A PEINE AVAIT-ELLE OUVERT LES YEUX qu'une question se répercuta dans son esprit. Elle devinait être étendue sur un lit, enveloppée dans un édredon blanc, et la nuque enfouie entre des coussins de velours. Mais au-dessus d'elle, ce n'était plus le ciel noir parsemé d'étoiles. C'était une vaste surface blanche, sillonnée de poutres ébènes.

Où suis-je ?

Elle voulut se redresser mais une vive douleur lui poignarda l'abdomen, lui déchirant la peau de ses griffes acérées. Son visage se tordit de douleur.

Que s'est-il passé ?

Serrant les mâchoires, elle s'appuya avec peine sur ses bras tremblants et fit courir son regard autour d'elle. C'était une chambre étroite, à demie plongée dans l'obscurité. Les rayons du soleil, filtrés par les persiennes d'une grande baie vitrée, se dessinaient faiblement sur le sol.

Depuis combien de temps suis-je ici ?

Elle essaya de se lever, et y parvint finalement après plusieurs tentatives, s'appuyant de tout son poids sur une petite commode blanche. Elle remarqua soudain un tas de linges, soigneusement pliés au pied de son lit. Peut-être n'était-il pas là pour elle, mais elle avait froid. Alors elle n'hésita pas plus longtemps et enfila la robe qu'elle y trouva.

Le sol était couvert d'un immense tapis en jute, jonché de livres aux pages jaunies qui semblaient tirés d'une autre époque. Elle les évita avec précaution, et ouvrit la baie-vitrée. La lumière entra dans la pièce, révélant des murs de bois poli, couverts d'une multitude de cadres, de vielles photos en noir et blanc et de dessins d'enfant.

C'est alors qu'elle remarqua, dans un coin de la chambre, une superbe psyché encadrée de bois clair. Elle s'en approcha en boitant, et dû se rattraper au mobilier à plusieurs reprises pour ne pas s'écrouler. Lorsqu'elle l'atteignit enfin, elle fût parcourue d'un frisson glacial.

Le miroir lui renvoyait l'image d'une jeune fille tremblante, au teint pâle et aux joues creuses. Le tissu léger de la robe qu'elle venait d'enfiler dévoilait un corps maigre, parcouru d'ecchymoses et de bandes ensanglantées. Encadré par une longue chevelure fauve, son visage apathique était couvert de taches de rousseur. Elle avait des yeux gris, si clairs qu'ils semblaient presque briller, un nez retroussé et des sourcils fins légèrement froncés.

L'ultime question qui bourdonna alors dans son esprit la torturait, lui laissait un gour amer sur le palais. Sa tête commença à lui tourner, elle se vit trembler de plus en plus, puis basculer soudainement. Elle voulu se rattraper mais la psyché bascula, et elle l'entraina dans sa chute.

Dans un vacarme assourdissant, elle s'effondra au milieu des éclats de verre. La question tambourinait inlassablement contre ses tempes, elle enfonça son visage entre ses mains tremblantes et éclata en sanglots.

Qui était-elle ?

- Mais c'est impossible ! S'exclama Terrence, essayant tant bien que mal de ne pas trop élever la voix pour ne pas réveiller la mystérieuse jeune fille.

Son père et lui échangeaient depuis de longues minutes dans le couloir de l'étage, à quelques pas de la chambre où celle-ci était assoupie. Les sourcils froncés, le jeune homme écartait les bras dans de larges mouvements déconcertés.

- J'sais pas comment c'est possible, murmura Oscar en regardant son fils d'un œil attendri. Mais elle a les mêmes blessures, qu'est-ce tu veux que ce soit d'autre ?

- Je ne peux pas y croire... souffla Terrence en se laissant glisser jusqu'au sol, le dos contre la porte close.

Son père ouvrait la bouche pour lui répondre lorsqu'une déflagration sourde explosa derrière le mur, suivit d'une multitude de tintements cristallins.

Ils se jetèrent à l'intérieur, et y découvrir la jeune fille à genoux sur le sol au milieu de milliers d'éclats de verre rutilants. Le visage dissimulé entre ses mains pâles, elle sanglotait discrètement.

Embarrassé, Terrence observa la scène sans un mots, les bras ballants. Son père fût le premier à réagir, et il s'approcha d'elle lentement, évitant avec précaution les lames de la psyché pulvérisée. Mais lorsque celle-ci remarqua sa présence elle sursauta et recula avec précipitation. La peur se lisait sur son visage, mais son pied se déchira sur un des éclats du miroir et elle grimaça. C'est alors que le vieil homme prit la parole :

- Doucement, on va pas t'manger tu sais ? murmura-t-il en souriant.

Cela ne fit pas sourire la jeune fille mais ses épaules se détendirent. Elle plongea ses yeux d'argent dans ceux du vieil homme, qui la regardait tendrement.

- Allez viens, déclara-t-il au bout de quelques secondes en lui tendant la main. J'sais que t'es déjà bien amochée mais c'est pas une raison pour rester dans ct'état, ajouta-t-il en désignant son pied ensanglanté d'un mouvement de tête.

Elle sembla hésiter, mais finit par déposer doucement sa main dans la sienne, et se laissa guider jusqu'au lit.

- Terry, reste avec elle tu veux ? Je vais chercher de quoi désinfecter ça, déclara Oscar en s'éloignant.

Le jeune homme hocha la tête, et s'assit aux cotés de l'étrangère. Celle-ci ne recula pas, mais son regard glacial ne le quitta pas une seconde. Mal à l'aise, il se racla la gorge et commença :

- Je... Je m'appelle Terrence. Et toi ?

Elle ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt en baissant les yeux. Elle serra ses doigts entrelacés et son menton se mit à trembler. Lorsqu'il comprit qu'elle s'apprêtait à pleurer il jura intérieurement et voulut s'excuser, mais elle sursauta soudain dans un hoquet de surprise, et porta la main à sa bouche.

Elle reposa ses yeux d'argents sur lui. Ils lui semblaient cette fois traversés d'un éclair lumineux.

- Candys, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible. Je m'appelle Candys.

Bien qu'il n'ait pas compris grand-chose à ce qu'il venait de se passer, Terrence était rassuré de voir le tremblement de ses mains s'estomper.

- Ça te va comme un gant ! répondit-il en souriant. Puis devant son regard interrogateur il ajouta dans un clin d'œil : Candys, c'est un prénom latin qui signifie « blanche ».

Elle le fixa avec des yeux ronds, médusée, et le jeune homme éclata de rire.