Chapitre 15 : Benjamin
Des années plus tôt, Benjamin avait eu une amoureuse. C'était à l'école primaire, l'époque où on se promet de se marier et d'avoir une grande maison avec des enfants aux noms improbables comme Ornicar ou Péridote. Benjamin la trouvait jolie cette fillette à couettes dont les chouchous colorés complétaient son association de couleurs dans ses vêtements. Elle portait toujours plein de bracelets à forme, de bagues en plastique et de colliers à perles en bois. Elle souriait avec ses dents en moins. Benjamin l'aimait bien car elle était drôle et avait une imagination débordante. Elle s'appelait Mélina.
Lorsqu'ils étaient en CM2, elle avait disparu aux vacances de la Toussaint. La maîtresse leur avait expliqué qu'elle avait déménagé mais Benjamin savait qu'elle était partie à Poudlard et qu'elle avait reçu sa lettre avant lui. Ce qui était logique puisqu'elle était de juillet et lui de décembre, du moins pour le Benjamin du haut de ses neuf ans. Aujourd'hui il savait que c'était incohérent puisqu'elle avait l'âge de Léonie, soit deux ans de moins. Chaque soir, après cela, il guettait sa boîte aux lettres et le ciel pour voir des hiboux ou le sceau de l'école de magie. Elle n'arriva jamais. Pas plus que Mélina ne revint pendant les vacances de Noël.
Benjamin cessa de croire en la magie. Il avait perdu sa maman deux ans plus tôt et celle qui l'avait consolé avait elle aussi disparu.
La question qui se posait maintenant était : pourquoi repensait-il à Mélina maintenant ? La réponse était si simple : il l'avait revue. Improbable non ? Ce fut bien la première réaction de Benjamin lorsqu'il vit son nom apparaître sur la fiche d'inscription au club d'écriture du lycée. Mélina Céléma déposé sur le papier d'une main délicate et experte à la plume déliée et arrondie. Benjamin n'en revenait pas, cela faisait tellement longtemps. Il n'avait plus pensé à elle après son entrée au collège, comme quoi la mémoire efface ce qui ne l'intéresse plus. Mais là, revoir cette association du nom et du prénom de la personne qui avait été une partie de son enfance, c'était un choc.
"Pourquoi tu restes planté là ? lui demanda Léo qui passait par là.
-Rien qui ne te regarde, répondit-il sèchement.
-Club d'écriture. Il n'y a rien d'extraordinaire dans ces trois mots. À moins que..."
Léo se décala légèrement pour mieux voir par dessus l'épaule de son frère.
"Mélina Céléma, lut-elle. Ce n'est pas ton amourette de primaire ?"
La réaction de Benjamin suffit à Léonie pour obtenir sa réponse.
"T'as pas autre chose à faire ? s'agaça-t-il. À part me faire chier ?
-J'allais au casier mais bon, j'avoue que t'embêter était une option sympathique. Je te laisse."
Léo s'en alla aussi vite qu'elle était venue et descendit les escaliers tout aussi rapidement.
Benjamin relut la feuille d'inscription et écrivit son nom.
"Sérieux ! s'exclama Adrien. Ta pote de primaire que t'as pas vu depuis presque dix ans est ici."
Benjamin lui fit signe de baisser le volume sonore parce que la documentaliste allait leur demander de se taire (à noter qu'elle était la première à parler fort avec ses collègues mais passons) puis acquiesça.
"Qu'est-ce que tu vas lui dire ? l'interrogea son meilleur ami d'une voix plus basse.
-Aucune idée. Je ne suis même pas sûre que ce soit la même.
-Tu crois sérieusement qu'il y a des milliers de filles portant le même patronyme ? se moqua-t-il.
-Elle a déménagé, exposa Benjamin.
-Elle est peut-être revenue, contra Adrien. T'en sais rien.
-Et puis, même si ça se trouve elle ne se souvient plus de moi.
-Je crois que les filles ont une bonne mémoire pour ce genre de trucs.
-Ta phrase était stupide, fit remarquer Benjamin.
-Je me doute. Enfin bref. Tu vas lui dire quoi ? Salut, moi c'est Benjamin, j'étais ton amoureux à l'école primaire, tu te souviens ?
-Je n'ai pas vraiment envie de passer pour un pauvre gars en chien.
-Tu es compliqué, soupira Adrien. Est-ce que tu sais au moins à quoi elle ressemble maintenant ? C'est pas comme si vous aviez presque dix ans de plus.
-Ça m'étonnerait fortement qu'elle ait toujours ses couettes et ses bijoux par paquets. Alors non, je ne sais pas à quoi elle ressemble.
-Si elle a l'âge de ta sœur, tu peux pas lui demander d'aller la voir ? proposa Adrien.
-Demander à Léo de m'aider ? Ça va pas la tête !
-Messieurs, le CDI n'est pas fait pour discuter, intervint la documentaliste avant de reprendre sa conversation téléphonique.
-C'est pas comme si elle s'était presque foutu de ma tête en me voyant devant cette feuille d'inscription. Je n'aurais pas du mettre mon nom sur ce bout de papier. Je sens que ça va mal se terminer.
-Tu vas quand même pas renoncer à ta passion parce qu'une fille de l'école primaire y est aussi et que ta sœur risque de se moquer de toi.
-Je ne sais pas.
-Benji, t'es pas sérieux là. Depuis quand tu t'intéresses à l'avis de Léo ? Et puis, tu passes ton temps à l'embêter toi aussi. C'est de bonne guerre qu'elle te rende la pareille de temps à autres.
-Depuis quand tu dis des choses intelligentes ? s'étonna Benjamin en pouffant de rire.
-Internet m'a tout appris."
Les deux jeunes hommes explosèrent de rire et se firent virer du CDI par la même occasion.
Adrien et Benjamin se connaissaient depuis le collège. Ils avaient sympathisé en cours de SVT lorsque Benjamin n'avait pas fait pousser ses lentilles à cause de sa procrastination légendaire et les avait mises dans la terre la veille. Adrien, son voisin de paillasse, l'avait soutenu en expliquant à la prof qu'il avait cassé le pot contenant les germes de Benjamin le matin même. Depuis ils étaient devenus amis. Ils faisaient ensemble des concours de pets en classe, d'autres de lancers de boulettes en papier dans la capuche de sweat-shirt de la fille devant ou encore de défis débiles. Ceux-ci allant de l'explosion de cartouche d'encre aux canulars téléphoniques anonymes aux filles de leur classe. Ils avaient l'art et la manière de faire les quatre cents coups ensemble et de finir collés à deux lorsqu'ils se faisaient prendre. Leur amitié était la chose la plus précieuse aux yeux de Benjamin et il ne l'échangerait pour rien au monde : c'était avec Adrien ou ni l'un ni l'autre ne faisait ce qu'on leur proposait individuellement. Ils étaient inaliénables, inséparables comme les doigts d'une main. Ils n'avaient aucun secret l'un pour l'autre et savaient exactement ce qui passait par la tête de l'autre puisqu'en général, c'était la même chose. Adrien était d'ailleurs le seul qui avait le droit de lire ce que Benjamin écrivait. Ensuite, ils travaillaient ensemble pour le réaliser. Ils avaient fait plusieurs courts-métrages mais ils les gardaient pour eux car c'était généralement des private jokes inexplicables pour un non-initié à leur sens de l'humour.
"Au fait, tu as du neuf niveau écriture ? demanda Adrien.
-Yep !
-Tu m'envoies ça ?
-Ok. Mais je te préviens Léo a déjà lu.
-Quoi ? s'exclama Adrien en jouant la drama queen. Elle passe avant moi maintenant. Je vais mourir.
-Très drôle. Elle m'a piqué mon PC et a lu sans mon accord.
-Et ? Elle en a pensé quoi ?
-Elle a bien aimé.
-C'est peut-être un signe.
-Un signe de quoi ? dit Benjamin en fronçant les sourcils.
-Qu'on pourrait essayer de partager nos travaux."
Qui dit dimanche, dit nouveau chapitre.
J'espère qu'il vous a plu
Je souhaite bon courage à ceux qui reprennent demain
À dimanche
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro