La vie en tranches VII : L'esthète
Petit défi d'écriture... le mot du jour : acratopège.
***
Monsieur B., esthète dans l'âme et particulièrement exigeant quand cela concernait la musique, étouffa discrètement un bâillement derrière son petit mouchoir en pur coton égyptien. Son ennui venait d'atteindre une profondeur abyssale, probablement similaire à celle de la fosse des Mariannes.
Comment diable avait-on réussi à le convaincre d'acheter un ticket pour ce récital ? C'était au moins la cinquantième fois qu'il se posait la question depuis le début de la prestation. Monsieur B. coula un regard en direction de sa montre. Quoi ?! Seulement quinze minutes ? Il lui semblait pourtant que cela faisait une éternité !
— Je vais mourir de désespoir, décréta-t-il en s'attirant par la même occasion les regards courroucés de ses voisins de siège.
Encore une heure à tenir ! Comment avait-on réussi à le convaincre de venir ? Non, non ! Cette question n'était, à bien y réfléchir, pas si pertinente que cela. Il en demeurait une autre de plus grande importance : quel crétin parmi les organisateurs avait pu penser que le choix de cet interprète était une bonne idée quand le monde regorgeait de véritables talents, de diamants bruts qui ne demandaient qu'à être un peu polis pour étinceler et illuminer le monde de la musique ?
Une belle voix de basse, sombre, grave et profonde, au timbre riche ; une voix vivante, vibrante, toute en rondeur et en puissance... Ah ! Certes ! Elles étaient rares ces voix, mais il y en avait tout de même, que diable !
Sans doute était-ce trop exiger car monsieur B. avait juste le droit à... ça. Il ne savait même pas comment décrire la qualité – ou plutôt l'absence de qualités – de voix du chanteur sensé le régaler ce soir.
Aurait-il été mauvais, au moins aurait-il été remarquable en une chose et en tout cas divertissant, car rien n'était plus truculent qu'un enchaînement de fausses notes claironnées avec enthousiasme. Or, ce n'était pas le cas : il frôlait la médiocrité sans pour autant s'y vautrer.
Il chantait juste et parfaitement en rythme, aussi bien réglé qu'un métronome, mais sans posséder ce petit quelque chose qui distinguait l'excellence de la banalité, cette étincelle divine qui séparait l'exceptionnel de l'ordinaire.
Il en résultait – et c'était bel et bien là que résidait véritablement le drame pour un art – une prestation morne et insipide, en un mot : oubliable. Oubliable à l'image du chanteur à la voix acratopège.
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