Quand il s'agissait de coïncidences, Lucie paniquait. Surtout lorsqu'elles impliquaient un garçon.

Elle se souvenait parfaitement de son partenaire actuel d'espagnol. Grand. Cheveux mi-longs châtains. Politesse et galanterie. Un parfait fils à papa comme Lucie voulait l'imaginer. Mais la citation à côté de son miroir la rappelait à l'ordre.

Everyone you meet is fighting a battle you know nothing about. Be kind. Always.

Lucie l'avait vue dans la série norvégienne SKAM, accrochée à côté du miroir de Noora. La jeune fille aimait s'identifier à l'héroïne de la saison deux bien qu'elle n'avait pas ce sens de la répartie aiguisé. Et puis, Noora savait remballer les garçons le méritant, Lucie se contentait de les éviter au maximum.

"On va devoir travailler ensemble apparemment, nota-t-il en se tournant vers Lucie perdue dans ses pensées. Tu veux commencer ?"

Lucie ne répondit pas.

Règle numéro deux : Ne leur parle pas.

Elle avait déjà brisé la première en repensant à lui et son sourire. Pas question de ne pas respecter celle-ci. Si elle dérogeait à la règle, ça serait la porte ouverte pour une catastrophe. Fini la rigueur et la protection, bonjour la fragilité et le désordre.

"On est supposé dialoguer, ajouta-t-il en souriant. Mais je peux commencer si tu préfères."

Il lui apprit qu'il s'appelait Yannis, qu'il aimait le patinage et préférait l'espagnol à l'anglais. Elle lui répondit qu'elle se nommait Lucie et qu'elle ne voulait pas parler plus. Yannis tenta de rétorquer quelque chose mais elle ne lui laissa pas le temps puisqu'elle se concentra à nouveau sur le cours.

Lucie ne le revit pas avant le cours d'espagnol suivant, ce qui l'arrangeait. À chaque fois qu'il essaya d'entrer en contact avec elle, elle se braqua et ne répondit pas. Lucie espérait qu'il arrêterait mais il continuait. Et l'ironie du sort voulut qu'ils partagent les cours de maths.

Lucie avait eu espagnol le matin et soufflé en sachant qu'elle ne reverrait pas Yannis avant la semaine suivante. Mais l'administration avait rassemblé les cours de maths de L et des ES, résultat Yannis se retrouvait en maths avec Lucie pour son plus grand désarroi.

"C'est qui ? demanda Mathilda qui avait vu le regard surpris de sa meilleure amie.

-Personne.

-Menteuse ! s'amusa la rouquine. Tu sais très bien que tu ne peux plus me mentir depuis quelques années.

-Je sais mais ce... garçon n'a rien de spécial.

-S'il n'a rien de spécial, pourquoi le regardes-tu sans détourner le regard ?

-Puisque tu veux tout savoir, c'est mon voisin d'espagnol. Voilà tu es contente ?"

Mathilda rit et Lucie la rejoignit car elle n'arrivait pas à rester énervée sérieusement lorsque sa meilleure amie riait. Le professeur de maths les fit rentrer en classe.

"Avant que vous vous installiez par affinité, je voudrais avoir un élève de ES à côté d'un de L."

Lucie fit tout pour éviter son partenaire d'espagnol et réussit. Grâce aux gestes, elle remercia Mathilda d'avoir proposé à Yannis de s'asseoir à ses côtés. Lucie lui fit comprendre qu'elle lui revaudrait et Mathilda réclama une boisson après les cours.

"Merci pour le thé glacé, dit Mathilda en saisissant sa boisson.

-De rien, je te devais bien ça.

-Tu sais, Yannis n'a pas l'air d'être un mauvais gars."

Lucie haussa les épaules en sirotant sa boisson.

"Il serait peut-être temps de te libérer de tes craintes, proposa Mathilda.

-Je ne sais pas si je suis prête.

-Si tu as réussi à faire couper tes cheveux, tu as déjà un grand pas en avant. Mais tu me connais, je ne te forcerai à rien. C'est à toi que revient la décision.

-Si c'était si simple, soupira Lucie.

-La vie ne serait pas drôle."

Les deux amies rejoignirent la mère de Mathilda qui les attendaient sur le parking.

"Salut les filles, lança Mme Martin.

-Bonjour, répondit Lucie pendant que Mathilda embrassait sa mère.

-Comment vas-tu Lucie ?

-Bien et vous ?

-Très bien, je t'en remercie."

Élodie aida sa fille à s'installer dans la voiture. À l'arrière s'agitait la fillette qu'elle gardait.

"Salut Marie, sourit Lucie. Comment ça va à l'école ?

-Bien, on apprend la multiplication.

-Je suis certaine que tu es une championne en calcul.

-Je suis la plus rapide de ma classe, assura la fillette.

-Génial !"

Lucie continua à discuter un peu avec Marie puis fit la bise à sa meilleure amie.

"Au fait Lulu, n'oublie pas de m'envoyer ton dernier chapitre que je puisse le corriger.

-Je fais ça dès que je rentre."

Lucie regarda la voiture s'éloigner et repartit à son tour. Perdue dans son sac pour trouver sa carte de bus, elle percuta quelqu'un.

"Désolée, s'excusa-t-elle.

-Il n'y a pas de mal."

Elle releva la tête, vit Yannis et la rebaissa.

"Tu as un problème ? Je peux t'aider si tu veux.

-Non merci. Ça ira."

Lucie attrapa enfin sa carte qui s'était coincée entre ses écouteurs et ses clefs. Elle tenta de démêler les nœuds mais Yannis s'empara du désordre qu'elle peinait à séparer.
En quelques coups de doigts, il rendit ses écouteurs, ses clés et sa carte à Lucie.

"Voilà !

-Merci, chuchota Lucie en regardant ses mains.

-Il n'y a pas de quoi. On se voit en maths demain."

Elle ne trouva rien à répondre et le laissa s'en aller avec son sourire. Mathilda n'avait pas tort, il ne semblait pas méchant mais sa méfiance continuait d'être aux aguets.

"Alors cette première semaine de cours, demanda Robert, le père de Lucie.

-Ça va. On a déjà pas mal bossé.

-Logique, tu es en terminale, sourit-il.

-Bon appétit, déclara Fang Hua en servant sa fameuse poêlée de pommes de terre, patates douces, poivrons et oignon.

-Merci Maman, à toi aussi.

-Merci Mei."

Il n'y avait que la mère de Lucie qui l'appelait par son second prénom : Mei. Lucie n'était même pas sûre que Mathilda en connaissait l'existence ou alors elle n'en avait jamais fait la remarque.

"Tu as pensé à demander ton tiers-temps pour les devoirs ? l'interrogea Robert.

-Oui, les profs sont au courant. Et Mathilda m'aide à reprendre les cours de philosophie lorsque ça va trop vite.

-Comment va-t-elle ? demanda sa mère.

-Mieux je dirais, elle ne parle pas vraiment de son père ou d'Ambre. Encore moins depuis cet été.

-Dis lui qu'elle est la bienvenue à la maison quand elle veut. Ça serait super si vous organisiez une nouvelle soirée pyjama.

-On fera plutôt une soirée révisions, rigola Lucie.

-C'est une option, rit à son tour son père.

-Et toi ? Comment vas-tu ? l'interrogea Fang Hua avec la voix tendre des mamans.

-Bien, je pense.

-Tu sais que si tu as un problème, tu peux nous en parler.

-Je le ferais, promis."

Depuis "l'évènement" comme aimait l'appeler Lucie, ses parents lui demandaient régulièrement comment elle sentait. Certainement pour détecter un éventuel problème dans la vie de leur fille.

Lucie préférait cela à des parents ignorants et absents. Elle avait toujours aimé ses parents mais si rien n'avait eu lieu elle ne s'en serait peut-être jamais rendue compte.
Elle n'avait pas vu tout l'amour qu'ils portaient avant qu'il ne soit trop tard. Enfin presque trop tard. Sans le soutien de Mathilda et de ses parents, Lucie ne serait peut-être plus là.

Une petite dose de chaleur de septembre pour combler le froid laissé par l'hiver.

Que pensez-vous de Lucie ?

Ravis de revoir Mathilda ?

À dimanche prochain