Chapitre 1 : Bonne nuit
- Jeanne, on a bientôt fini de marcher ? Je commence à fatiguer...
- Non, c'est bon, on est presque arrivée, répondit ma sœur.
- Arrivée où ? Il fait presque nuit, là... Papa et Maman vont s'inquiéter...
Depuis pas mal de temps, ma sœur et moi marchions dans les ruelles sombres et tortueuses. J'ignorai où elle comptait m'embarquer, mais apparemment, c'était pour un secret, de la plus haute importance à me dire. Dis plutôt que tu fais une farce, oui... Qui va entraîner une pauvre enfant innocente de 12 ans dans des rues clandestines si ce n'est pour la tuer ?
Le silence était pesant, et chaque pas me faisait mal aux orteils. Les maisons étaient petites, sales et brisés, et elles devaient être infestées par des criminels Mais qu'est-ce qui la prenait ? Et qu'est-ce qui me prenait de continuer à la suivre ?
- C'est bon, nous sommes enfin arrivées, déclara Jeanne, dont la voix transperça enfin le silence. C'est ce que je voulais te montrer.
Je regardais. En face de moi, j'avais un mur, couvert de graffitis. Ma colère ne tint plus.
- Tu m'as fait venir jusqu'ici pour voir un pauvre mur mal dessiné !? je hurla.
- Tu vois ? s'exclama-t-elle, le visage ravi. Tu vois vraiment les dessins ?
- Que... quoi ? bégaillais-je, détroussée. En quoi voir ces gravures sont si importantes ?
- Attends, attends, me répondit-elle, ignorant ma question. Dis-moi ce que tu vois, Artémis.
Je la fixais, comme si elle était une folle, avant de clignoter des yeux. Son visage, beaucoup plus radieux que d'habitude, me fit penser qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie, mais que j'étais bien en présence d'une possédée. Soucieuse de ne pas vouloir la contrarier (qui sait ce qu'elle peut me faire, à l'abri des regards ?), je fixais la construction tatoué et lorgna les dessins. En regardant bien comme il faut, ils me firent plutôt penser à des images qu'on trouve dans les contes de fée, et ils n'étaient pas trop moches. Après avoir avoir regardé un temps, je me détachais de la paroi et m'adressais à ma dingue de sœur.
- Ben, il y a des grenouilles en costumes de serveurs. Et des enfants avec un maillot jaune qui jouent aux Baseball. Une table avec un visage d'homme à chaque coin qui chantent. Et... bon sang de bonsoir, c'est quoi ce binz, Jeanne ?! je m'exclamais.
- OK, et dis-moi ce que tu vois là, me dit-elle en pointant le côté le plus Nord-Est de la façade, ignorant ma question.
- Euh... c'est comme une sorte de mélange entre... euh...
- Entre une étoile, une lune ou un nuage et quelque chose d'autre. Mais ça, justement, c'est quoi, ce que tu vois ? insista-t-elle, l'air pressée.
- Euh... une étoile avec... une loupe ? Oui, c'est une loupe, enfin, on dirait...
- Ah ouais... bon, pas commode, l'emploi, Maman risque d'être angoissée, mais bon, au moins... tu en es une ! hurla ma sœur sans prévenir . Tu en es une, Artémis, tu en es une ! Je le savais, je le savais ! Quand je le dirai aux parents, oh, je le savais, j'en étais sûre...
- Quand tu diras quoi aux parents ? Et de quel boulot tu parles ?
- Tu le sauras d'ici ce soir, trésor. Viens, en route, le chemin sera un peu long.
Et malgré mes protestations, elle s'en alla, chantonnant toujours ces mêmes paroles "C'en ai une ! C'en ai une !" et aussi "Je le savais ! Quand Maman l'apprendra...". Bref, elle ne m'écoutait pas. Malgré les questions posées. La seule chose qu'elle me répondait, c'était la même phrase :
- Tu le sauras d'ici ce soir, trésor. Promis.
Sa persévérance lui tenait de notre père. Ils étaient tous les deux blonds aux yeux bleus, alors que maman et moi étions brunes aux yeux verts. Ma mère était très belle, et je tenais mes yeux, ma mémoire excellente et mes cheveux d'elle. Son visage en porcelaine était parfait, ses lèvres étaient douces et rouge, et ses yeux verts miroitaient quand elle était joyeuse. Son caractère était agréable, toujours enchanté et vivace. Elle avait l'étoffe d'une vraie reine.
Je n'étais qu'une pâle copie d'elle, Jeanne aussi, et nous le savions bien. Papa, lui, c'était l'époux idéal de Maman. Blond, aux yeux bleus, toujours plaisant et heureux, il avait eut le coup de foudre pour Maman à la demi-seconde près qu'ils se sont rencontrés. C'était très rare, cet amour-là, mais j'étais certaine qu'ils exagéraient un peu lorsqu'ils nous racontaient comment ils étaient tombés amoureux.
De Papa, j'ai reçu sa curiosité, son goût pour l'aventure et son visage. Petite, il me racontait des anecdotes qu'il avait vécu - son père était explorateur - toutes plus hallucinantes les unes que les autres. Il savait très bien raconter des histoires à l'improviste, comme Maman, et ils nous en racontaient une, le soir avant d'aller se coucher, quand Jeanne et moi étions plus petites. Parfois, c'était même nous qui racontions les histoires, avec l'aide de nos parents le weekend.
Perdue dans mes pensées, je ne vis pas la maison au loin, et Jeanne se garda bien de me prévenir. Je crois qu'elle aussi réfléchissait.
Notre adorable petit pavillon, était hors de la ville, à moins de 10 minutes en voiture. Il y avait un étage, un sous-sol et un assez grand jardin pour accueillir au moins un chien, sinon, un chat. À chaque fois que je demandais pourquoi on n'habitait pas en ville, ils me répondaient :
- La campagne améliore l'imagination, loin de la ville, avec ses bruits, ses lumières, ses règles... ici, on est plus libre. Tu ne trouves pas ?
Et moi, j'étais obligé de répondre "oui". Enfin, nous arrivâmes à la maison. Les parents, qui nous attendaient au seuil de la porte, ne semblaient pas du tout inquiets alors qu'il faisait déjà assez tard. Ils ne se fâchèrent pas non plus contre nous, et quand Jeanne leur dit à "C'en ai une !", ils ne se retinrent plus de joie. Mais la pire, c'était Maman, qui alla jusqu'à danser sur la table de la cuisine. Rouge de honte, je pris ma tête entre mes mains, espérant que personne ne regardait par la fenêtre pour filmer la chorégraphie imprévue de ma mère.
Une fois calmée, Maman descendit de la table et se trémoussa jusqu'au salon, accompagnée de Jeanne. Là-bas, on n'entendit un petit cri étouffé avant qu'une musique discrète mais joyeuse retentit. Comme Papa et moi furent seuls dans la cuisine, nous commençâmes à dîner silencieusement sans le retour du restant de la troupe. Bien décidée à comprendre ce mystère, je lui demandais :
- Papa, c'est quoi leur problème ?
- Aucun, chérie, aucun. Aujourd'hui, c'est un jour de fête ! me répondit-il.
- Et c'est quoi, l'événement fêté ? Que "j'en suis une" ?
Pour toute réponse, il m'adressa un clin d'œil avant de poser sa vaisselle dans la machine à laver et de partir festoyer avec Maman et Jeanne, me laissant seule. Ils avaient tous pris un coup sur la tête, ces trois-là. Je lançais un soupir, finissant de manger, et rangeais mon assiette avant de traîner les pieds jusqu'au salon, là où m'attendaient déjà mes parents et ma sœur, en train de commencer à arranger la table, comme pour nos jeux en famille.
Ils fêtèrent l'événement avec des confettis, de la musique (qui comme par hasard était à un faible volume) et des chansons, avec des paroles tellement insupportables que j'allais en devenir sourde. Cependant, il y eut interdiction de télé, et on joua à inventer une histoire, chacun pouvant intervenir quand il le voulait.
La seule règle du jeu était la suivante : inventer, laisser son imagination prendre les rênes. Je crois que nous avions inventée l'aventure des filles de Dracula avec un mortel. À la fin, l'aînée épouse un chasseur de vampires. Tout est bien qui finit bien, comme on le dit. Bref, après notre histoire finie, on se mit assez tôt au lit, malgré que se soit les grandes vacances.
Au lit, je téléphonais d'abord à ma meilleure amie, Paloma. Elle décrocha tout de suite.
- Allô ? disait sa voix endormie.
- Palo ? Tu dors déjà ? je plaisantais.
- Hein ? Oh, non, c'est les devoirs de maths. C'est énervant les devoirs de maths. Ils me fatiguent.
Moi, les devoirs de maths, je les fait en deux temps trois mouvements. En plus, c'était pendant les cours de maths que j'avais le plus d'imagination pour inventer des histoires.
- Et toi, qu'est-ce que tu fais ?
- Rien... en fait, je t'appelle parce que je risque de devenir folle. À cause de mes parents, je tentais d'expliquer.
- Et ben, qu'est-ce qu'ils font, tes parents ?
- Ils m'énervent ! À cause d'un fichu truc idiot à la noix.
- Et c'est ?
- Et ben, justement ! Je ne sais pas ! Apparemment, je vais en devenir une.
- Une quoi ?
- Je ne sais pas. Et ça m'énerve. Vraiment.
Après lui avoir tout raconté (en fermant la parenthèse où ma mère a dansé sur le comptoir), elle me dit que ça devait être une blague, un poisson d'avril de retard, et me laissa.
Quand j'eusse fini de me brosser les dents, je me mis rapidement sous la couette et Maman m'apporta un verre de lait.
- Tiens, ma mignonne, bois, me dit-elle, souriante en me donnant le verre.
- Maman ? je m'inquiéta. Depuis quand tu me donnes un verre de lait dans mon lit ?
Elle rit. J'aimais beaucoup son rire, on aurait dit une princesse magique. Papa me disait que l'une des raisons pour laquelle il avait marié Maman, c'était à cause de son rire, qui était féerique. Je trouvais qu'il avait raison, et que le rire de Maman était le plus joli de la galaxie toute entière.
- C'est l'été, il fait chaud, avec la canicule, me répondit-elle.
Mais je ne me fais pas aussi facilement avoir.
- Primo, il y a déjà ma bouteille d'eau sur la commode si jamais j'ai soif. Et secondo, il n'y a pas de verre pour Jeanne. Donc, ça doit avoir un lien avec moi. C'est à cause de "l'événement spécial", n'est ce pas ?
- Oui, admit Maman, sans se départir de son sourire énervant à la noix.
- Mais j'en ai marre ! Quand est-ce que vous allez me dire ce fichu truc ? Vous êtes tous trop zarbis ! je m'exclamais, prise de colère.
- Oh, c'est pas très gentil ! s'extasia Jeanne, passant la tête dans ma chambre, une brosse à dents à la main. Tu pourrais au moins nous dire pardon.
- Pardon ? Vous me cachez des choses et je dois dire pardon ? Non mais c'est quoi le problème ? Il y a caméra caché, c'est ça ?
Soulevant mon oreiller, je m'apprêtai à découvrir une caméra, mais il n'y eut rien. Furieuse et dégoûtée, j'aperçu du coin de l'œil Jeanne plaquée à l'entrée, les bras croisées sur sa poitrine, en train d'étouffer de rire. Maman, elle cacha son amusement derrière une toux discrète, mais ses mèches auburnes bouclées qui s'agitaient la trahissaient. Et quand Jeanne vit mon visage viré à l'écarlate, elle s'écroula de rire par terre.
- Non, trésor, pouffa encore Maman, nous ne te faisons pas une farce, si c'est ce qui t'inquiète. Je te promets qu'on n'a pas caché de caméra.
- Il y a pire encore ! Je me demande si vous êtes réellement mes parents.
- Elle est bien ta mère et je suis bien ta sœur, dit Jeanne, commençant à se relever.
Je voyais déjà son petit rictus qu'elle avait quand elle me cachait quelque chose. Cela ne fit qu'empirer mon épouvante. Comme elle le remarqua, elle ajouta :
- Mais ne t'affole pas,sinon tu risques de ne pas dormir. Un gros travail t'attend déjà et... bon, ben... surtout, fais de bons rêves !
Et elle disparut, en rigolant. Je me demandais ce qu'il y avait de drôle et commençait à envisager que des extraterrestres avait bel et bien pris possession de ma famille quand Maman se pencha et m'embrassa au front tout en caressant les cheveux. Puis, elle chuchota à mon oreille :
- Bonne nuit, Artémis. Fais de beaux rêves...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro