Chapitre 20
Quand j'étais énervée, je pouvais être plutôt effrayante. Je le savais parce que je voyais la peur viscérale qui allumait le regard des gens que je croisais. Cette même expression se retrouvait dans les yeux du type avec un bonnet noir qui tenait une bouteille de Kirin dans sa main rougie par le froid. Il avait le bout du nez couleur tomate, des traits peu harmonieux, et je pouvais jurer que son couvre-chef cachait une calvitie naissante. Il recula de quelques pas, sans prendre la peine de dire un mot de plus.
Il y a quelques secondes, l'inconnu m'avait demandée ce que je faisais là avec insistance. Jusqu'à ce qu'il voit la haine sur mon visage. À partir de là, il n'a plus osé piper mot et est juste parti sans demander son reste.
Pourquoi étais-je énervée, vous demandez-vous ?
Peut-être parce que j'étais seule, loin de chez moi dans une ville que je ne connaissais pas, que ça sentait l'urine dans la ruelle que j'avais empruntée, que j'avais froid, que mon crush venait de m'avouer son amour dans les pires conditions possibles, et surtout, que mon cousin, et seul lien avec Shinichiro, venait de mourir sous mes yeux. Enfin pas exactement, puisque j'étais blottie dans les bras de Hanma au moment où c'est arrivé, mais j'ai vu son corps sans vie et les trois trous béants dans son torse.
Quand je passai un doigt sous mes yeux, j'en ressortis avec du noir sur l'index. Mon maquillage avait coulé. Oui, j'avais chialé comme un enfant et m'étais enfuie à cause du trop plein d'émotions. C'était tout ce que je pouvais faire. Courir. Ne pas me retourner, prendre des rues au hasard, m'éloigner du lieu du crime, comme s' il ne s'était jamais rien passé.
Ma gorge était amer et mes yeux me piquaient à force de pleurer. En plus d'une profonde tristesse et de la colère, je ressentais de la honte. En vérité, ce n'était pas Izana que je pleurais. J'aimais bien, ce garçon, même s'il me faisait sérieusement flipper. Mais la personne dont je faisais le deuil, c'était Shin. C'était comme s'il renaissait pour mourir à nouveau. Et la douleur que cela provoquait était terrible. Après tout, c'était mon premier amour. Ma passion impossible, mon petit secret que j'ai gardé jusqu'à son décès.
Comme j'en avais marre de marcher et que mes pieds me faisaient mal, je me suis accroupie entre deux poubelles, cachée du monde. Ça puait encore plus, mais c'était le cadet de mes soucis. Je grelottais de froid, roulée en boule comme un petit animal.
Je crus que quelqu'un me parlait. Nous, quelqu'un me parlait bel et bien. Je priai de tout mon cœur pour que ce soit Hanma. Qu'il m'ait retrouvée et qu'il s'inquiétait pour moi. Je n'avais pas eu le temps de voir s'il me suivait, emportée par mon trop plein d'émotions.
Mais, quand je relevai la tête, je tombai sur une tête qui ne me disait absolument rien. Un grand nez, les cheveux longs clairs et sales, une clope dans la main. Non, un joint. Ça empestait la beuh. Super, un crackhead, mais un vrai cette fois.
— Tu sais c'que t'as besoin chérie ? De tirer un bon coup pour décompresser. J'ai plein de cons chez moi.
Je fis mine de ne pas l'entendre. De toute évidence, il était trop défoncé pour craindre mon regard noir. Mais il continua de me parler et commença à raconter sa vie.
— J'habite pas loin, faut prendre le bus là et aller vers le sud euh non le nord, je sais plus. Je te jure que je roule les meilleurs j de la planète. Si c'était un métier je serais maître artisan rouleur. La dernière fois un gars avait besoin d'un grinder et...
— Dégage.
Je l'avais coupé d'un ton sec. Mes cheveux bruns collaient à mes joues, me donnant une allure déplorable, mais j'en avais rien à faire. Je voulais juste qu'il foute le camp et qu'il me laisse me morphondre en paix. C'était trop demander, deux minutes de silence ? En plus, personne ne passait dans cette rue.
— Yo man apaise ton cœur, je viens en ami, dit-il en faisant de grands mouvements de main.
— On est pas potes alors tire-toi, crachai-je sans penser aux conséquences.
