Chapitre 26
— Susano, je vais hanter tes enfants sur dix générations si tu continues, dis-je sur un ton un peu trop sérieux.
— C'est pas ma faute si t'es naze, répondit-il en cliquant à toute vitesse sur la manette.
— Je te jure que je vais te retrouver où que tu ailles et que je vais t'assassiner dans de terribles souffrances.
Ok, peut-être que j'avais tendance à m'énerver légèrement vite devant les jeux vidéo.
Il éclata de rire, alors que la barre de vie de mon petit personnage tombait dangereusement dans le rouge. Mon frère enchaînait les combos sur moi, m'empêchant de pouvoir jouer correctement. En même temps, ce no life passait sa vie sur ce jeu, pas étonnant que je perde. En plus, j'avais choisi un des personnages les plus faibles de la franchise parce qu'il était mignon...
— MAIS TA GROSSE DARONNE SEN M'EMPÊCHE DE JOUER, hurlai-je à nouveau.
— On a la même daronne idiote.
En effet, le chat noir me piétinait joyeusement, mordillait mes avants bras avec toute l'innocence d'un félin qui pense jouer avec son maître. Sauf que là, c'était une question de vie ou de mort —enfin non mais presque. Petit con, je regrettais presque de l'avoir adopté.
Finalement, dans un ultime cri de désespoir, je vis ma créature adorable mourir sous les coups de son adversaire sadique. L'écran afficha la fin du jeu et ma défaite fatale. Je lançai les représailles en me jetant sur lui pour le chatouiller à mort. Il me supplia d'arrêter, gigotant dans tous les sens, mais je n'avais aucune pitié pour la famille.
Soudain, quelqu'un nous arrêta dans notre petite bataille. C'était ma mère, les bras croisés, la bouche légèrement pincée, qui nous attendait dans la cuisine reliée au salon. Oula, ça allait barder pour nous, qu'est-ce qu'on avait fait ? Est-ce qu'elle avait appris pour le vase qu'on avait cassé et dont on avait fait disparaître les preuves en pensant qu'elle était assez sénile pour l'oublier ?
— Les enfants, il faut que je vous annonce quelque chose, commença-t-elle en nous invitant à nous asseoir.
Elle était d'un côté de la table, nous de l'autre. La dernière fois que j'avais vu cette scène, mon père était aussi présent et mes parents nous annonçaient leur divorce.
Elle prit une grande inspiration, mes doigts tapotaient nerveusement la table. Susano s'efforçait de paraître calme, mais je ne sais pas pourquoi, j'étais certaine qu'il était déjà au courant. En tant qu'ainé, il savait tout avant moi.
— Nous allons déménager, lâcha-t-elle finalement.
Pardon ?
Est-ce que j'avais bien entendu ?
— Quoi ? Pourquoi ? Quand ? Où ? disais-je à toute vitesse.
— Dans un mois, nous allons à Sapporo. J'ai eu une promotion au travail, et j'en ai besoin pour que nous puissions vivre correctement.
— Mais c'est super loin ! m'indignai-je. Et Yujin, qu'est-ce qu'il en pense ?
Yujin, pour ceux qui auraient oublié, c'était mon père.
— Vous le verrez un week-end sur deux et pendant les vacances, tout à déjà été arrangé, expliqua-t-elle.
Je serrai les poings. Ça ne pouvait pas se passer comme ça. Ce n'était juste pas possible.
— Si c'est de l'argent dont t'as besoin, pourquoi tu lui demandes pas d'aide financière ? proposai-je. Il a de quoi faire.
— Kanzaki, je ne peux pas vivre au dépend de ton père.
Je sentais les larmes me monter aux yeux. Vous devriez avoir l'habitude, avec moi.
Actuellement, toutes mes pensées se tournaient vers Shuji. Sapporo était genre, super loin de Tokyo. En plus, il faisait froid là bas. Je ne pourrai plus jamais voir Shuji. Notre couple était voué à l'échec. C'était injuste, totalement injuste ! Ça venait à peine de commencer, et on me retirait aussitôt mon bonheur...
