III - Le remède au malheur
Avant d'aller plus loin, il faut que vous sachiez avant tout que Cole n'était pas humain, ou du moins pas vraiment. Autrement ce ne serait pas mon ami. Non ... Cole était un membre de la communauté. Je ne savais pas vraiment depuis combien de temps il l'était, mais ça faisait déjà un bail. Un blond d'une vingtaine d'années, le regard perçant et toujours muni d'un cure-dent qu'il mordillait à longueur de journée ; et si ce n'était pas un cure-dent qu'il avait entre les lèvres, c'était une cigarette, un sacré nerveux.
J'allais souvent le voir dans ce bar les soirs. Non pas parce que j'aimais bien boire en sa compagnie, mais parce que c'était le seul avec qui je pouvais éprouver le mépris le plus brut envers les Hommes en dehors de la communauté. Non seulement parce qu'il partageait pleinement mon avis sur le sujet, mais parce qu'il avait la capacité de le confirmer à tout moment, et dans ce lieu même. Voyez-vous, Erevan nous avait formés, nous avait fabriqués à partir de notre passé ; pour moi, en profonde dépression, écrasé sous une masse sociale tous les jours et subissant une douleur omniprésente, il m'a façonné de façon à ce que je puisse faire subir aux gens une douleur monstre, et que je me nourrisse de cette dernière, assez métaphorique comme raisonnement ce qui devait expliquer pourquoi j'étais son premier Vampire. Et bien pour Cole c'était la même chose ; ce dernier était un jeune paranoïaque qui chaque jour s'enfonçait un peu plus dans une folie incontrôlable, une folie à vouloir s'en suicider m'avait-il confié. Il en avait même quitté son foyer, ses parents, sa famille, pensant qu'ils lui voulaient du mal à tout moment, qu'ils complotaient contre lui et qu'ils l'utilisaient à leurs propres fins depuis sa naissance. De ce fait, comme il l'a fait pour moi, Erevan est apparu à lui juste avant une tentative de suicide et lui a proposé un pacte, c'est comme ça que Cole Trent est devenu un Médium.
La première fois qu'il m'avait raconté ça j'étais un peu perplexe. Mais j'ai appris par la suite que c'était une des créatures les plus puissantes d'Erevan, aussi puissante que moi. Car contrairement à ce que vous pouvez penser, et à ce que j'ai pu penser aussi auparavant, Cole pouvait dorénavant lire dans les pensées des gens, savoir ce qu'ils pensaient et ainsi se libérer de sa paranoïa. Mais il pouvait également entrer directement dans leurs souvenirs, les modifier, et de ce fait, changer la personne qu'ils étaient ; il pouvait rendre un individu qui était au plus bas, le plus heureux qu'il soit, tout comme il pouvait faire croire à un PDG d'une multinationale qu'il était le fils d'un misérable alcoolique ouvrier dans une mine. Mais le plus intéressant là dedans, c'était de soumettre ces individus et de leur faire croire qu'ils le servaient depuis des années, pour la bonne cause. Et c'est donc de cette façon que lui et moi, nous nous amusions des clients du bar qui en sortaient souvent différents de ce qu'ils étaient en y entrant, ou alors qui n'en sortaient pas du tout. Ça devait être l'effet Devil's Bar.
- Tu sais sur quoi il m'a mis ? Lâchai-je en m'asseyant à la table de mon ami.
Les deux mains placées autour d'un café encore chaud, le regard sévère toujours pointé en direction de l'homme assis au comptoir, il me répondit d'un ton calme.
- Le Wendigo en fuite. Il m'a briefé dessus aussi.
- On commence par quoi alors ?
- Lui.
Je tournai ma tête vers le comptoir, et examinai visuellement l'individu vêtu d'une chemise rouge à carreaux, la tête baissée, bouteille d'alcool en main.
- C'est quoi comme spécimen encore celui-là ?
- Rien de bien spécial, j'ai fait en sorte qu'il soit déprimé et qu'il aime cette bouteille plus que tout pour éviter qu'il ne soit trop agité pour la suite. Me répondit-il.
- La suite ? Ce petit chanceux va rester en vie longtemps ?
- Je ne pense pas.
- On attend du monde ?
- Voilà ce que j'ai fais. En gros, cet idiot est un ami très proche d'un autre idiot qui a déjà bien approché notre Wendigo. Donc déjà pour effacer nos traces, je compte sur toi pour le faire disparaître ...
- Aucun soucis.
- ... donc y'a quelques minutes, j'ai agis de sorte à ce que paumé ait appelé son ami très proche pour qu'il vienne ici en lui faisant croire qu'il était vraiment pas bien. Du coup, avant que monsieur-je-côtoie-le-Wendigo n'arrive, tu va me virer ce futur cadavre d'ici, comme ça on s'occupe d'obtenir tranquillement les infos dont on a besoin de l'autre ...
- Et je fais de l'autre mon deuxième repas de la soirée.
- T'as tout compris.
- Mais ... comment tu sais que monsieur-je-côtoie-truc côtoie justement notre cible ?
- Les secrets du Médium mon pote, les secrets du Médium. Me chuchota-t-il en me faisant un clin d'œil.
Je me levai calmement.
- Je vais commencer à nettoyer tout ça si tu me le permet. Déclarai-je.
- Fais donc !
Je marchai en direction du comptoir et m'appuyai sur ce dernier, juste à côté de l'individu. Ignorant le barman qui essuyait les verres.
- Mauvaise journée hein ? Dis-je le sourire aux lèvres.
La tête toujours baissée, bouteille toujours en main il ne tourne que très peu sa tête vers moi.
- Vous n'imaginez même pas ... c'la merde totale.
Toujours du même ton faussement compatissant, je continuai.
- Vas-y libères toi, expliques moi ce qui pourrait autant te démotiver en cette sanglante nuit.
- J'ai ... je ... j'ai perdu mes trois gosses ..
- Ouch ! Comment ?
- Éc ... écrasés par un train ...
- C'est bête ça.
- Ma femme vient d'me quitter pour mon frère, j'ai ... j'ai appris qu'ils se voyaient déjà depuis ... depuis quatre mois dans mon dos ...
- La faute à pas de chance !
- Ma mère va mourir d'un cancer et j'ai mon père qui nous a abandonné y'a une semaine parce qu'on était "trop misérables" ...
- La poisse ça te connaît toi dis donc.
- Et j'ai ... j'ai l'impression que le seul bonheur dans c'te vie d'merde qui m'reste c'est dans c'te 'teille qu'arrive à peine à m'dessécher la gorge.
Je me retournai discrètement pour regarder mon acolyte qui buvait tranquillement son café et lui adressai un sourire complice. Il l'avait vraiment mis dans une situation misérable, un régal !
- Si je te disais que je peux changer complètement ta vie ? T'enlever toute cette souffrance ?
Il leva sa tête et me regarda de ses yeux fatigués.
- Changer ma vie ? Comment voulez-vous changer ma vie, il n'y a plus rien à changer ...
- Mais si allons ! Il y a toujours un remède ultime à une vie malheureuse ! Souriais-je d'un ton motivant.
Je vis une larme couler délicatement sur sa joue.
- Comment ... ?
Je posai ma main sur son dos, lui donnai une tape amicale et en m'approchant de son oreille je lui chuchotai avec un large sourire :
- La mort.
Je plongeai brutalement ma main dans son dos, faufilant cette dernière jusqu'à son cœur, et quand je trouvai ce dernier, je le pressai de toute mes forces dans mon poing. Juste après avoir entendu le bruit écœurant de mon oeuvre, le malheureux lâcha sa bouteille. Je l'attrapai avant qu'il ne tombe au sol et en profitai pour pencher sa tête et ainsi planter mes crocs grandissants dans son cou. Une fois après avoir savouré ce délicieux minable dont le goût m'avait paru étonnamment fruité, certainement grâce à cette petite bouteille d'alcool, je m'occupai de son cadavre répugnant en le jetant dans la réserve du bar. Une fois fait, je me redirigeai vers le comptoir, pris la bouteille abandonnée, sortis mes crocs pour ensuite mordre légèrement mon poignet, fis tomber une vingtaine de gouttelettes de mon sang à l'intérieur et nettoyait le tout pour ramener cet alcool à présent modifié à la table de mon ami.
Pourquoi mettre mon sang là dedans ? Allez vous me dire. C'est simple. Voyez-vous, une autre de mes capacités vampiriques était de pouvoir contraindre les humains, afin qu'ils fassent tout ce que je leur ordonnais de faire. Et pour cela, il fallait d'abord qu'il aient un peu de mon sang dans leur corps, ainsi j'avais tout contrôle sur eux, aussi longtemps que mon sang persistait en eux. Bien sûr, le barman qui était présent et qui avait assisté à toute la scène sans faire le moindre geste, était l'un des seuls humains à Baycoton à avoir mon sang en lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Juste parce qu'il était le barman de ce bar, où j'allais très souvent, et parce que je lui avais concocté un petit stock de mon sang dont il devait consommer quelques gouttes chaque jours pour que je n'ai pas à le contraindre moi même. Vous vous en doutez bien, la première chose que je lui ai dit après lui avoir ordonné de prendre tous les jours un peu de mon sang, était que quoi que je fasse, c'était tout à fait normal.
À peine cinq minutes plus tard, le moment était arrivé. Nous vîmes un homme, visiblement vieux, peut-être la cinquantaine. Il avait une grosse barbe grise, sale, un visage marqué par l'âge, très ridé, un bonnet bleu marine avec un manteau marron foncé en piteux état. Je ne pu m'empêcher de glousser un instant.
- C'est lui ? Me moquai-je.
L'air sidéré, visiblement aussi surpris que moi, Cole dévisagea le vieil homme.
- Vous .. vous auriez pas vu un homme ? Nous demanda le clochard d'une voix blafarde.
Je me retournai et le dévisageai à mon tour.
- Parce qu'on ressemble à des femmes ? Demandai-je les yeux plissés.
- Oh non non messieurs ! Je cherche juste un homme, plus jeune que moi !
- Parce qu'on à l'air d'êtres plus vieux que vous ? Continuai-je en durcissant le ton.
- Non non mon brave ! Je ne voulais pas vous offenser, vous vous méprenez !
Je regardai Cole quelques secondes.
- Il est perché au dix-huitième siècle le con. Lâchai-je.
Je me retournai à nouveau vers le vieux.
- Venez donc ici attendre votre homme ! L'invitai-je.
D'un pas lent, il vint à nous, je me décalai afin de lui laisser une place pour s'asseoir.
- Merci bien mon brave.
Je lui tendis la bouteille que j'avais précédemment préparé.
- Pour vous très cher.
- Pour moi ? S'étonna-t-il, c'est bien aimable, merci bien !
J'avais un peu peur de devoir justifier mon geste, mais ce malheureux avait l'air d'avoir une soif accablante car il n'hésita pas à boire la moitié de la bouteille en quelques secondes. Lorsqu'il s'arrêta de boire, je pu voir avec plaisir sur son visage, un léger choc, comme si ce qu'il venait de boire lui était désagréable.
- Ah ah .. hum ... merci bien mon garçon ! Remercia-t-il en posant la bouteille sur la table.
- Bon maintenant petit vieillard, tu va me dire ce qu'on veut entendre. Tu ne t'enfuiras pas, tu ne crieras pas, tu ne mentiras pas. Compris ?
- J'ai compris mon brave.
- Bien.
Je laissai Cole s'occuper de l'interrogatoire.
- Comment tu t'appelles ?
- Nigel.
- Bien, Nigel, est-ce que tu as récemment vécu, vu ou entendu quelque chose d'étrange ?
- Pas que je sache mon brave.
- Tu n'a pas côtoyé quelqu'un de bizarre ? D'anormal ?
- Pas à ma connaissance.
Nous nous regardâmes tout deux un court instant.
- Nigel, tu ne nous ment pas quand même ? Demandai-je.
- Oh non mon garçon ! Je n'oserais pas allons !
Cole reprit.
- Nigel, j'ai entendu dire que tu côtoyait quelqu'un qui ... qui s'approchait un peu trop des morts.
- Des gens décédés ?
- Oui c'est ça.
- C'est le cas en effet.
- Et tu trouves pas ça bizarre ?
- Pas vraiment, pourquoi ? Je devrais ?
Une idée me traversa l'esprit.
- Nigel ... soupirai-je.
- Oui ?
- Tu travailles où ?
- Dans le cimetière de Baycoton, pourquoi ?
Cole soupira.
- Voilà pourquoi il ne trouve pas l'approche des cadavres étrange. C'est parce que lui même les approche tous les jours. Bon, j'ai pioché dans sa tête, on a plus de temps à perdre. Tu peux te débarrasser de lui.
Une fois le signal donné, et je n'attendais que ça, je balançai ma tête vers son cou et le mordis violemment sans qu'il ne puisse bouger, crier ou me repousser. Nous avions maintenant tout ce qu'il nous fallait pour traquer ce Wendigo. Je ne savais pas encore ce qui nous attendait exactement, mais Cole venait de récolter les informations dont nous avions besoin dans les souvenirs même du vieil homme.
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