Je sentais qu'il devenait impatient. Il voulait me ramener chez lui, et vite. Les hommes étaient tous pareil. Si un individu du sexe masculin me parlait dans la rue, c'était pour me sauter.
Et les crackheads étaient soit des petites hippies un peu bêta, soit devenaient dangereux si on les poussait un peu trop loin dans leurs retranchements. L'inconnu aux cheveux blonds appartenaient à la deuxième catégorie, puisqu'il s'approcha et m'attrapa violemment par le col. Je posai mes mains sur les siennes pour essayer de me défaire de son emprise.
— Tu baisses d'un ton poulette, moi j'suis sympa je te propose des trucs, alors t'ouvre pas ta gueule de petite pute comme ça ou sinon je risque de plus être aussi gentil, me menaça-t-il un rapprochant sa bouche à l'haleine pestilentielle.
Son joint était toujours dans sa main et le côté brûlant se rapprochait un peu trop de mon visage. Je fermai les yeux, attendant la sentence en serrant les dents.
Mais elle ne vint jamais.
— Qu'est-ce que tu fous connard ? demanda une voix grave qui venait de derrière lui.
Une main tatouée se posa sur son épaule. Mon regard s'illumina. L'homme tourna la tête et relâcha légèrement sa prise, intrigué. Mais, avant qu'il ne puisse s'en rendre compte, le nouvel arrivant avait enfoncé son poing dans sa joue à une vitesse phénoménale. Dans un cri de douleur il fut propulsé trois mètres plus loin, roulant sur le goudron sale.
Ma mâchoire se décrocha. Hanma essuyait sa main sur son t-shirt noir comme s'il venait de toucher quelque chose de dégoûtant, il avait retiré la veste de son uniforme.
— Allez, arrête tes bêtises Aki, on rentre à la maison, lança-t-il en me relevant.
Je reculai pour me défaire de ses mains et me cogner contre le mur de l'immeuble.
— J'ai pas envie.
Ok, j'avais très envie de rentrer chez moi et m'enterrer sous ma couette à jamais. Mais petit un, ma mère allait se poser des questions sur ma mine effroyable, et petite deux, je refusais d'obéir à ses ordres alors qu'il me parlait comme à un gamin farouche.
— Allez, on va boire un chocolat chaud ou une connerie du genre, insista-t-il en tendant une main que je n'attrapai jamais.
Je secouai la tête.
— Un joint alors ?
J'hésitai un instant mais refusai toujours.
— Je sais que c'est dur, mais c'est pas en restant ici que tu vas aller mieux, continua-t-il alors que je décernais de l'agacement dans sa voix.
Alors, ça me frappa comme un camion sur l'autoroute. Ce qu'il avait dit n'avait fait que me rappeler de la dure fatalité. Kurokawa Izana était mort. Quelqu'un l'avait transpercé d'exactement trois balles. Les larmes qui s'étaient taries remontèrent douloureusement et dévalèrent mes joues alors que je respirais difficilement.
— Tu sais rien du tout, Shuji !
Je ne sais pas pourquoi je l'ai appelé par son prénom. Ça me démangeait les lèvres. Ce que je sais, c'est qu'il a tendu les bras, m'a tirée vers lui et a glissé ses mains dans mon dos, son menton sur ma tête.
— T'as raison. Je sais rien du tout. Je sais pas c'que ça fait, de perdre quelqu'un. Je suis une merde pour consoler les gens. Je veux juste que tu saches que je suis là pour toi, peu importe à quel point j'ai l'air distant.
Je posai mes bras qui étaient restés ballants jusque là contre son torse où ma joue était collée. Je reniflai bruyamment. Finalement, sa présence m'appaisait. Je crois que je n'attendais que ça, qu'il me retrouve et me prenne dans ses bras.
Je finis par accepter de rentrer chez moi et il me raccompagna en moto. Sur la route, alors que les effluves de vent s'infiltraient sous mes vêtements et qu'il roulait un peu trop vite pour la limite autorisée, mes pensées s'entrechoquaient.
Est-ce que le Hanma Shuji m'aimait vraiment ? Est-ce que cette brute sans considération pour les autres éprouvait des sentiments pour moi ?
