Chapitre 14 : Eliott
Évidemment lorsqu'il s'agissait de préparer un exposé ou un projet oral, c'était toujours sur Eliott que cela tombait, lui qui ADORAIT parler. Bien entendu c'était ironique, s'il pouvait éviter de discuter, Eliott le faisait. Il n'était pas timide juste réservé. Il n'avait pas de problèmes pour s'exprimer, bien au contraire, c'était simplement un souci de manque d'envie. Et voilà qu'il se retrouvait à devoir écrire un poème en anglais lui qui n'arrivait déjà pas à en rédiger en français malgré ses tentatives vaines.
"Alors, tu as déjà des idées ? lui demanda Alan.
-Aucune. Un désert.
-Allez viens, on va se promener au parc, proposa-t-il. Ça te changera les idées et t'en donnera peut-être d'autres."
Le temps était encore clément malgré l'arrivée du mois de septembre. Il faisait bon, les gens se promenaient en tee-shirt, une veste dans leur sac ou autour de la taille. Alan prit la main d'Eliott et des regards insistants commencèrent à se faire sentir. Cela faisait déjà un certain temps qu'ils sortaient ensemble mais Eliott ne supportait toujours pas les regards curieux. C'était compréhensible, les gens n'étaient pas vraiment habitués à voir deux adolescents du même sexe se tenir la main. Il était plus commun de voir une fille et un garçon que deux garçons ou deux filles ensemble. Certains allaient jusqu'à jurer, d'autres riaient et le pire étant ceux qui n'avaient aucune gêne et qui osaient demander "qui était en-dessous". Eliott leur aurait retourné la question si Alan ne l'en avait pas empêché. Le pianiste ne comprenait pas cette manie de poser des questions pareilles à des inconnus et tout cela parce qu'ils n'étaient pas dans "la norme".
Cela lui rappelait le père d'Alan à qui il avait exposé ses quatre vérités après quelques heures en sa compagnie : record du monde de l'efficacité accordé à Eliott Sarrais dans la catégorie "ennemi de son beau-père en moins d'une demi-journée". On pouvait dire que ses dix-sept ans seraient manquants et marqués à vie. Alan s'en voulait encore d'avoir gâché son anniversaire et s'excusait par tous les moyens possibles depuis ce fameux jour. Eliott lui répétait à chaque fois que c'était oublié mais il continuait tout de même.
Ils s'installèrent dans l'herbe encore verte sous les arbres qui commençaient lentement à perdre leurs feuilles. Le soleil jouait à cache-cache entre le feuillage et lorsque les nuages s'ajoutaient, des zones d'ombres permettaient aux garçons d'ouvrir les yeux. Alan se redressa sur ses coudes.
"Qu'est-ce qu'il y a ? lui demanda Eliott, les yeux protégés par sa main.
-Rien."
Son petit ami s'assit et vint placer son torse au-dessus du sien.
"Tu es beau Eliott."
Sur ces mots, il l'embrassa.
"Du coup, on chante quoi ? demanda Sofia, excitée à l'idée de cette première répétition.
-On va voir."
C'était mercredi après-midi. Sofia et Alan étaient arrivés un peu plus tôt chez Eliott. Ils attendaient encore Julien, qui comme à son habitude, était en retard. La jeune fille observait tout et replaçait ce qu'elle trouvait mal placé. Eliott la regardait faire avec une certaine exaspération. Alan riait face à cette scène et haussait les épaules lorsque son petit ami lui demandait d'arrêter sa sœur. Eliott ne cessait de lever les yeux au ciel en voyant Sofia continuer son petit jeu en chantonnant sa chanson du moment : Your Song de Rita Ora.
Julien arriva en fracas en tapant sur l'un des carreaux du salon.
"Yo ! salua-t-il. Ça va ?
-Un jour tu seras à l'heure, soupira Eliott en l'aidant à passer ses jambes par la fenêtre.
-Peut-être."
Sofia continuait de chanter comme si de rien n'était ce qui attira l'intérêt de Julien.
"C'est elle ta sœur ? demanda-t-il à Alan.
-Oui."
Sofia se retourna d'un seul coup pour voir le nouveau venu.
"Safia, c'est ça ?
-Sofia, corrigea-t-elle. Et toi c'est Julien du coup.
-Yep ! Enchanté !"
Il prit la main de Sofia et déposa un baiser dessus. La jeune fille rougit et la retira.
"Arrête de la jouer vieux jeu Julien, railla Eliott en levant les yeux au ciel. Ça ne te va pas.
-Rabat-joie ! répliqua-t-il.
-On peut commencer ? s'impatienta Sofia.
-Oui. Il serait temps, ajouta Alan. Du coup, on fait quoi ?
-J'ai plusieurs idées, déclara Julien. À commencer par... Merde, j'ai oublié le titre. Ça fait comme ça : nanana nananana."
Alan et Eliott se regardèrent avant d'avoir un fou rire. Sofia les rejoignit bien assez vite. Julien, qui avait beaucoup d'autodérision rit de lui-même en réalisant qu'il avait fredonné n'importe quoi.
Le soir arriva bien trop vite au goût d'Eliott. Il savait bien que ses parents allaient lui poser des tonnes de questions. Sa mère s'intéresserait à Alan et le fait qu'elle ne l'avait jamais vu. Eliott avait mis longtemps avant de leur dire qu'il était en couple avec lui et par la même occasion à faire son coming-out. Contrairement au père d'Alan, ses parents avaient bien pris la nouvelle, sa mère était d'ailleurs trop enthousiaste pour que cela soit vrai.
Quant à son père, il parlerait d'études et de travail. Il rêvait que son fils suive le même parcours glorieux en temps qu'avocat que lui avait eu mais Eliott avait des rêves tout autres. Il n'en parlait pas, même sa mère n'était au courant de rien. C'était son rêve, pas son futur. Ce n'était qu'une idylle irréalisable pas un projet de vie concret.
Eliott avait arrêté de croire en ses rêves très tôt lorsque son père lui avait fait comprendre qu'il obtiendrait rien de la vie s'il ne faisait pas d'études. Son chemin était presque tracé depuis sa naissance voire bien avant. Eliott était un garçon avec les pieds sur terre et la tête dans les nuages que très rarement. À vrai dire, le seul moment où il échappait à la réalité était lorsqu'il jouait du piano, son casque sur les oreilles, isolé du monde et de sa propre vie, loin des tracas du quotidien, de ses sentiments sans nom descriptible et des attentes parentales. Un instant de musique délicat et éphémère qui ne fait que passer et que l'on ne peut prolonger éternellement. Un espace en suspens où Eliott laisse son cœur le guider sur les touches, la mélodie venant au gré du temps et de ses envies. La musique était un moyen de respirer pour Eliott, une façon de revenir à la surface de la mer de sa vie et de reprendre une bouffée d'oxygène. Et pourtant, il savait que cela ne durait et ne durerait pas. Eliott était toujours obligé de retomber à pieds joints sur la terre ferme et de continuer à avancer en anaérobie jusqu'à la prochaine parenthèse mélodieuse.
Le dernier chapitre de l'année !
J'espère qu'il vous a plu.
Je vous souhaite un bon dimanche
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