— Eh, Aki, tu pourras toujours voir Shuji de temps en temps, me consola Susano en posant une main sur mon épaule, les sourcils tombants.
— C'est des conneries, on se verra jamais. C'est fini, Susano.
— Tu trouveras des tas de gars là-bas, t'es jolie, ça va pas te manquer, continua-t-il comme si ça arrangeait quelque chose.
— Mais j'en ai rien à faire des gars, je veux Shuji ! criai-je en posant les mains sur la table.
J'allais exploser. Je vous jure que j'allais exploser.
Je tentai encore de marchander quelques minutes. Je cherchais des solutions, demandais à ce qu'on me laisse vivre seule ici, mais rien n'y faisait. Ma mère n'en avait que faire de mes sentiments. Elle m'arrachait à Shuji, Yori, Hina, Emma et Mikey sans aucun remord. Tout mon petit monde parfait s'effondrait encore.
Alors, je me levai brusquement, et pris mes jambes à mon cou sous le regard épuisé de ma génitrice. Je claquai la porte derrière moi et m'enfermai dans ma chambre. Comment pouvait-elle oser me faire ça ?
J'enfouis ma tête dans mon oreiller pour crier. Puis, je me laissai tomber inerte sur mon matelas, fatiguée. La tête de mon copain et de tous mes amis dans cette ville tournait en boucle dans ma tête, sans arrêt. Je n'imaginais pas une vie sans eux. Dire qu'hier soir, j'étais encore dans le lit de Shuji.
J'allais m'endormir, alors qu'il était seulement quatorze heures, mais je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche. Je l'allumai : c'était un message de Izana.
***
Je ne pense pas que ça se fasse, d'inviter une fille dans un hangar abandonné rempli de délinquants prêts à en découdre.
Pourtant, c'est ce qu'Izana avait fait.
Je passai ma tête par le trou gigantesque où on avait retiré les battants des portes. L'endroit était couvert de tags, et sentait le métal. Des types louches se battaient ou discutaient peu importe où je posais les yeux. Il y avait même un rassemblement bruyant au fond, qui criait des encouragements. Je ne voyais Izana nulle-part.
Je reculai d'un pas. Je m'étais peut-être trompée, je n'avais rien à faire ici. Mais, avant que je ne puisse me poser plus de questions, je rentrai dans un mec qui était apparu derrière moi.
— Rentre chez toi, fillette, somma-t-il énervé.
— Ah euh je cherche quelqu'un, expliquai-je timidement.
— C'est pas un endroit pour les gamines ici, je te conseille de dégager en vitesse, insista-t-il en s'approchant dangereusement.
Je serrai la mâchoire. Pour qui il se prenait, celui-là ? Sur les nerfs, je dis d'un air assuré :
— Je cherche Kurokawa Izana.
Et là, il éclata de rire.
— Qu'est-ce que le roi aurait à faire avec quelqu'un comme toi ? Allez, casse-toi et reviens plus jamais, ordonna-t-il une nouvelle fois.
— Je dois vraiment le voir, c'est un ami à moi ! répliquai-je en haussant le ton.
— Ouais c'est ça, et moi je suis pote avec Mikey l'intouchable, se moqua-t-il.
— Oui alors ça tombe bien parce que...
— Aki, annonça un nouvel arrivant.
Il portait un long manteau crème et une écharpe noire qui lui donnaient presque un air normal. Ses yeux pourpres malicieux revêtaient leur même air habituel, grands ouverts. Je sentais des dizaines de regards me traverser pour épier discrètement celui que je devinais être le maître des lieux.
Le type qui me parlait s'inclina subitement plus bas que terre, tremblant. Il me jeta un regard l'air de dire "tu vas morfler". Haha. S'il savait.
Sous le regard étonné de celui-ci, Izana m'invita à le suivre. Je ne me fis pas prier et obéis. Nous traversâmes l'endroit, pour monter un escalier en colimaçon qui permettait d'accéder à un étage ouvert, fermé par des barrières. D'en haut, on pouvait observer tout le hanger et l'agitation. Il n'y avait pas grand chose à part un canapé, une table basse et des canettes vides. Il m'invita à m'asseoir à côté de lui.
Je m'installai sans un mot, intimidée par le lieu. Izana plaça ses bras ouverts sur le dossier du canapé. Moi, j'avais les jambes serrées, et les mains posées sur mes genoux. Il remarqua mon embarras, puisqu'il lança :
— Détends-toi, Aki, je suis le boss ici.
Je fronçai les sourcils.
— C'est un nouveau gang ?
— Non, juste un endroit où les personnes qui n'ont nulle part où aller peuvent se rendre.
Mon expression s'éclaircit. Je comprenais mieux. Je trouvais ça beau, dans un sens. Comme s'il recueillait les orphelins de la rue et leur donnait quelque part où passer leurs journées, même si je n'osais pas imaginer leurs activités.
Finalement, nous parlâmes de Shinichiro pendant une heure. On évoquait ses bêtises, le gang des Black Dragons auquel Izana a été à la tête pendant un moment, ses conquêtes ratées, ses motos, son magasin, ses amis... Avec lui, j'avais l'impression que mon cousin n'avait jamais disparu de ce monde. Je voyais encore Shin me demander ce que je lisais, me brosser les cheveux ou nous préparer des oeufs au plat, à Emma, Mikey et moi. Sa tête fatiguée qui fumait sans arrêt me manquait tant.
— Je suis sûr que Shin voudrait que je te protège, disait Izana.
— J'ai pas besoin de protection, riai-je en observant le vide derrière les barrières.
— Tu es si fragile, Kanzaki. Ces filles vont te détruire.
J'arquai un sourcil. De quoi parlait-il ?
Il me regarda comme s'il était étonné que je ne comprenne pas.
— Me dis pas que tu pensais qu'elles étaient sincères ? Elles parlent dans ton dos, c'est sûr.
— Tu les connais même pas, répliquai-je renfrognée.
— Je connais les humains et leur fonctionnement, je connais les femmes, je sais comment elles sont. Ce sont des sorcières entre elles. Elles te font croire qu'elles t'aiment et te respectent, puis crachent sur toi quand tu auras le dos tourné, et finiront par te descendre plus bas que terre quand tu ne t'y attendras pas.
— Mes amies ne feraient jamais ça !
Il me regarda plus sérieux qu'il ne l'a jamais été.
— Aki, éloigne toi d'elles avant que ça ne soit trop tard. Elles vont piétiner ton cœur. Tu ne crois pas avoir déjà assez souffert ?
— Tais-toi, répondis-je la tête basse, incapable de dire quoi que ce soit d'autre.
Il se leva soudainement et m'attrapa par les épaules pour capter mon attention. Je détournai les yeux, ne voulant pas affronter la vérité. Sa poigne était trop forte, trop douloureuse.
— T'es seule, Kanzaki, tu es seule au monde, il serait temps que tu t'en rendes compte. Ces filles vont partir et Hanma ne t'aime pas, c'est trop compliqué pour toi à comprendre ?
— Ferme la, répétai-je.
— Accepte la vérité, y'a personne pour toi, les humains sont terribles. Tu vies dans une illusion ma pauvre, ces gens sont nocifs et mal intentionnés mais tu ne le vois pas. Réveille-toi enfin, pars, les laisse pas te détruire.
— ...
— Tu es seule, d'accord ?
Je me recroquevillai sur moi-même et entourai mes genoux avec mes bras. La tête enroulée sur moi comme un fœtus, je ne pleurais même pas. J'avais les yeux complètement secs et vides. Le cœur comme anesthésié. Ses mots s'infiltraient dans mes tympans contre mon gré, et tournaient en boucle dans mon cerveau.
Izana se rassit à mes côtés et passa un bras bienveillant autour de mes épaules.
— Mais, moi, je suis là pour toi.
Oui, heureusement qu'il était là. Sinon je n'aurais plus rien.
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Dans quelques années je vais trouver cette fic extrêmement cringe 👍
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