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⚜ XX ⚜

Jungmo guida Hyeongjun jusqu'à un grand fauteuil près de la cheminée dans le bureau de la directrice. Cette dernière les précédait et avait fait demandé à manger pour eux trois.

« Je vais devoir vous avoir plus à l'œil mon cher, dit madame Koo d'un ton léger. Je ne pensais pas que vous vous battriez avec vos camarades.

— Ce n'est pas vraiment de ma faute madame.

— Que s'est-il passé exactement ? »

Hyeongjun hésita un instant, il ne savait pas par où commencer, ou si même il devait tout raconter à la directrice, mais le regard insistant de son ami jungmo le décida. S'il y avait bien une personne qui pouvait l'aider, c'était elle. Il prit une grande inspiration et fit un rapport détaillé de ce qui s'était passé un peu plus tôt. Il s'attendait à ce que ses souvenirs lui fussent plus douloureux, mais la seule chose qui lui faisait mal à l'instant était sa mâchoire. Sa lèvre était fendue et il sentait le goût du sang envahir sa bouche alors qu'il terminait son récit.

« Les fougues de la jeunesse... Hyeongjun, si nous te gardons ainsi dans le secret c'est seulement car je ne pensai pas bon de te révéler la vérité concernant les événements sur l'île du prophète.

— Je vous en prie... dites-moi tout ce que vous savez à mon sujet. Je ne peux plus vivre dans l'ignorance...

— Crois-moi Hyeongjun j'aimerai vraiment pouvoir tout te dire, mais malheureusement nous n'en savons que très peu et tu es peut-être celui de nous qui en sait le plus.

— Alors dites-moi au moins ce que vous savez et je vous direz ce que je sais.

— Tu es sûr de vouloir entrer dans ce sujet ? Peut-être devrions-nous attendr-

— J'en ai marre d'attendre, je vous en prie, dites moi tout. »

Nami Koo, la directrice, s'installa dans un des grands fauteuils faisant face à Hyeongjun et fit signe à Jungmo de quitter la pièce. Mais Hyeongjun ne voulait pas que ce dernier ne s'éloigne, le savoir près de lui rendrait toute révélation plus facile à encaisser. De plus, il n'avait rien à lui cacher.

« Je préférerais qu'il reste, avoua Hyeongjun.

— Je n'y vois pas d'inconvénient, assieds-toi Jungmo. »

Ce dernier s'installa donc sur un des tabourets et accorda un large sourire au plus jeune.
Madame Koo ne perdit pas de temps et commença directement le récit de ce qu'elle savait.

« Je ne sais pas trop pas où commencer car les événements étranges qui nous mêne à aujourd'hui remonte à plusieurs années... Depuis dix ans environ, d'étranges phénomènes se produisent sur l'ensemble du continent et semble se répandre depuis le sud-est, Firis a été le pays à avoir été touché en premier.

— Quel genre de phénomènes ? Demanda Hyeongjun, attentif.

— Des attaques. Parfois, il s'agit de créatures monstrueuses, parfois de sorcières. Malheureusement, très peu sont ceux qui ont eut la chance d'en sortir vivant.

— Mais si cela dure depuis si longtemps pourquoi ne rien faire pour les empêcher ?

— Les attaques sont purement aléatoires et il peut se passer plusieurs années sans qu'aucune n'ait lieu. Cependant, depuis quelques mois les attaques semblent se multiplier. Nous ne savons toujours pas ce qui les cause, ni ce qui est visé. Le roi et la reine soupçonnent fortement le gouvernement de Kanko d'être derrière tout ça, mais d'où sortiraient-ils pareilles armes. Kanko n'est pas un pays de mages. Là-bas posséder cet art est une infamie alors utiliser des créatures magiques pour se battre semble ne pas correspondre à leurs idéaux. »

Hyeongjun resta silencieux, la suite était logique.

« Comme vous l'avez sûrement compris, l'île du prophète a été victime de l'une de ces attaques. Les créatures seraient apparues sur le mont Dula et ont attaqué la tribu des Kachkanies... Je suis désolée Hyeongjun. »

Le plus jeune baissa la tête, la suite il la connaissait. Mais les souvenirs étaient difficiles à supporter. Bien que le plus gros de la douleur lui fut enlevé par Serim, il savait qu'il serait compliqué d'en parler. Heureusement, Nami reprit la parole.

« Nous avions capté la fluctuation typique d'Elkiris précédant une attaque, cependant elle était si infime que nous ne pouvions la localiser avec précision... La nuit du drame, ce que je m'apprête à vous dire est une information confidentielle et seul le prince peut-être au courant. Bien entendu, Hyeongjun tu es concerné et Jungmo, il me semble que ton père t'a déjà mis dans la confidence.

— Oui.

— Poursuivez, madame, s'il vous plait, supplia Hyeongjun pour toute réponse. »

Malheureusement, on leur porta le petit-déjeuner au même moment. Nami congédia rapidement le domestique et servi une tasse de thé chaud à ses élèves. Mais Hyeongjun n'en pouvait plus d'attendre et pressa la directrice de reprendre son récit.

« Donc je disais, elle baissa le ton, la nuit du drame, nous avons constaté un puissant pic dans la magie d'Elkiris, comme si tout à coup l'énergie de la déesse s'était remplie. Nous avons rapidement pu détecter sa provenance... Nous pensons que ce pic a été causé par toi Hyeongjun. Nous ignorons comment ni pourquoi la magie réagit de la sorte. Aujourd'hui, grâce aux recherches que ta présence ici nous à permise, nous savons que tes pouvoirs fonctionne différemment des nôtres. Il semblerait que... »

Elle marqua une longue pause comme si elle ne savait pas comment continuer sa phrase.

« C'est comme si tu... Comme si lorsque tu utilises tes pouvoirs, au lieu de consommer de l'énergie d'Elkiris, tu en créé.

— Mais c'est impossible, s'écria Jugmo.

— Pourtant, c'est ce que nous avons constaté. Depuis que Hyeongjun est ici les racines de Lyrim n'ont jamais été aussi pleine de magie. Le duel avec Siyeon a créé un pic, petit certes, mais un pic dans le flot d'Elkiris. Et ce matin, qui n'a pas entendu les pleurs de la fondatrice ?

— Attendez... Je ne comprends pas... Vous saviez qu'une attaque aurait lieu et vous n'avez rien fait pour l'empêcher ?!

— Nous ne pouvions prédire où l'attaque aurait lieu, le flux était bien trop faible. C'est un fléau, et ce depuis toutes ces années... Nous ne pouvons les empêcher, seulement en ramasser les morceaux.

— J'ai tout de même du mal à vous croire. Je les ai vues ces monstruosités, elles ne peuvent pas apparaître de nulle part.

— Malheureusement si... Leur magie est étrange et ne correspond à rien de ce que nous connaissons, il est probable qu'elles soient créées sur place ou bien que l'auteur des attaques dispose de moyens que nous ne pouvons qu'imaginer.

Tous restèrent silencieux, les yeux rivés sur les flammes qui dansaient dans l'âtre. Beaucoup de choses se bousculaient dans l'esprit de Hyeongjun, les souvenirs terribles de ce qu'il s'était passés, sa magie, les créatures, la voix dans sa tête, Kanko, Elkiris.

« Nami, interrogea Jungmo, qu'était-ce que ces cris ce matin ? On aurait dit qu'il raisonnait à même mes veines...

— C'était très probablement Lyrim.

— Non, c'était moi, avoua Hyeongjun. »

Il ignorait comment il pouvait en être aussi certain mais il n'avait aucun doute quant au fait qu'il fût l'auteur de ces « cris ».

« Hyeongjun ? Toi ? Comment ? S'étonna la directrice.

— Comment, je ne sais pas mais ce sont mes souvenirs de cette fameuse nuit. J'en ai la certitude. Il est peut-être temps que j'explique ce que j'ai vu ce soir-là. »

Le plus jeune prit une grande inspiration alors que ses sens se brouillaient. Il se sentait replonger dans la souffrance et l'abandon, mais cette fois, il savait qu'il ne risquait plus rien. Ce n'était que des souvenirs. Il prit la main de son ami pour trouver en lui le courage nécessaire.

« Peut-être devrais-je vous montrer, les mots ne suffiront jamais. »

Il tendit son autre main vers madame Koo alors que les doigts de Jungmo se serraient autour des siens.

« Comment compte-tu nous montrer ? Demanda son ami.

— Je pense savoir comment le faire avec ma magie. »

Il regarda la directrice et elle glissa doucement sa main dans la sienne.

« Fait attention Hyeongjun, les souvenirs peuvent parfois nous perdre... »

Ils fermèrent tous trois les yeux. Hyeongjun sentais le flux doux et paisible de Jungmo glisser comme une brise légère contre lui, Nami quant à elle avait une énergie magique bien plus puissante et fougueuse mais aussi timide. Elle se retenait et ne voulait s'immerger totalement. Instinctivement, Hyeongjun les engloba de sa puissance les tirant dans son esprit avec une aisance déconcertante.

Il mit quelques secondes à trouver son souvenir, laissant à ses invités le loisir de jouir de sa vulnérabilité. Ils pouvaient tout voir de lui, de ses blessures de ses doutes. Il se sentit gêné, mais ignorait comment les en empêcher.
Finalement, il trouva la flammèche de douleur et s'y accrocha.

Ils furent projetés dans le passé. Une soirée calme sur le mont Dula.

Le soleil baissait lentement dans le ciel dégagé, teintant la neige de couleurs d'automne. Il faisait froid, mais on en avait l'habitude. Hyeongjun resserra son manteau en fourrure de mouton, regardant ses fidèles bêtes tranquillement paître les dernières herbes. Il allait les rassembler et les ramener à l'étable pour la nuit quand une voix familière l'interpella. Il se retourna et vit ses deux amis d'enfance Yena et Seungjin arriver vers lui avec un panier plein. Il voulut les rejoindre, mais Yena lui hurla de les attendre.

Peu de temps après les trois amis étaient en train de déguster les restes d'un repas encore chaud assis sur une vielle souche humide. Ce n'était pas très agréable, mais il passait du temps avec les gens qu'il aimait et pour rien au monde il n'aurait modifié ce souvenir.

Seulement, alors que le soleil disparaissait sous l'horizon et que les trois amis s'affairaient à rameuter les dernières bêtes, la terre se mit à trembler puis un cri monstrueux retenti. C'était un hurlement rauque, et râpeux provenant de plus bas, en direction des grottes où Hyeongjun et les siens avaient élu domicile.

La panique les submergea et alors que Seungjin ordonnait à Yena d'aller se cacher dans la forêt avec les moutons, Hyeongjun empoigna son poignard et se dépêcha sur une petite butte pour voir ce qui était en train de se passer. À ce même instant un autre cri monstrueux déchira le silence rapidement suivi d'autres beaucoup plus humains. Ce qu'il vit alors le pétrifia de terreur, une gigantesque silhouette difforme sortait des entrailles de la terre pour rejoindre sa jumelle qui se repaissait de la chaire de villageois qui n'avaient pas encore fuit. Il reconnu l'écharpe rouge vif qu'il avait offert à la petite sœur de Seungjin, coincée entre les doigts tordus du monstre.

Son coeur tomba dans son estomac mais il fut incapable du moindre mouvement, il ne pouvait que regarder le petit corps se balloter aux grès des mouvements saccadés et anormaux de la bêtes à la peau de pierre.

Son meilleur ami le rejoignit sur la colline et vit la même chose, mais prit dans un tourbillon de colère, il fonça vers le village.

Hyeongjun le regarda descendre la longe vallée. Il le regarda récupérer une lance sur le cadavre d'un de leurs pères et foncer vers la bête qui tenait sa sœur. Il le regarda briser son arme sur le flanc rocailleux du monstre. Et il regardait toujours quand il se fit écraser pitoyablement par l'une des pattes antérieures de la créature, colorant la neige de son sang.
Une part de lui, lui hurlait de faire quelque chose, de ne pas laisser ces meurtres impunis mais il était incapable de bouger.

Tout à coup, alors qu'une troisième créature sortait de terre, la première, celle qui avait tué les personnes à qui il tenait le plus tourna son regard reptilien vers lui. Ses prunelles se plongèrent dans les siennes et il sentit son corps trembler et vibrer comme jamais il ne l'avait fait. Il ressentait la faim immense de ces bêtes que la chair ne remplissait pas et il se sentait attiré par elles. Elles l'appelaient.

Son corps jusqu'ici immobile se mit à mouvoir contre sa volonté, il se voyait marcher lentement vers les bêtes alors que ces dernières ravageaient le seul endroit qu'il eut pu appeler « chez-moi ».

Ce ne fut que lorsque Mamie Baba l'attrapa par les épaules et lui ordonna de fuir qu'il revint à lui.

La vieille femme peinait à avancer et ses vieilles jambes ne la porteraient plus très longtemps mais elle avait pris la peine de venir vers lui pour le sauver. Il la regarda et agrippa son bras. Il ne pouvait pas la laisser mourir elle aussi.
Il la tira de toutes ses forces vers la forêt lui assurant que là-bas Yena pourrait l'aider.

Mais la bête les avait vus et mécontente de voir son repas s'enfuir se lança à leur poursuite. Ses pas lourd résonnaient derrière eux et Mamie Baba n'arrivait plus à suivre.
Tout à coup, la vieille se stoppa.

« Continue Hyeongjun ! Sauve toi, je la retarderai ! Je suis déjà trop vieille, fuis ! »

Mais il ne voulait plus voir un des siens mourir.

« Non, nous y sommes presque Mamie, la forêt est juste là, venez ! »

Seulement, la bête elle, ne s'était pas arrêtée et avançait vers eux plus vite que Hyeongjun ne l'aurait cru. Il la vit rugir et ressenti l'étendu de sa colère. Elle n'avait aucunement l'intention de les laisser s'en sortir vivants.

« NON, hurla-t-il, NOOON ! »

Mais s'était trop tard, la bête empoignait déjà la grand-mère dans l'une de ses mains bizarres et lui broyait les os.

En une fraction de seconde, il se sentit effroyablement calme face à l'horreur de ce qu'il voyait, mais un brasier naissait en lui, courant dans ses jambes et le long de ses bras. Il ne pouvait plus voir une seule personne mourir ! Une montagne de haine pris place dans son cœur empoisonnant ses veines d'un venin électrisant. Ses membres se mirent à trembler et alors qu'il regardait ses mains se couvrir de veinures luisantes, il se sentit submergé d'une force qu'il ne contrôlait pas.
Il leva son regard sur le monstre qui le regardait avec de grands yeux fascinés, avides, et affamés... Un instant plus tard, de gigantesques pics aveuglants sortirent du sol et embrochèrent la bête. Mais ça ne suffirait pas, il le savait, son cœur lui criait de ne pas la laisser faire.

Il poussa un hurlement déchirant en sentant tous les muscles don son corps se tendre dans un ultime effort. Les épieux magiques se mirent à luire et enfler avant d'exploser. La créature se déforma et fut déchiquetée en une centaine de petits morceaux brûlant comme de la lave. Hyeongjun fut éclaboussé de cendres visqueuses et bouillantes, mais il ne sentait ni la douleur ni la fatigue, seulement la haine.

Il regarda autour de lui, à bout de souffle. La neige avait été balayée par la déflagration et l'orée de la forêt prenait déjà feu. La première pensée qu'il eut fut dirigée vers son amie Yena. Se trouvait-elle en sécurité ?

Sans même un regard en arrière sur le cadavre du monstre en feu, il se précipita entre les arbres enflammés pour rejoindre son amie. Il ne tarda guère à retrouver les kachkanies survivants cachés dans un renfoncement rocheux au cœur de la forêt. Leurs pleurs apeurés et les marques au sol ne laissait que peu de doutes quant à leur position.

Il se dépêcha de les rejoindre, le coeur battant, espérant qu'ils soient nombreux à s'en être sortis. Il ne pouvait supporter d'autre morts.

Finalement, il arriva à l'entrée de la grotte. Les autres membres de la tribu étaient réunis en petits groupes chaotiques se serrant les uns contre les autres.

Il regarda autour de lui, les larmes aux yeux, mais ne remarqua aucune trace ni de son amie ni de ses bêtes. Son cœur se serra.

« Yena ?! Où est-elle ? »

Quelques hommes se tournèrent vers lui et poussèrent un cri de stupeur.

« Va t'en ! Hurla Nayeon assise près de lui.

— Monstre !

— Va t'en ! Fiche le camp d'ici ! Tu n'es qu'un monstre, cria Hanjin en brandissant son épée. »

Hyeongjun resta stupéfait. Pourquoi le rejetaient-ils d'un coup ? Il fit un pas en arrière.

« Que ? P-pourquoi ?

Fils du démon ! Nous n'aurions jamais dû t'accueillir chez-nous, ajouta mamie Bora avant de cracher devant elle.

Tout est de ta faute ! »

Miyeon lui jeta un caillou et tous se mirent à lui crier de partir, qu'il n'était qu'un monstre, qu'il les avait tous condamnés. Quand ils lui jetèrent ce qu'ils avaient à portée de main, il se vit contraint de reculer dans la froideur de la nuit sans comprendre la raison de leur soudain rejet.

Ils étaient sa famille, ses amis... Pourquoi le rejetaient-ils ainsi ? Comment ces événements pouvaient-ils être de son fait ?

Alors que ses pas s'enfonçaient dans la neige, il reçut un énième caillou qui le percuta à la tempe. Sonné, Hyeongjun tangua et se rattrapa à un arbre. Ce fut à ce même instant qu'il remarqua les veinures lumineuses qui courraient le long de ses bras ainsi que les gouttes brûlantes qui en découlaient.

« Qu'est-ce que ?! »

Il se frotta les mains frénétiquement pour en retirer cet étrange liquide, mais rien à faire. C'était sous sa peau.

Ses souvenirs devenaient bouillants de douleur et il força Jungmo et la directrice hors de son esprit.

Les trois restèrent immobiles et silencieux durant de longues minutes.

Jungmo voulut poser une main réconfortante sur le bras de son ami mais se ravisa face à la mine sombre du plus jeune.

« Pourquoi avoir arrêté le souvenir ici ? Que s'est-il passé après, demanda Nami les yeux pétillants de curiosité, qu'est-il advenu des autres créatures ? Tu n'étais pas proche de la grotte là où nous t'avons trouvé. Qu'est devenu ton amie ?»

Hyeongjun baissa la tête fixant ses mains liés. Aujourd'hui, plus aucune veine étrange ne parcourait sa peau. Il sentit sa gorge se nouer, son estomac se tordre et son cœur le tuer de chagrin.

« Elle est morte. »

Ses mots résonnèrent dans la pièce avec un écho bizarre.

« Je me souviens avoir perdu connaissance quelque temps. À mon réveil, j'ai poursuivi mes recherches sans me rendre compte de l'incendie que j'avais causé. J'ai couru dans la forêt en suivant mon instinct. Je devais la retrouver avant qu'elle ne se fasse tuer comme Seungjin... Lorsque je suis arrivé près de sa cachette, il était trop tard. Son corps gisait dans la neige aux pied d'un autre genre de ces créatures. Mes souvenirs sont flous à partir de ce moment-là... »

Sa gorge était si serrée, qu'il peinait à parler. Chaque mot était une torture.

