Alan et Eliott discutaient tranquillement de leur poème pour le cours d'anglais. Le premier expliquait ses difficultés pour écrire quelque chose avec du sens puisqu'il n'était pas très doué en langue. De son côté, le pianiste n'avait toujours pas d'idées. L'écriture le fuyait ou du moins les mots justes. S'il arrivait à sortir deux vers convenables cela relevait du miracle.

"Il faut que le sujet vous tienne à cœur."

C'était ce que leur professeur lui avait conseillé pour écrire quelque chose qui retranscrirait des émotions fortes et dont le sens serait important. Sauf qu'Eliott ne trouvait pas le bon sujet, le thème qui lui ferait rédiger des vers sans compter. Il n'y avait pas besoin de rimes, juste des phrases rythmées.

Sofia soupira une nouvelle fois alors que Julien l'appelait Safia. Elle serrait les poings en soufflant. Eliott avait remarqué les efforts incroyables qu'elle faisait pour ne pas insulter Julien. Elle n'avait pas tort au fond remarqua Eliott : son ami était vraiment lourd et il avait l'impression que plus il le faisait, plus c'était pour l'agacer.

"Sofia tu es là ? demanda une voix depuis les escaliers de l'école de musique.

-Monte ! On est dans la salle dont la porte est ouverte."

Une jeune fille de l'âge de Sofia pénétra dans leur salle de répétition. Ses lunettes étaient de travers et quelques boucles blondes s'étaient logées dans les branches.

"Tu es prête ? demanda-t-elle à la benjamine.

-J'arrive, laisse-moi aller récupérer mes affaires dans la pièce d'à côté."

Sofia s'éclipsa en laissant la nouvelle venue face aux trois garçons.

"Salut Astrid, dit Alan en s'avançant vers elle. Ça va ?

-Je vais bien merci.

-Salut Astrid, se présenta-t-il. Je suis Eliott.

-Sofia m'a parlé de toi, tu es le petit copain d'Alan c'est ça ?"

Eliott acquiesça. Julien s'avança à son tour pour se présenter. Il peina à dire son prénom sans rire, et ce pour une raison obscure.

"Je vois qui tu es, dit Astrid avec une pointe de dégoût. Tu es Julien."

Eliott imagina tout ce que Sofia avait pu lui dire à propos du jeune homme étant donné qu'il l'agaçait.

"Qu'est-ce qui te fait rire ? s'énerva Astrid. C'est parce que je suis amie avec Sofia ?

-Non pas du tout. Tu as de la salade dans tes bagues et je trouve ça drôle."

Sans préambule, Sofia le giffla. Apparemment elle avait suivi toute la scène.

"Que tu m'appelles Safia, ça me concerne ! Mais ne t'avise plus jamais de te moquer de ma meilleure amie ! C'est clair ?"

Sofia guida Astrid jusqu'aux toilettes et elles ne refirent plus surface de l'après-midi.

La joue encore rougie par la baffe qu'il venait de prendre, Julien restait sous le choc.

"Je t'avais dit qu'il ne fallait pas chercher ma sœur. Je t'ai raconté comment elle a frappé un garçon de notre âge qu'elle ne connaissait pas parce qu'il avait insulté une autre fille. Sofia peut avoir du mal à contrôler sa droite lorsqu'on l'agace un peu trop."

Julien ne répondit pas et s'assit silencieusement.

"Ça va ? s'inquiéta Eliott en s'approchant de lui.

-Je ne m'attendais absolument pas à ce qu'elle réagisse ainsi.

-C'est Sofia, sourit Alan pour tenter de rassurer Julien. Imprévisible."

Son téléphone vibra au même moment.

"Désolé, faut que j'y aille. Ma mère a besoin de moi pour garder Lucia et Lillia."

Il embrassa furtivement Eliott avant de partir.

"Qu'est-ce que tu ressens pour Sofia ? demanda Eliott de but en blanc. Alan est parti, tu peux me dire la vérité, je ne lui répéterai pas.

-Rien.

-Mec, tu es cramé à des kilomètres. Si Alan ne s'en rend pas compte c'est parce qu'il ne le veut pas. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure que tu l'aimes bien.

-Cherche pas Eliott. Tu es en train d'élaborer une théorie bancale. Sofia est une amie.

-Je ne suis pas certain que l'amitié soit réciproque. D'autant qu'on n'appelle son "amie" par un faux prénom surtout lorsqu'on connaît parfaitement le vrai.

-De quoi Safia ? Je n'arrive jamais à retenir son prénom.

-Pourtant tu viens de le dire sans hésiter. À mon avis, tu fais exprès de te tromper pour qu'elle te donne de l'importance. Si tu l'appelais par son vrai prénom, elle ne ferait pas attention à toi alors qu'en te trompant, tu attires ses foudres et par conséquent elle te remarque. Dans ce cas, si ce n'est pas parce que tu en as besoin, pourquoi le fais-tu ?

-Arrête de jouer au psy avec moi, ça ne fonctionne pas.

-Prouve-moi que j'ai tort. Prouve-moi que tu ne ressens rien pour Sofia."

Dans la gesture de Julien et sa tête baissée, Eliott comprit qu'il capitulait et qu'il avait vu juste : le jeune homme aimait vraiment bien Sofia.

"Si tu veux qu'elle commence à moins te détester, essaye de l'appeler par son prénom et évite de te moquer d'elle ou son amie.

-Tu sais comme moi que la moquerie est mon arme de défense contre la peur.

-Je sais. Mais ce n'est pas ça qui changera son avis sur toi. Prends ta peur à deux mains et arrête de l'énerver sinon il n'y aura jamais rien.

-De toute façon, soupira Julien, résigné, c'est la sœur d'Alan. Je ne peux pas sortir avec la petite sœur de mon meilleur pote : c'est chelou !"

Eliott ne sut pas quoi répondre et quoi qu'il aurait pu dire, ça n'aurait pas aidé.

Entre temps, Eliott avait revu la conseillère d'orientation qui lui avait proposé, s'il le souhaitait, de faire quelques recherches pour de potentielles possibilités de filière liées à la musique. Après avoir dit à Julien qu'il fallait cesser d'avoir peur, il se devait d'appliquer son propre conseil.

Tel un enfant en train de faire une bêtise, Eliott se lança et tapa les mots clés "formation" et "musique" dans le moteur de recherche. Une sensation grisante d'interdit et de liberté s'empara alors de lui. Il n'avait plus peur de rien et impossible de l'arrêter.

"Eliott ! l'appela sa mère. On mange !"

Il sursauta, la peur d'être surpris la main dans le sac sûrement. Il ferma l'onglet compromettant et se rendit dans la cuisine. Cet instant de courage et de liberté n'avait duré que quelques secondes mais il avait ressourcé Eliott. Il n'avait plus qu'à recommencer jusqu'à être armé pour faire face à ses parents.

Avant-dernier chapitre de ce cycle !

J'espère qu'il vous a plu !

Je vous souhaite un beau dimanche.