Autrefois II : Tableau de Chasse
Un défi d'écriture inspiré par la chanson "Tableau de chasse" (d'où le titre de la nouvelle) de Claire Diterzi. Je ne renie pas une petite parenté avec Les Liaisons Dangereuses mais, surtout je dois le dire, avec Jane Austen.
***
Le regard étréci en deux fentes meurtrières de Rosalie de Peyre-Laganterie suivait avec attention le ballet joué en contrebas par les silhouettes des invités du déjeuner sur l'herbe qu'elle avait organisé pour égayer son séjour à la campagne.
— Mais que peut-il bien lui trouver ? soupira la jeune capricieuse que la chaleur de l'été alanguissait, sans néanmoins parvenir à adoucir son humeur ; au contraire.
Les draperies ne dispensaient qu'un ombrage modéré au salon champêtre installé dans le parc pour l'occasion, et ne procuraient pas réellement de fraîcheur comme aurait pu le faire une pergola végétale. Avachie à la romaine sur la banquette où elle avait élu place, Rosalie, d'un mouvement de la main tout à la fois vif et gracieux, déploya son éventail pour se procurer un peu d'air. Une timide arabesque aérienne fit voleter une mèche de ses cheveux qui vint effleurer ses lèvres dédaigneuses. Rosalie l'en chassa en soufflant.
A côté d'elle, son ami et hôte, Alexis de la Rozier-Pommelaie, laissa entrevoir, l'espace d'une seconde peut-être mais guère plus, un sourire moqueur.
— Plaît-il ?
— Cessez de feindre l'innocence, mon ami. Cette vertu ne vous sied pas du tout.
— Ah ! Nous parlons donc encore de Blanche-Marie de Grandmaison.
Rosalie leva un regard écœuré en direction du ciel. Blanche-Marie... Blanche-Marie ! Avait-on déjà entendu prénom plus prétentieux et ridicule ? Oh ! Elle devait le reconnaître, ça pour être blanche... Blanche-Marie l'était, effectivement ! Une vraie oie. Une gourgandine dont le seul exploit notable était d'avoir su conserver son hymen intact en vue de ses noces. Comme si ne pas desserrer les cuisses devant le premier galant venu lui conter fleurette était tâche herculéenne !
— Elle glousse bien, je dois le reconnaître... Mais qu'a-t-elle que je n'ai pas ?!
— Eh bien... je dirais un peu plus de patrimoine. Et une certaine douceur de caractère.
— Dîtes plutôt que c'est une sotte. Et je vous défends de critiquer la conduite de Jean. Tout de même ! Il n'a rien d'un vulgaire coureur de dot ! s'offusqua Rosalie, prête à défendre bec et ongles l'objet de sa convoitise.
Un Tallé-Mauriac ? S'abaisser à une indignité de ce genre ? Quelle hérésie ! Cette famille était sans conteste la plus fortunée du comté, et peut-être même de tout l'ouest de la France !
— Je vous ai connu plus désopilant, ajouta la capricieuse avec une pointe de condescendance qui ne vexa aucunement son ami.
Au contraire, Alexis de la Rozier-Pommelaie semblait toujours follement se divertir de ses accès d'arrogance.
— Et je vous ai connue plus équitable. Ce trait d'esprit était habilement placé, reconnaissez-le ma chère.
Rosalie coula un regard en coin à son ami et sentit aussitôt flancher sa détermination à lui garder rancune. Qu'il était difficile de ne pas se laisser amadouer par le regard pétillant du beau capitaine ! Qu'il était ardu de ne pas se laisser attendrir par ses sourires enjôleurs ! Ah ! L'animal savait y faire !
Un petite minute..., songea la jeune femme comme une idée merveilleusement machiavélique commençait à prendre forme dans son esprit.
Le succès d'Alexis auprès de la gente féminine n'était plus à démontrer. En fait, à bien y réfléchir... Nombreuses étaient les jeunes filles de la bonne société, dont quelques amies de Rosalie, à sembler prises de vapeurs sitôt qu'il faisait son entrée quelque part. Combien en avait-elle vu se mettre à minauder et se pavaner, au point que cela en devenait insupportable, dans l'espoir de s'attirer ses faveurs ? Alexis, il était vrai, représentait une bonne affaire, et encore disponible, sur le marché des mariages.
Je pourrais le lancer aux trousses de Blanche-Marie.
Carré d'épaules sans être trapu, musclé sans être massif, grand et svelte sans être efflanqué, Alexis avait fort belle allure. Il ne manquait pas de prestance et était avenant. Son teint hâlé, que seule permettait d'obtenir une vie passée au grand air, sublimait l'exotisme du vert de ses yeux. Une couleur qui, d'ordinaire déjà, offrait un contraste plaisant avec sa tignasse brune. Oui, Alexis de la Rozier-Pommelaie était un très bel homme.
Elle n'aurait pas la moindre chance.
Rosalie en fut presque à regretter qu'Alexis n'ait pas songé à venir accompagné de quelques uns de ses amis de la Marine, afin de multiplier ses chances de succès. Son imagination commença à s'emballer un peu.
Une chasse à courre à l'ingénue.
Quelle idée délicieusement saugrenue ! Et elle, Rosalie de Peyre-Laganterie, en serait le maître d'équipage. Oh ! Quelle fantasmagorie scandaleusement libertine ! Mais ne serait-ce pas distrayant ? Elle n'aurait qu'à sonner l'hallali quand la vierge aux abois se retrouverait acculée près d'un lit à baldaquins, derrière la porte aux verrous tirés d'une chambre, par l'un des marins de sa meute. Là Rosalie n'aurait plus qu'à patienter jusqu'à la mise à mort, quand Blanche-Marie perdrait enfin ce précieux mais non moins ridicule atout qu'était la vertu d'une femme aux yeux de la bonne société. Et enfin elle pourrait se délecter et se repaître à l'envie du spectacle offert par la curée sociale qui ne manquerait pas de suivre cette atteinte faite aux bonnes mœurs.
— Alexis ? Dites-moi. En tant qu'homme, que pensez-vous de...
— Non.
— Mais vous ignorez ce que...
— Que nenni ! Je sais exactement, après quelques détours alambiqués dont vous seule avez le secret, ce que vous comptez me demander. Et la réponse est non.
— Et comment pourriez-vous le savoir ? Je n'ai encore rien dit !
— Ma chère Rosalie, je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même.
— Tiens donc ! Et qu'ai-je en tête selon vous ?
— Vous comptez m'utiliser pour séduire Mademoiselle de Grandmaison, de manière à ce qu'elle rejette Jean, pour avoir les coudées franches et redevenir le centre de toutes ses attentions. Me tromperais-je ? Eh bien je ne vous y aiderai pas.
Déconfite, Rosalie admit qu'il avait effectivement deviné les moindres détails de son plan, encore qu'elle ne capitulât qu'à demi, repartant aussitôt à la charge :
— Pourquoi me refusez-vous ce service ? Tout de même... Ne sommes-nous pas bons amis ?
— Ô Dieu ! Avec une amitié comme la vôtre, point besoin d'ennemis !
— Mufle ! Comme vous y allez ! s'indigna Rosalie avec véhémence.
— Rassurez-vous ma chère. Je vous conserverai, envers et contre tout, l'intégrité de mon amitié. Sachez seulement, pour commencer, que je n'ai nulle envie de nuire à la réputation de Blanche-Marie de Grandmaison, ni de m'amuser aux dépends de ses sentiments. C'est un jeu que je ne goûte guère. Je vous savais revancharde, Rosalie, mais pas cruelle.
— Est-ce tout ? se renfrogna la jeune femme, également un peu honteuse.
Le reproche qu'il venait de lui adresser était parfaitement justifié et même l'égocentrique consommée qu'elle était en avait conscience.
— Non. Sachez également que la raison de votre intérêt pour Jean Tallé-Mauriac demeure en partie pour moi un mystère.
— Eh bien... je dois dire qu'il est assez séduisant...
— Séduisant ? Voilà un joli coquet, je vous l'accorde, mais c'est à peine un homme. Ce n'est qu'un blanc-bec, un jouvenceau, un tendron... Et je le trouve un peu mollasson. Regardez-le se tenir ! Voyez comme il se tient voûté !
— Vous exagérez !
— Si peu. Si jeune et déjà à ployer sous le poids de la vie ! Quelle tristesse ! Ce garçon serait-il dépourvu de colonne vertébrale ?
— Oh ! Avez-vous fini vos médisances ? Il a de l'esprit !
— De l'esprit ?
Alexis de la Rozier-Pommelaie laissa éclater un rire sonore.
— De l'esprit ! Pour vrai, c'est un benêt. Mais je dois reconnaître que ce gourdiflot est doté de suffisamment d'astuce pour savoir répéter, à propos je l'admets, les traits d'esprit que d'autres ont émis avant lui. Au moins n'est-il pas malhonnête et ne prétend pas qu'ils sont de lui car, je vous l'affirme, il serait bien incapable d'avoir un bon mot par lui-même.
— Eh bien lui, au moins, est affable !
— Affable, certes... et prompt à se laisser mener par le bout du nez, prompt à s'écraser. Une carpette pour vos charmants petons, voilà ce qu'il est réalité. Vous ne l'aimez pas, Rosalie, vous aimez seulement l'idée qu'il vous appartienne corps et âme, et qu'il se trouve à votre entière merci.
— C'est faux.
Mais son ton manquait de conviction. A la bousculer ainsi, Alexis la faisait douter de ses sentiments envers Jean. Rosalie était néanmoins têtue. Ebranlée ou non dans ses certitudes, elle entendait bien avoir le dernier mot.
— Que connaissez-vous donc à l'amour pour juger ainsi du mien ?
Alexis esquissa un sourire matois.
— Mais j'aime, figurez-vous, lui répondit-il toutefois avec une infinie douceur.
Cette révélation laissa Rosalie pantoise. Au point qu'elle en demeura muette l'espace de quelques secondes.
— Vous aimez ? Vous ?
— Mais oui. Est-ce si difficile à croire ?
— C'est que vous n'en avez jamais rien laissé paraître ! Et qui donc est-ce ? s'enquit Rosalie, non sans éprouver une petite pointe de jalousie.
L'idée qu'Alexis puisse s'éloigner d'elle la chagrinait bien plus qu'elle ne voulait l'admettre.
— Pourquoi voulez-vous le savoir ? Pour lui empoisonner l'existence ?
— Je vous promets que non. Je suis même prête à le jurer sur la Sainte Bible.... Voyez à quelle extrémité je suis réduite. Si vous ne voulez pas me dire son nom, au moins laissez-moi une chance de le deviner ! Se peut-il que je la connaisse ?
— Assurément.
— Sommes-nous proches ?
— Plutôt.
Elisabeth ? Léonie ? Il n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour elles. Et Dieu sait que ces demoiselles l'avaient encouragé à grand renfort d'œillades !
— Est-elle jolie ?
— D'une façon qui lui est propre.
Suzanne ? Non ! Elle l'aurait remarqué tout de même !
— Vous êtes-vous déclaré à elle ?
— Pas encore.
— Ah ah ! Le capitaine aurait-il peur ?
— Peur ? Moi ? Jamais ! L'approche est, disons... délicate. La manœuvre requiert du doigté.
— Elle serait donc d'un rang infiniment supérieur au vôtre ? Oh ! Ne me dites pas...
— Quoi ?
— La raison pour laquelle vous ne vouliez pas jouer avec ses sentiments !
— Blanche-Marie de Grandmaison ? Vous fabulez ! Je préfère les gens de tempérament, vous le savez bien.
— Alors dîtes-moi ; et je vous promets que c'est la dernière question que je vous pose pour tenter de deviner son identité. Pour quelles raisons l'aimez-vous ? Que vous plaît-il en elle ?
— Honnêtement ? Je l'ignore. Disons que je l'aime envers et contre tout, car si elle a de l'humour et de l'esprit, sa personnalité est souvent détestable : elle est jalouse, possessive, narcissique, arrogante, têtue, souvent peste et belliqueuse. C'est bien simple, elle ne possède aucune des qualités que l'on rechercherait chez une épouse.
— Vous... Vous... Vous venez de dresser mon portrait, se mit à bafouiller Rosalie dont les joues se parèrent d'une jolie teinte écarlate.
Son cœur se mit à battre la chamade comme Alexis se penchait vers elle, dévorant avec convoitise les lèvres sensuelles de ce minois rendu adorable de confusion.
— Tout juste ma chère, tout juste.
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