
Chapitre 5
C'est la voix de Banner qui me tire de mon absence.
- Tu vas bien Tim ?
Je me tourne face à lui, et déglutit pour tenter un sourire.
- Très bien. Pourquoi ?
Banner ignore ma remarque d'un petit mouvement du menton. Il fixe l'endroit où les gardes ont disparus, puis dit d'un air absent :
- C'est perturbant n'est-ce pas...
Je ne fais pas semblant d'ignorer à quoi fait-il allusion. J'ai déjà compris. Je me contente de hocher doucement la tête, alors qu'il ne me regarde pas.
- Tu te souviens des cours de Miss Stephenson disant qu'on ne peut pas reconnaître un Enfant de l'Aube à part lorsqu'il use de ses pouvoirs ?
Je ne réponds pas. Mais consent.
- Eh bien, c'est presque la vérité. Les Enfants de l'Aube possèdent un magnétisme assez... Abstrait je dois dire. On ne peut pas savoir de quoi il s'agit tant qu'on ne l'a pas ressenti, c'est pour ça qu'on ne l'enseigne pas aux élèves.
Là, Banner se retourne face à moi. Il plonge ses yeux sombres dans les miens, et achève :
- Mais lorsque l'on se retrouve face à l'un d'entre eux et qu'il nous regarde droit dans les yeux, on ressent ce magnétisme. L'effet est fulgurant.
Je passe une main sur l'une de mes mèches blondes échappées de ma couette, et je la glisse derrière mon oreille.
- Sont-ils... Tous des monstres ? Je m'enquis.
Banner hausse les épaules.
- C'est difficile à dire. Tous ceux que nous avons arrêté et interrogés, oui, ils l'étaient. Mais le seront-ils toujours ? C'est impossible à dire.
Et en attendant, ils ne peuvent pas se permettre de risquer la mort de millions de personnes, comme cela est arrivé avec William. Alors il vaut mieux les capturer avant que quoique ce soit ne puisse arriver, c'est logique.
- Celui-là, je dis en pensant à l'homme aux yeux d'émeraude. C'est celui qui a trente-huit ans ? Qui n'avait jamais été attrapé par la Confrérie ?
Banner pose son regard bienveillant sur moi, et fronce ses sourcils broussailleux.
- Tu es au courant alors... Oui, c'est lui. Il semblerait que Morgane l'ait trouvé.
- N'est-ce pas dangereux de l'amener ainsi à l'Etoile ? Il pourrait se servir de ses pouvoirs afin de nous détruire, ou tout simplement de s'échapper...
- Ne t'inquiète pas pour ça, me rassure Banner. La Confrérie a des procédures. Ils ont dû le trouver endormi, c'est souvent comme ça que l'Ordre parvient à arrêter les Enfants de l'Aube. Ensuite, ils ont dû lui injecter une quantité suffisante de laudanum pour qu'il soit trop faible et brumeux pour utiliser ses dons.
D'où l'aspect à la fois brillant et fantomatique de ses yeux d'émeraude. Il était drogué, et donc pas vraiment à même de réfléchir... Mais son sourire, la lueur dans son regard...
Je ne peux pas les effacer de ma mémoire. Je n'avais jamais vu une expression pareille sur un visage, et je suis incapable de savoir comment je suis censé l'interpréter.
- Qu'est-ce que la Confrérie va en faire ? Je m'enquis.
Banner détourne à nouveau le regard, cette fois pour regarder le ciel.
- Ça je n'en sais rien. Je crois que c'est classé secret d'état, tout ce que je sais c'est qu'ils l'enferment dans les prisons des sous-sols de l'Etoile.
Les prisons de l'Etoile.
Ces paroles s'impriment dans mon esprit comme de l'encre indélébile.
***
Les jours défilent. Ils se ressemblent tous, ils sont sans saveurs et excentricités.
Je suis les cours, assiste à la moitié d'entre eux, et rejoint parfois Abigaël lors de balades nocturnes. Nous nous promenons, discutons, nous embrassons. De petits moments agréables.
Je l'affectionne beaucoup. Elle est gentille, à l'écoute, fidèle et attentionnée.
Mais je ne l'aime pas. Je ne sais pas ce qu'est l'amour, mais ce n'est pas ça. Jamais je ne tuerai pour elle, jamais je ne me mettrais en danger pour la protéger, je pense rarement à elle et mon cœur ne s'accélère jamais à ses côtés.
Je n'ai bien sûr jamais ressenti ces choses-là, mais je me souviens d'un cours de Miss Sardagna sur la séduction en société, qui avait évoqué toutes ces choses qui me paraissent si abstraites.
En fait, pendant cette longue semaine au cours de laquelle j'attends ma Décision, je n'ai pensé qu'à une chose. L'homme aux yeux d'émeraude, à la grande balafre divisant son visage en diagonale, à l'avant dernier Enfant de l'Aube.
Est-ce qu'il va bien ? J'ignore pourquoi, mais cette question me taraude. Je n'ai pas pu effacer le regard qu'il m'a lancé de ma mémoire, malgré tous mes efforts. Pourtant, je sais ce qu'il est. Je sais de quoi il est capable, et rien que de penser qu'il puisse s'immiscer dans mon esprit me fait froid dans le dos.
Mais, il y avait ce quelque chose. Ce semblant de liberté perdue dans ses yeux, cette soif de découverte, d'aventures. Ce que j'ai toujours cherché depuis ma naissance. Et ça m'attire.
- Timothée.
Je sursaute à l'entente de mon prénom complet. Il n'y a qu'une seule personne qui m'appelle Timothée.
Je tourne la tête, face à ma mère. Droite, élégante avec son tailleur et sa longue cape d'un bleu marine, même couleur que ses yeux et plus foncés que les miens. Ses longs cils balaient son visage avec douceur, retenue, tandis que ses sourcils parfaitement dessinés s'arquent à ma vue. Ses mèches blondes s'échappent de sa longue natte ramenée sur le côté de son visage, et sa peau pâle est à peine maquillée.
Ma mère est très belle, on l'a souvent dit. Elle dégage un charisme attrayant, qui fait qu'on aime poser les yeux sur elle. On m'a souvent dit que je lui ressemblais plus qu'à mon père, alors même que je ne possède ni son charisme, ni son nez légèrement aquilin, tout juste ce qu'il faut.
Assis sur l'une des chaises de la bibliothèque, je me redresse face à Mère. Je sais rarement comment me comporter face à elle, elle est à la fois très douce et froide. Un mélange surprenant que je ne sais rarement interpréter.
Je ne réponds pas, et attends qu'elle se prononce. Son regard me sonde.
- Ta cérémonie de Décision se tiendra demain, à dix heures du matin.
J'étais déjà au courant, mais je crois qu'il est inutile de le lui faire remarquer. Me taire est sans doute la meilleure solution, je crains trop sa réaction si je dois me rebeller face à elle.
- Miss Pommeliez s'occupera de ton apparence, tâche de ne pas lui faire obstacle.
Qu'il serait embêtant si je décidais justement de couper mes cheveux demain, juste avant la cérémonie. Cette idée me fait sourire.
Mère s'en aperçoit, et esquisse elle aussi un sourire en s'en méprenant sur les raisons.
- Heureuse que cette cérémonie éveille en toi un peu d'entrain. Ce n'est pas ce que tu as semblé montré en cours ces dernières semaines.
Suis-je censé me défendre ? De toute évidence non je crois, je suis en tort de toute manière. Et quel dommage.
Mère me toise de toute sa hauteur, et plisse les yeux.
- As-tu la totalité du déroulement de la cérémonie en tête ?
- Oui Mère, j'acquiesce.
- Bien. Abigaël sera présente, au même rang que ton père et moi. Elle te fera honneur également. T'avoir fiancé à elle est sans doute l'une des meilleures décisions que ton père et moi avons pu prendre pour toi.
Sans doute.
Voyant que je ne réponds pas, ma mère m'observe une dernière fois, puis se retourne. Elle s'apprête à partir, quand pris par une impulsion, je lance dans son dos :
- Qu'allez-vous faire de l'Enfant de l'Aube que vous avez capturé ?
Ma mère s'arrête, et sa longue cape ondule quelques instants sur ses chevilles dans un sursaut. Figée dos à moi, je sens que ma question la tend.
Elle se retourne enfin, et dans son regard je vois un mélange de colère, certainement contre Père de m'avoir fait part de leurs décisions, et d'appréhension, sans doute face à ce qu'elle doit me répondre.
- Ce ne sont pas des choses dont on discute dans une bibliothèque, finit-elle par dire.
Je sens bien qu'elle n'a pas du tout envie d'en discuter, que ce soit dans une bibliothèque ou non.
J'ose :
- Pourrait-on en discuter ailleurs dans ce cas ?
Elle me jauge. Juge si je suis apte à entendre ce qu'elle s'apprête à dire.
Mais finalement, elle hoche la tête, et s'éloigne. Je la suis, comprenant qu'elle désire que j'en fasse ainsi.
Nous marchons ainsi jusqu'à son propre bureau, et une fois à l'intérieur, elle demande de but en blanc :
- Pourquoi désires-tu en savoir plus à ce sujet ?
- Un jour sûrement, je dirigerais la Confrérie. Je crois que je dois m'adapter aux réformes qui m'attendent, et aux changements que ma condition va impliquer. Je crois que plus tôt je serais initié aux problèmes auxquels vous faîtes face, mieux ce sera.
Mère acquiesce, visiblement pas contre l'idée.
Elle lâche :
- Nous allons tenter de l'interroger sur ce qu'il sait du prochain Enfant de l'Aube. Mais cela reste complexe dans la mesure ou le laudanum brouille ses pensées. Nous ne pouvons cependant pas prendre le risque qu'il utilise ses pouvoirs contre nous, il pourrait totalement nous forcer à ouvrir la porte de sa prison pour s'échapper simplement par la force de sa pensée. Seuls les plus téméraires des forces de l'Ordre osent s'approcher de sa cellule, elle est fortement barricadée. Pour l'instant, nous nous contentons de le garder et de l'interroger. Ensuite, nous aviserons.
Je ne réponds pas. Si l'homme aux yeux d'émeraude est capable de forcer un garde à ouvrir la porte pour lui, qu'arriverai-il ?
Mère semble sentir dans mes yeux l'inquiétude, alors elle me rassure :
- Ne t'en fais pas, nous avons déjà testé ces méthodes sur d'anciens Enfant de l'Aube. Le laudanum est puissant, et a des effets immédiats sur leurs capacités. Tant qu'il en aura dans le sang, il sera incapable d'utiliser totalement ses pouvoirs, quand bien même ses pensées seraient à peu près claires.
Plongé dans mes pensées, je ne réponds pas. Mère pose alors sur moi un regard affectueux, que je ne lui vois que rarement. Elle pose sa main sur mon épaule dans un geste de tendresse.
- Mais ne t'en préoccupes pas pour le moment. Tu auras bien le temps de te préparer à tous ces tracas. Pour l'instant, ne penses qu'à ta cérémonie de demain, cela suffira.
Je suis toujours surpris lorsque la tendresse maternelle de ma mère refait surface. Elle n'en est pas accoutumée, de mes deux parents c'est toujours que Père que j'ai trouvé le plus sympathique, le plus protecteur avec moi. Et lorsque Mère se laisse aller à ses vieux réflexes maternels je suis toujours perturbé, comme si elle cachait quelque chose derrière ses gestes.
Je redresse la tête, et acquiesce d'un mouvement hésitant.
Je ne sais pas de quoi sera fait demain, mais je ne sais pas non plus si j'ai hâte de le savoir.
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