçante.
Et apparemment, le gamin le savait.
— Personne ne va être tué, répéta Hector.
— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda Serena.
Il ne l'avait pas lâchée, bien qu'elle se soit complètement détendue. Il ne lui faisait pas confiance, pas une seconde. C'était une actrice. Elle pouvait se jouer de lui, elle avait peut-être menti à Marco, essayait sans doute de gagner du temps avant l'arrivée d'un service de sécurité qui les neutraliserait sans mal.
— Nous allons réveiller Thésée. Vous allez lui dire de me faire confiance, de m'obéir. Vous lui direz que je suis Héraclès, venu le guider vers la sortie du labyrinthe.
Ariane rit.
— Vous voulez le libérer ? Pourquoi ?
Répondre à la question était tentant, mais elle lui renverrait ses principes au visage.
— Ce n'est pas votre problème.
— C'est mon problème. Miles va me tuer.
Miles ne verrait pas le lever du jour.
— Vous lui direz que vous étiez contrainte. Il vous pardonnera.
— Ah ! Vous ne connaissez manifestement pas Miles.
— Alors t'as plutôt intérêt à faire équipe avec nous, tu ne crois pas ? intervint Leo, agacée.
Elle s'était agenouillée à côté de Thésée, et lui bascula la tête sur le côté, puis sortit quelque chose d'argenté de sa poche.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Hector.
— A... théna savait qu'ils dormiraient. Certains. Elle m'a donné un antidote à leurs maléfices, voilà. Il devrait reprendre ses esprits rapidement, dès qu'il aura avalé ça.
Elle brandit une petite boule entre deux doigts. Hector acquiesça, regarda à nouveau Ariane.
— Le ferez-vous ?
Il brûlait de la confronter à l'abominable massacre dont elle s'était faite complice, d'en appeler à son coeur, son humanité, mais il avait l'impression qu'elle ne ressentirait rien de bon, juste du mépris. Son âme paraissait sombre, retranchée derrière une cuirasse indestructible. Elle aimait Miles, selon la rumeur. Une femme mauvaise. Peut-être pourrait-il lui rompre le cou dès qu'elle aurait rempli son office.
Non.
Il n'était pas un tueur. Ne le serait plus jamais. Athéna voulait que les EBA trébuchent, Hector ne le permettrait pas.
Ariane le jaugeait, elle aussi, yeux rétrécis.
— Nous perdons du temps, lança Leo. Soit on le laisse, soit on l'éveille.
— Je le ferai, trancha l'actrice, sans quitter Hector des yeux.
Peut-être était-ce un mensonge, il le savait. Elle avait le pouvoir de dresser Thésée contre eux d'un mot, d'un geste. Peut-être pourrait-il alors la prendre en otage, pour contraindre l'Athénien à leur obéir, mais c'était risqué, et le Grec ne lui ferait ensuite plus jamais confiance. Il devait la croire, risquer sa traîtrise.
Il l'accompagna jusqu'au héros endormi, puis la lâcha. Avant de s'assoupir, Thésée avait posé son bouclier et son glaive contre le mur, à portée de main. Hector s'en saisit, arrachant une plainte angoissée à Marco, se débarrassa du cercle de bois ferré et confia la lame à Leo. Elle le dévisagea, les yeux écarquillés.
— Tu crois quand même pas que je sais me servir de ça ?
— Il ne faut pas t'en servir, juste la garder. Donne-moi le philtre.
Elle posa la petite baie blanche dans sa paume, puis prit l'arme par le manche et grimaça sous son poids. Ils échangèrent un nouveau regard, un signe du menton. Trop tard pour faire marche arrière.
— Allons-y.
Se détournant, Hector s'accroupit, entrouvrit les lèvres du jeune homme et lui glissa le remède sur la langue, avant de lui refermer la bouche. Le visage avenant du héros grec se contracta, ses yeux se plissèrent, et un spasme anima sa carcasse, des épaules aux talons. Pendant une seconde, la crainte envahit le Troyen, en une sueur glaciale. L'avait-il empoisonné par mégarde ? Athéna était retorse et elle voulait les tuer.
Mais Thésée poussa ensuite un profond soupir, s'étira et passa une main maladroite sur un oeil, comme un enfant qui s'éveille. Ses cils sombres papillonnèrent. Hector recula pour laisser Ariane s'immiscer entre eux. Elle écarta les pans de sa robe et s'agenouilla dans le sable. Ses doigts effleurèrent le visage du héros, son expression s'adoucit.
— Thésée, murmura-t-elle.
Hector retint son souffle. Dans la poussière, l'Athénien s'était redressé sur un coude. Recroquevillé sur le sol, il n'avait eu l'air de rien, mais le Troyen n'était pas complètement sûr de pouvoir le maîtriser, s'ils devaient se battre. Malgré lui, il lorgna le glaive que tenait Leo.
Quelque chose se crispa dans son ventre, un élan dangereux, l'instinct de survie.
— Thésée, répéta Ariane. Réveille-toi, mon aimé.
Ces mots révulsèrent le Troyen ; il musela son dégoût, contint un geste de fureur.
— Ariane ?
Il n'avait d'yeux que pour elle. Malgré lui, Hector adressa une prière à Arès.
— Ariane, que faites-vous ici ? Que se passe-t-il ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro