Chapitre 9
A la fin de la journée, j'ai recouvré la totalité de ma force. Je me sens bien plus en forme qu'en début de journée, et je me sens surtout capable de soulever des montagnes.
Je fais les cents pas dans ma chambre. Je ne suis plus qu'un fauve contenu en cage. J'ai le sentiment que je suis capable de tout et n'importe quoi, d'une seconde à l'autre.
J'ai besoin d'aide. J'ai besoin de savoir comment contrôler tout ça. Je sens la magie bouillonner en moi, et je ne sais pas comment la contrôler.
Face à mon grand miroir en pied, j'inspecte mon reflet.
Soudain, ma cape se soulève, comme invoquée par une force invisible. Mes cheveux se détachent, et le ruban noir qui les nouait s'envole. Mes mèches blondes gravitent autour de mon visage alors que je recule, effrayé par cette nouvelle force.
La porte s'ouvre soudain. Je sursaute, et mes cheveux retombent négligemment sur mes épaules en même temps que ma cape.
Dans l'encadrement de la porte, se trouve mon père. Pétrifié, je l'observe s'avancer dans la pièce et refermer la porte derrière lui, son visage vissé sur moi.
Je ne l'ai pas revu depuis la cérémonie. Je n'ai aucune idée de l'état dans lequel il peut se trouver, tout comme ma mère.
Nous nous observons, sans un mot. Il porte sa cape de l'Ordre, et une nouvelle fois je me demande où est passée la mienne.
Je lance en brisant le silence :
- Il n'y a eu aucun blessé ?
Mon père me sourit, et s'approche de moi.
- Même quand tu es au plus bas tu penses aux autres. C'est pour ça que j'ai toujours été convaincu que tu étais fais pour diriger la Confrérie.
- Mais ce n'est plus d'actualité, n'est-ce pas ?
Le silence de mon père sonne comme un consentement. Je soupire, et me tourne dos à lui.
Ce n'était pas particulièrement mon rêve de diriger l'Ordre. Mais mon influence et le pouvoir que j'ai toujours eu sur le Confrérie entière m'a toujours plu. J'étais puissant, j'étais Tim Ortega, futur Dirigeant de la Confrérie du Nouvel Etat.
Maintenant, je suis un Enfant de l'Aube. Un Enfant de l'Aube comme les autres.
- Pas vraiment, m'avoue Père.
J'ai toujours aimé sa franchise. Mais en l'instant peut-être aurait-il été plus agréable d'entendre des mensonges.
- Tout est remis en question, objecte-t-il. Il ne nous était jamais venu à l'esprit qu'un Enfant de l'Aube puisse faire partie de l'Ordre, encore moins que ce soit toi, Tim. Nous avions bâti ton avenir, brique par brique, tout était déjà planifié. Tu n'avais qu'une seule chose à faire, passer ta Décision, revêtir de la cape et de la bague de l'Ordre, et épouser Abigaël. Maintenant, tout a changé.
Abigaël. Je n'ai pas pensé à elle depuis la cérémonie. Dans quel état est-elle à présent ?
J'ai grandi à ses côtés, nous avons tout fait, tout vécu ensemble. Que ressent-elle à présent ?
- Elle va bien ? Je demande.
Père s'installe sur mon siège de cuir devant mon bureau, là où j'ai coutume d'étudier quand l'envie m'en prends.
J'aime le fait qu'il soit à l'aise avec moi. Il a toujours été moins cérémonial avec moi qu'en public, cela pourrait peut-être paraître normal, pourtant ça ne l'est pas. Mère par exemple, garde le même ton et la même froideur avec moi qu'en public. Père est différent, il est naturel à mes côtés.
Encore là, alors qu'il sait de quoi je suis capable.
Quelque chose tremble. Je ne sais pas si je lui le seul à le percevoir, mais je sens quelque chose gronder faiblement dans la pièce. Alors que mon père me répond, mes yeux se posent sur mon miroir en pied, vacillant.
- Je ne l'ai pas vraiment vue après ta Décision. Sa mère a été blessée par les éclats de verre, et il me semble qu'elle est restée auprès d'elle. Ensuite, je crois qu'elle est retournée en cours, comme tous ceux de ta classe.
Mon regard ne quitte pas mon miroir. Il frémit, tremble. Père ne semble pas l'avoir remarqué, mais moi je suis obnubilé par le miroir qui bouge seule, poussé par une force inexplicable. Mes doits papillonnent, je sens la magie gronder par filets électriques.
Mon père lève les yeux sur moi, et ce contact provoque en moi une tornade.
Soudain, le miroir explose.
- Père attention !
Le verre vole en éclat, et je lève un bras en direction de mon père qui se cabre dans une volonté de le protéger.
Mes doigts tendus dans sa direction, soudain le verre se fige.
L'explosion auditive de la glace sui se brise se tait soudain, et le silence revient. Je serre les dents, les yeux fermés, redoutant d'avoir à faire face au visage blessé et sanglant de mon père, des bouts de verres plantés sur ses joues, ses yeux.
Mais lorsque je rouvre les miens, je découvre avec stupeur qu'il n'en est rien.
Le verre est là, immobile, flottant dans les airs. Ma main tendue dans leur direction reste inerte, alors que les éclats menacent le visage de mon père qui n'a pas bougé, les yeux grands ouverts face à ce qui était prêt à l'écorcher vif.
Je reprends mon souffle, abaisse ma main, et à ce moment-là les éclats de verre tombent brutalement sur le sol pour s'éparpiller un peu partout dans la pièce.
La respiration haletante, mon père fixe les bouts de verre, et je vois dans ses yeux toute la terreur du monde.
Je fais un pas en arrière, les dents serrées.
- Je suis désolé, je balbutie.
- Ce n'est rien, souffle Père.
Mais dans ses yeux, je sens que tout a changé.
***
Le lendemain, ma chambre a été nettoyée et il n'y a plus traces de l'incident. Même mon miroir brisé a été emporté, par superstition sans doute.
Seul, je frémis d'impatience. Je sens que l'on va m'interdire de plus en plus de choses, et que je vais perdre ma liberté. Exactement comme a dit Derek.
Alors c'est ainsi qu'il s'appelle. Le dernier Enfant de l'Aube avant moi.
Lui connaît ses pouvoirs, ses capacités, ses limites. Et il connaît les miennes sans doute mieux que personne. Lui seul pourrait m'aider, j'en ai bien conscience malheureusement.
Mais je ne retournerai pas le voir. Pas avant d'être sûr que je ne suis plus en sécurité dans l'Etoile.
Lorsque ce matin l'on m'apporte comme toujours mon petit déjeuner dans ma chambre, je suis nourri par l'espoir que rien n'a changé. J'ai toujours ma place dans la Confrérie, je suis toujours le même.
Les cuisiniers qui m'apportent à manger me sourient faiblement, rien à voir avec l'attitude qu'ils avaient avant. La nouvelle doit avoir fait le tour de l'Etoile, évidemment. Peut-être même du Nouvel Etat si jamais les visiteurs ont vu l'état de la Cathédrale.
Même si cela m'étonnerait fort que l'Ordre ait ouvert l'Etoile aux visites après ce qu'il s'est produit lors de ma décision.
Les serveurs quittent la pièce en me saluant, et referment la porte.
Je n'ai jamais été un exemple de docilité et de gentillesse comme Abigaël, et je n'ai donc jamais été admiré par les membres de l'Ordre. Mais j'ai toujours été respecté, et je n'ai jamais senti de crainte à mon égard dans le regard des gens que je croise.
Je saisi ma tasse de thé, et la porte à mes lèvres. Puis je fige mon geste en sentant une odeur différente qu'à l'accoutumée.
Si Derek a vu juste, ce thé n'est pas uniquement composé de verveine. Mais mes propres parents ne feraient pas ça, si ?
Mais en qui dois-je avoir confiance maintenant ? La Confrérie, qui a bâti ma vie entière, ou bien un homme à qui je n'ai parlé qu'une seule fois mais qui semble connaître le nouveau moi mieux que personne ?
Je repose ma tasse de thé, puis me lève. Finalement, je n'ai pas faim.
Quelques minutes plus tard, j'arpente les couloirs vêtu cette fois d'une cape bleu marine, comme celle de Mère. Histoire de changer, et qu'on ne tente pas de m'empêcher de faire ce que je veux.
Il n'y a pas encore de gardes devant la porte de ma chambre, mais en revanche plus de personnes circulent dans le couloir réservé à ma famille qu'avant. J'ose espérer que ce n'est pas pour me surveiller.
Je gagne en quelques enjambées ma salle de classe, celle de Miss Stephenson. Les cours d'histoire politique du Nouvel Etat sont les plus nombreux dans notre emploi du temps, et pour une fois je veux à tout prix y assister.
Lorsque je pousse la porte de la salle de classe et qu'aussitôt les regards se posent sur moi, je sens les souffles bloqués dans les gorges de mes compagnons.
Leurs regards me brûlent, mais je n'y fais pas attention. Je suis encore libre de mes mouvements que je sache. Je me doute bien que je ne suis pas le seul à me savoir instable, mais je peux très bien tenter de me maîtriser.
Je ne sais pas vraiment ce que je cherche à me prouver en entrant dans la classe. Peut-être que rien n'a changé, que je suis le même, et pas un Enfant de l'Aube, l'une des créatures qui a bercé mes cauchemars quand j'étais enfant.
Je m'avance dans la classe, alors que les élèves font silence. Miss Stephenson à l'autre bout de la classe m'observe, et je sens dans son regard qu'elle ne sait quel comportement adopter. Elle ne veut sans doute pas que j'assiste à sa classe, mais n'a certainement pas le droit de m'en interdire.
- Madame ! S'élève soudain une voix. Vous n'allez pas le laisser assister au cours ?
Je reconnais la voix d'Enora. La magie frémit à nouveau entre mes doigts et me picote. Je sens alors que d'un simple geste, je pourrais la faire voler à travers la pièce.
Mais si je le faisais, je lui donnerais raison. Je ne dois pas craquer, c'est la dernière chose à faire.
Je me contente donc de traverser la classe d'un pas que je veux léger, et cherche à gagner ma place, aux côtés d'Abigaël. Je pose mon regard sur elle, et constate qu'elle garde les yeux baissés. Capuche baissée sur son visage, elle triture entre ses mains son stylo nacré de vert.
Miss Stephenson balbutie :
- Eh bien je... Je ne peux pas l'empêcher de suivre le cours à vrai dire.
Sous-entendu, elle le ferait bien si elle en avait le droit.
Alors que je m'approche de ma table, je vois du coin de l'œil ma professeure adresser un signe de tête dans le fond de la classe, et la seconde d'après quelqu'un sort.
Je m'installe aux côtés d'Abigaël, et elle ne bouge pas. Je sens le poids des regards de tous sur moi, et je ne sais si cette sensation est agréable ou non. Je m'adresse à Abigaël :
- Ça va ?
Elle ne me répond pas, et j'entends Miss Stephenson continuer sa classe comme si de rien n'était, provoquant en moi un soulagement immense. Je veux que tout soit normal, comme si jamais rien n'était arrivé.
- Comme je le disais, aujourd'hui nous allons étudier le pouvoir de la presse au sein de la Confrérie. Les journaux nous permettent aujourd'hui de prendre connaissance des actualités au sein du Nouvel Etat. Ils ont permis il y a des dizaines d'années, en 1820 pour être exacte, de communiquer aux citoyens de se protéger des épidémies lorsque c'était le cas, ou bien d'arrêter des criminels en fuite. Qui peut me dire quels sont les journaux officiels du Nouvel Etat ?
Aussitôt, Carter en bon élève, s'évertue à répondre :
- Il y a Le Papier d'Or, rédigé par des journalistes au sein de l'Etoile et traitant principalement sur la vie à l'intérieur de l'Ordre, et Au Nouvel Etat, journal officiel d'actualités sur la totalité du pays.
- Très bien, félicite Miss Stephenson.
- Non, il y a aussi Jusqu'à l'Aube, intervient Abigaël en parfaite première de la classe.
Je remarque que sa voix tremblote, et je tourne mon visage face au sien.
Miss Stephenson arque un sourcil, et les autres se tourne face à la jeune fille.
- Ce n'est pas un journal officiel, il est même interdit par la Confrérie, mais il existe.
- Pourquoi a-t-il été interdit Miss Stephenson ? Demande Enora.
Notre professeure prend son temps pour répondre, et elle finit par dire :
- Jusqu'à l'Aube est un journal qui a longtemps critiqué la Confrérie, sans jamais apporter de solutions. C'est un journal profanateur qui critique beaucoup le Seigneur et ses bienfaits, et se moque des conventions. L'Ordre a finit par décider de le supprimer. Il défendait les monstres que sont les Enfants de l'Aube.
Miss Stephenson semble regretter ses paroles au moment où elles s'échappent d'entre ses lèvres. Elle coule un regard contraint dans ma direction, mais je l'ignore.
Sauf que les élèves l'imitent. Bientôt, je me retrouve avec une pluie de regard noirs. Je suis le nouveau monstre pour elle, je représente leurs cauchemars d'enfants.
De nouveau, la colère bouillonne en moi, et je sens mes doigts s'électriser. Je voudrais leur hurler de cesser de me regarder ainsi, leur hurler que rien n'a été modifié, que je suis Tim et que je dirigerai la Confrérie, qu'ils me doivent le respect.
Et puis soudain, toutes les feuilles de cours de la classe prennent leur envol.
Elles décollent de la table pour se soulever des airs, et les élèves se mettent à hurler.
Projetées dans les airs, les feuilles de cours rejoignent le plafond comme de grands papillons, et les élèves se cachent sous les tables.
Moi, je me sens à ma place. Je sens la pression dans mon corps me quitter, et je deviens plus léger que jamais. Le sentiment de pouvoir changer les saisons, les lois de la gravité, l'univers, ne me quitte pas.
Je me sens bien. Epanoui. Je veux libérer cette énergie qui gronde et menace de me faire imploser de l'intérieur.
Le rêve se brise lorsque les forces de l'Ordre entrent dans la classe, sous les hurlements des élèves.
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