I - Le pacte de sang
À un certain moment de ma vie, je commençais à saturer. Un bel euphémisme en réalité, car "saturer" ne suffisait pas à lui seul à décrire ce que je vivais. Il fallait y ajouter le fait qu'intérieurement je brûlais, mon sang faisait fondre mes veines, je cédais, j'explosais, je souffrais le martyr. Je n'en pouvais plus. Le monde entier, de son énorme main, m'écrasait chaque jour un peu plus. Les gens, leurs regards, leurs mots, leurs cris et leurs insultes me sciaient en deux. Je n'avais plus goût à la vie, je ne voyais plus les couleurs comme elles devaient l'êtres. Les bonnes nouvelles n'avaient que peu d'effet sur ma santé mentale, sur mon moral. Imaginez une plaie profonde et ouverte, en plein milieu de votre torse. Plaie dont vous êtes contraints à garder ouverte à vie, constamment. Et bien à certains moments de la journée, des gens viennent vous donner des petits pansements roses qui font à peine le tour de votre pouce, et vont vous les appliquer sur cette plaie. Vous imaginez ? Bien. À présent, imaginez d'autres gens, bien plus nombreux que les précédents, qui vont à la suite, un par un, vous plaquer leurs deux mains imbibés de sel, de sucre et d'alcool sur cette plaie, tout en n'omettant pas d'y enfoncer un ou deux doigts. Vous l'aurez compris, les pansements roses avaient le même effet que les bonnes nouvelles, et les mauvaises me faisaient un mal de chien.
Je ne pouvais donc plus supporter tout ça. J'ai donc décidé un jour, de faire le classique suicide avec la dose de médocs. J'ai lamentablement échoué, et j'ai recommencé le lendemain, avec un nouvel échec. Le cerveau retourné, j'ai retenté pour la troisième fois le jour suivant, encore un échec. J'ai fortement rigolé, tout simplement parce que je me suis rendu compte que j'étais peut-être condamné à vivre dans la souffrance ? Terrifié face à cette idée, j'ai récidivé pour la quatrième fois le même jour, et au lieu d'un échec, je suis tombé face à Erevan. Un visage plutôt osseux, sévère, aux cheveux longs coiffés en queue de cheval et habillés en costume complètement noir, accompagné d'un petit nœud de papillon rouge.
- Si tu harcèles les filles comme tu harcèles la mort depuis trois jours, ça ne m'étonne pas que tu sois seul.
Assis sur le rebord de mon lit, la tête douloureuse et une petite boite de médicaments vide dans la main, je relève la tête, et observe l'individu apparu de nul part.
- Qui ... qui êtes vous ? Vous fichez quoi chez moi ?! Bredouillai-je.
Il prit calmement une chaise, la posa devant moi et s'assit.
- Je suis Erevan, et je suis là pour t'aider.
Je le regardais avec des yeux à moitiés fermés, assommé par la fatigue.
- J'ai appelé les pompiers ?
Je vis un léger rictus apparaître sur ses lèvres, puis ils reprit une expression plus sérieuse.
- Je suis là pour t'aider, pour t'aider à retirer cette souffrance que tu endure.
- Repartez d'où vous v'nez ... chuchotai-je.
- Cette peine, cette douleur, cette souffrance que tu subis depuis longtemps, n'as-tu pas envie qu'elle s'en aille ? Ne veux-tu pas stopper ces idées noires qui te persécutent à longueur de journée ?
- Vous croyez que je suis heureux dans mon état actuel ? Demandai-je avec des yeux ronds.
Il plissa les yeux, me lança une sorte de regard observateur, et après un instant qui me sembla durer une éternité, il me tendit sa main.
- Donnes-moi ta main.
Sous l'emprise de la fatigue, j'hésitais. Mais n'ayant rien à perdre et ne comprenant pas trop non plus ce qu'il se passait, je lui tendis la mienne.
- Fermes les yeux, mais ne t'endors pas. Me dit-il.
Au contact de sa main, quelque chose se produisit. Un miracle. Une lumière, une flamme, une étoile, ou peut-être un lampadaire, mais quelque chose s'illuminait en moi. Comme si mes problèmes venaient d'êtres résolus en un instant, définitivement. Comme si mes malheurs n'étaient que minimes, et n'avaient aucun impact sur mes pensées. Comme si j'étais enfin libéré ... libéré de cette aura noire et négative.
- Rouvres-les.
Il lâcha ma main, et à cet instant précis, j'eus un véritable cataclysme en moi. Un tsunami d'idées noires inondant mes pensées, une avalanche de problèmes qui me retombaient sur les épaules, une tornade au fond de moi, au fin fond de mes entrailles, me rappelant mon mal-être.
- Alors ?
- Comment avez-vous fait ça ?! Qu'est-ce que c'était ?!
Un large sourire se dessina sur ses lèvres.
- Je suis là, pour t'aider. Articula-t-il.
- Dites moi comment !
J'étais totalement conditionné pour entendre et recevoir son aide, peu importe de quelle forme elle était. Ce que je venais de vivre quelques secondes auparavant, était ... indescriptible. J'aurais donné corps et âme pour goûter à nouveau à ce que je venais de ressentir.
- Tu es sûr de vouloir que je t'aide ?
- Oui !
- Peu importe la façon dont je le fais ? Demanda-t-il d'un ton énigmatique.
- Je veux votre aide !
D'un air enthousiaste, il se leva, déplaça la chaise plus loin et pris à nouveau ma main.
- Voilà comment je vais procéder, je vais te donner la possibilité de te venger de ces gens là dehors, de la société. Je vais te permettre de faire taire ces filles, ces garçons, ces vieux, ces vieilles, ces banquiers et ces pauvres. Je vais te donner la capacité de te nourrir de leurs souffrances, tout comme ils se sont nourrit de la tienne durant des années sans aucun scrupule. Je vais également te donner la possibilité de le faire éternellement, tu pourras ainsi tourmenter des générations entières, des descendances, et ainsi accomplir une savoureuse vendetta. Ce sera accompagné d'une véritable soif de vengeance, qui se transformera en addiction, puis en besoin naturel, tu auras besoin de les faire souffrir pour vivre.
J'étais tellement désespéré de ma situation, et je voulais tellement la chose qu'il venait de me montrer, que j'acquiesçai à chacun de ses mots, tout me paraissait normal, il avait raison après tout. Je souffrais depuis des lustres, il était temps que d'autres souffres.
- Mais tout cela à un prix.
- Peu importe !
- Chacune des âmes de tes victimes me reviendra.
Son charabia m'importait peu, j'acquiesçai à nouveau, pressé de découvrir mon saint Graal. Il sortit de la poche de son pantalon une sorte de couteau avec de nombreux symboles étranges gravés dessus, et sans que je ne puisse faire quoi que ce soit, il me le planta dans la paume de la main, transperçant ainsi cette dernière. Une douleur sans précédent allez-vous me dire. Et bien figurez-vous que, je voyais la lame, planté dans ma main, mais aucune douleur ne vint à moi.
Mais je ne pu profiter plus longtemps de cet instant car quelques secondes suffirent, pour qu'un mystérieux voile noir ne cache ma vision, et me plonge un sommeil profond.
Aujourd'hui encore je ne peux pas vous expliquer exactement ce que je ressentais. Mais c'était assez fort pour que je fasse abstraction de tout son blabla à propos des âmes, de la soif de vengeance et tout ce qui va avec. En tout cas, quoi qu'il en soit, ce n'est que plusieurs jours après que je me suis réveillé sur mon lit. Sauf que cette fois, le réveil était différent. Ma fatigue n'existait plus, mes gestes étaient fluides, ma vision était plus nette et j'entendais avec facilité ce qu'il se passait dehors, derrière ma fenêtre. Mais j'entendais autre chose, et ça me perturbait, car ça n'était pas normal. Je me levai de mon lit, et en tournant la tête je vis au sol même, le corps d'une femme, inanimée. Elle semblait sans vie tant elle ne bougeait pas d'un poil, mais je pouvais entendre sa respiration. Je m'approchai, me baissai, tâtai son pouls et l'emmenai sur le rebord du lit.
"Demandes-lui si elle va bien !" me direz-vous. J'en avais envie, croyez-moi. Mais mon instinct, ou quelque chose du genre, une voix au plus profond de moi, me disait de rapprocher ma tête de cette personne inconsciente. Je ne me préoccupais pas de son état, je m'en foutais si elle allait bien ou pas. Je commençais à comprendre. Les idées claires et en place ... le charabia n'était pas que du charabia. Pressé d'en savoir plus, et excité de découvrir ce qu'il se passait, je décidai d'attacher les mains de la jeune femme, je lui fis pencher la tête, et alors que j'approchai très lentement la mienne de son cou, instinctivement j'ouvrai la bouche comme si j'avais des crocs, et une mystérieuse et puissante envie de mordre me prit. J'avais besoin de mordre, fort. Une forte douleur apparut au niveau de mes dents, et sans hésiter, pris d'un élan d'adrénaline, je mordis le cou de la jeune femme jusqu'au sang, provoquant ainsi un saignement assez barbare.
- Ahhhhhh !!!
La femme se réveilla dans mes bras, commença à hurler de douleur, mais je continuai. Je sentais mes canines se développer dans la chair, et le sang couler à flot sur ma langue, coulant massivement et majoritairement sur le sol et sur ses vêtements. Ses hurlements se transformèrent peu à peu en cris, puis s'atténuaient en gémissements, et tout doucement devenaient de plus en plus inaudibles, jusqu'à ce qu'elle ne fasse plus aucun bruit.
Moi je continuai de mordre, de sucer. Ce goût nouveau pour moi m'était exquis, mes crocs avaient atteints leur taille maximale, et étaient déjà bien ancrés dans le cou de ma victime, à environs quatre ou cinq centimètres de profondeur. Lorsque la rivière de sang se transforma en petit ruisseau, ne m'offrant peu à peu que quelques gouttes par secondes, je me détachai du cou, et observais la morsure que j'avais prodigué à cette inconnue, à présent sans vie. Je n'en éprouvais aucun regret, aucune peur, aucune terreur, au contraire, j'éprouvais de la satisfaction, du bien-être, et j'avais même encore envie de planter mes crocs. Je ressenti là, à cet instant même, la même sensation, l'exact même qu'Erevan m'avait fait précédemment ressentir, c'était miraculeux.
Presque pris d'euphorie, je jetai le corps sur le côté comme un vieux poisson, je courrai à la salle de bain et m'observai dans les miroir. Un large sourire explosa sur mes lèvres, mes expectations étaient belles et bien réelles. Je vis mes yeux, terrifiants, sombres, mêlés de noir et de rouge, complètements métamorphosés ; puis ma bouche, couverte de sang, des traces de coulées qui s'étalaient jusqu'à mon cou, ainsi que mes dents, mes deux canines, semblables à celles d'un monstre. Je frissonnais à l'idée d'être un jour à la place de la femme que je venais de tuer, me faire mordre par ces crocs de l'enfer ... ouah !
Je comprenais à présent les propos d'Erevan. Je ne savais pas encore ce qu'il était, ce qu'il attendait de moi, mais il avait tenu sa promesse. À partir de ce moment j'infligeais la douleur chez les gens, je me nourrissais de cette même douleur, et j'en devenais accroc, j'en avais besoin. J'étais devenu un vampire.
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