Chapitre 4 - La sorcière féministe
Pendant des heures cette après-midi-là, je reste assis sur ce rocher. Enfin, assis est un bien grand mot. Disons que j'essaie de lutter contre le vent qui essaie de m'emporter loin de l'amas de cailloux. Au moins, quand je suis dessus, on pourrait vraiment croire que je suis assis.
Mes yeux se perdent dans le vague et pour la trente-septième fois depuis que Colin m'a laissé, je pense à la prochaine partie de l'histoire. Comment je vais lui raconter. Par où commencer. Ce que je vais dire. Ce que je vais lui cacher. A un moment, j'ai même pensé à complètement passer cet épisode de ma vie. Ne rien raconter. Faire comme si ça n'avait jamais existé. Comme si elle n'avait pas été réelle.
Quand un hibou se pose en douceur à mes côtés, un bout de parchemin pendant dans le bec, je me décide à rentrer. Dans les couloirs, je salue Helena Serdaigle qui discute avec la Grosse Dame. La salle commune est encore bondée quand j'arrive. Colin n'a vraiment pas le chic pour choisir ses moments.
Aussitôt qu'il m'aperçoit, il se précipite vers moi et réclame la suite de l'histoire. Je soupire.
— Dans les dortoirs, veux-tu ?
Il soupire à son tour avant d'adresser à ses camarades un salut de la main et de se diriger vers les escaliers.
— Allons-y, décide-t-il en appelant sa Plume à Papote.
— Bien. En 1481, pendant ma cinquième année, un Tournoi des Trois Sorciers fut organisé. Cette année-là, ce fut Beauxbâtons qui fut chargé de l'accueil. Au début de l'année, le nouveau directeur, Borgus Demelza, choisit les 18 membres de la délégation. Oui, Borgus Demelza fut un ancêtre de Robins, ajouté-je après un froncement de sourcils de la part de Colin. Je fis partie des heureux élus. Nous partîmes pour la France le 12 novembre 1481.
« Le château qui abrite l'Académie de Beauxbâtons est l'un des plus beaux qu'il m'ait été donné de voir. Il semble se découper dans la montagne, mais est orienté de telle façon que les pics rocheux paraissent faire partie intégrante du palais. De magnifiques jardins à la française l'entourent. C'est là que je rencontrai Rose.
« Dès notre arrivée au château, je ne vis qu'elle. Elle se promenait dans les jardins avec ses amies. Elle riait. Elle vint m'adresser la parole quand je mis mon nom dans la coupe de feu. L'une de ses camarades l'y avait encouragé. Bien sûr, ce n'était pas des manières des femmes de la cour d'aborder les hommes, mais Rose était loin d'être Sainte aux yeux des nobles français. Durant des jours, nous nous promenâmes dans le parc pendant des heures. Rose était imprévisible et incroyablement déconcertante.
« Je ne fus pas choisi par la Coupe de Feu comme Champion. Rose non plus. Les femmes n'avaient pas encore le droit d'y participer.
Sa main se tend devant moi. Je soupire, et le regarde par-dessus mes cils.
— Mais Beauxbâtons n'est pas une école de filles ?
Je secoue la tête.
— Non. Seules les filles font partie des délégations car les seules élèves de Beauxbâtons ayant remporté la coupe furent des filles. Mais ce n'est pas le sujet. Durant les épreuves, je supportai donc mon ami Edward Beaufort, et Rose supporta un noble français dont le nom m'a échappé. Cependant, malgré nos différents sur ce sujet, nous nous rapprochâmes de jour en jour.
« Je me rappelle comme d'hier du Bal de Noël. Comme j'étais timide, et que Rose, si elle avait vécu au XVIIe siècle, aurait été de ces sorcières féministes, ce fut elle qui m'invita à être son cavalier. Je crois que les trois jours précédents le bal furent les plus stressants de mon adolescence ! Le Jour J, je passai quelques heures dans la salle de bain mise à disposition de notre délégation. Edward se moqua de moi à maintes reprises, mais il y passa également de nombreuses minutes. Il avait ça dans le sang, la noblesse, le paraître. C'était son quotidien.
« L'heure venue, j'allai chercher Rose dans ses appartements. Elle portait une longue robe bleu pâle, et un de ces voiles pointus à la mode. Comme chaque fois, elle était magnifique. Pendant la soirée, nous nous isolâmes dans les jardins. Nous parlâmes longtemps, et elle me proposa de passer quelques jours chez ses parents en attendant la prochaine épreuve. J'acceptai.
Colin écarquille les yeux et un sourire taquin se dessine sur ses lèvres.
— Et il s'est passé quoi chez ses parents ?
Mes doigts se portent à mon cou — ou du moins, ce qu'il en reste — et je triture la fraise à moitié arrachée qui l'orne.
— Rien de ce qui tu imagines.
Il soupire, fronce les sourcils, et laisse ses épaules tomber.
— Vous êtes pas drôle, grommelle-t-il.
— Je suis un homme de vertu, corrigé-je. Je l'étais, du moins.
Un sourire réapparaît sur ses lèvres et je me gifle mentalement pour avoir laissé échapper cette information.
— J'ai hâte d'entendre la suite de l'histoire, alors, décrète-t-il.
Je souffle, reprend une inspiration, et continue :
— Rose faisait partie de la très haute noblesse française. Un cocher vint nous chercher à l'Académie, et nous prirent la route. Heureusement, il n'y eut pas d'attaques à déplorer. Le château de ses parents était époustouflant. Je me rappelle avoir retint mon souffle en le voyant. Ce n'était rien de comparable à Poudlard ou Beauxbâtons, mais c'était la première fois que je voyais un tel château que seule une famille habitait.
« La famille de Rose m'accueillit de la meilleure façon possible. Ils étaient adorables. De nombreux domestiques étaient à leur service, et je dois avouer que ce séjour est à l'origine de ma chute. Je pris des bains. Mangeai du gibier fraîchement chassé. Montai un cheval. Je devins noble, l'espace de quelques jours.
« Rose m'embrassa chastement le troisième jour. Ce fut mon premier baiser. Il me retourna l'estomac. Mais quand j'y repense, avec le recul de ces quelques siècles, le baiser que me donna Rose fut bien moins important que ce qu'elle m'offrit en invitant chez elle.
Face à la moue d'incompréhension de Colin, j'ajoute :
— Le luxe. Le cadeau empoisonné par excellence. Je l'avais à peine découvert, mais j'en voulais déjà plus. Beaucoup plus. Le train de vie des sorciers n'était plus suffisant. Je voulais le train de vie des sorciers nobles.
D'autres gamins débarquent dans le dortoir et je décide que j'en ai assez dit pour aujourd'hui. Colin semble être de cet avis, puisqu'il se tourne vers ses camarades pour les rejoindre. Sans m'embarrasser de formalités, je me dirige vers la porte et quitte la pièce.
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