J'aurais du être heureuse, mais je n'arrivais juste pas à y croire. Il devait y avoir un problème quelque part, une arnaque. Depuis le début je ne m'attendais pas à ce que ça soit réciproque, je me préparais au refus que je me prendrai un jour. Et il me disait, maintenant, qu'il était amoureux de moi ? Non, je ne pouvais pas y croire.
J'essayai d'essuyer un maximum mon maquillage qui avait coulé avant de foncer jusqu'à ma chambre, Hanma sur les talons. Nous nous installâmes sur mon lit, face à face. Il me regardait, il attendait que je parle, que je dise ce que j'ai sur le cœur.
Alors, j'ai accepté silencieusement, et je lui ai tout raconté sur Shinichiro. Et il m'a dit ces phrases qui resteront à jamais dans mon cœur.
— C'est pas parce qu'Izana a crevé que la mémoire de ton Shinichiro va disparaître. Tu peux toujours me parler de lui, si tu veux. Enfin, je risque d'être jaloux, donc va plutôt en parler à Mikey, il sera content.
J'ai fini par m'endormir devant lui, toute habillée, fatiguée par tout ce qu'il s'était passé depuis que je l'ai rencontré.
***
— Tu vas me dire qui on va voir à la fin ? demandai-je pour la énième fois.
Hina regardait le sol en avançant, un nom sur le bout des lèvres. Elle me traînait dans l'hôpital en refusant obstinément de me donner l'identité de la personne qu'on allait visiter avant que l'on arrive. Je la suivais, inquiète, imaginant toutes sortes de scénarios. Qui pouvait bien se cacher dans ces salles monochromes ? Yori ? Hanagaki ? Mikey ?
Nous grimpâmes les escaliers avant de débouler dans le couloir blanc. Elle leva la tête pour scruter les numéros de chambre, et s'arrêta devant le pallier de la 126. Hina frappa deux coups avant d'ouvrir très doucement la porte, comme si la personne dormait.
Je découvris Yori, déjà présente, qui déposait une fleur dans un vase. Des daphnés, la fleur préférée de... Emma.
Avant que je ne m'en rende compte, mon regard avait glissé sur le lit d'hôpital. Sur Emma.
Les yeux clos, son front était entouré d'un épais bandage. Elle avait l'air bien plus pâle et faible que d'habitude. Je m'approchai brusquement, heureuse de voir sa poitrine se soulever lentement.
— Qui a fait ça ? demandai-je en me tournant vers mes amies, les sourcils froncés.
Elles se regardèrent et eurent comme une discussion silencieuse. J'arquai un sourcil, légèrement énervée de ne pas être incluse dans l'échange. Elles me cachaient quelque chose.
— Un connard, lâcha Yori, dont le langage n'avait jamais été très châtié.
— On ne sait pas, Kanzaki, me répondit Hina l'air désolée. C'étaient des délinquants masqués.
— Vous voulez pas me dire hein ?
Une colère noire m'envahit. Merde, j'avais les larmes aux yeux. Je ne savais pas si c'était à cause de l'état d'Emma ou des non dits, peut-être les deux. Mon regard caressa son corps si vulnérable dans une blouse d'hôpital. Quelle enflure aurait pu lui faire ça ?
Je m'approchai et attrapai sa main glaciale comme le givre en hiver. Emma était ma cousine, mon amie, ma confidente, une personne précieuse à mes yeux. Et elle avait frôlé la mort à cause d'un stupide délinquant qui n'avait rien de mieux à faire que de tabasser une pauvre fille sans défense.
Hina m'expliqua qu'ils étaient d'eux : l'un conduisait la moto, l'autre tenait la batte de baseball qui l'a frappée à la tête. Elle avait subi un traumatisme crânien très fort qui aurait pu avoir des conséquences bien pires s'il avait mieux visé. Je me promis intérieurement de retrouver les coupables et de leur envoyer Mikey aux fesses. Un châtiment que personne ne souhaite.
Une infirmière entra, elle devait effectuer les tests de routine. Nous lui laissâmes la place, et sortîmes du bâtiment sans un mot. Je me rendis compte que mes poings étaient si serrés que mes ongles s'enfonçaient dans ma peau. Les enfoirés qui avaient fait ça allaient passer un sale quart d'heure.
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Vous le sentez le drame qui arrive
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