« Je me souviens d'une rage extrême. D'une chaleur et je pense avoir créé une autre de ces explosions. Tout, même le corps de Yena, fut balayés autour de moi... puis... mes souvenirs ne me montrent que la forêt en feu, ces créatures immondes et les miens dévorés, mutilés ou... brûlés. »

« J'aurais aimé que ces souvenirs ne reviennent jamais à ma mémoire... »

Il prit une profonde inspiration les yeux clos, essayant de ne pas pleurer. Mais le chagrin ne lui laissa aucun répit et bientôt ses joues furent recouvertes de larmes.

Les deux autres eurent la décence de le laisser pleurer ses amis jusqu'à ce que ses larmes se tarissent.

Quand il fut enfin calmé, il voulut se lever pour quitter la pièce et retourner dans sa chambre, mais Nami posa une main douce sur son avant-bras.

« Reste un instant. »

Hyeongjun ne voulait pas. Sa mâchoire le faisait souffrir et son cœur lui déchirait la poitrine. Une colère brûlante lui tordait les entrailles. Il n'avait aucune envie de rester plus longtemps dans le bureau de la directrice. Cette dernière allait encore lui poser un tas de questions auxquelles il n'aurait que peu de réponses.

« Que voulez-vous de plus ? Demande-t-il sèchement.

— Restaurez-vous. Je vais vous laisser quelques instants. J'aurais probablement plus de questions à mon retour. S'il te plaît attends ici. »

Elle ne leur laissa pas le temps de répondre qu'elle quitta le bureau, passant par une porte sur le côté de la pièce. Les yeux du jeune mage glissèrent du plateau de nourriture au visage livide de son ami.

« Toi aussi, tu vas me traiter de monstre et t'enfuir ? Dit-il méchamment.

— Non. »

Le ton froid et dur de Jungmo surprit le plus jeune.

« Pourtant, c'est ce que je suis. Tu ne devrais pas rester près de moi.

— Ne dis pas de bêtises. »

Jungmo fronça les sourcils et se leva à son tour.

« Pourquoi nous avoir caché tout ça ?

— Je n'en avais presque aucun souvenirs Jungmo ! Ce sont... enfin... C'est la faute du prince si ces souvenirs me sont revenu.

— Je ne peux pas croire que tu ais oublié des événements pareils.

— Pourtant, c'est bien le cas !

— Comment aurais-tu pu oublier la mort de tes deux meilleurs amis ?! Sans parler du gigantesque incendie. Comment peut-on oublier ça ? »

S'il pensait avoir épuisé ses larmes, celles qui lui montèrent aux yeux lui prouvèrent le contraire. Les mots de Jungmo étaient d'une froideur poignante. Comme s'il n'avait pas assez souffert d'avoir recouvré la mémoire, il fallait qu'en plus son ami le plus proche lui reproche des choses sur lesquelles il n'avait aucun contrôle.

« Ne préférerais-tu pas oublier si demain, il t'arrivait la même chose ? Ne joue pas les hypocrites Jungmo. »

Le plus jeune serra les mâchoires le cœur en miettes.

« Je te pensais plus compréhensif... »

Et il quitta la pièce sans un regard en arrière pour son ami, ou du moins ce qu'il pensait être son ami. Peut-être Jungmo ne l'avait simplement jamais apprécié. Peut-être n'était-il proche de lui que sur ordre de sa tante et du Prince Serim.

Ses pas le guidèrent naturellement vers sa chambre. Il fut ravi de constater qu'elle était vide, les autres devaient être partis étudier. Ou bien devaient-ils être en train de discuter de sa folie. Il l'ignorait, mais n'en avait que faire.

Il prit son vieux sac en toile et voulu y fourrer ses affaires, mais se rendit vite compte qu'il n'avait plus rien. Seul son vieux gilet en laine de mouton encore taché restait là, dernier témoin d'une vie qu'il ne récupérerait jamais.

Il le prit entre ses mains regardant les bords brûlés ainsi que les tâches noirâtres et brunes qui le recouvrait. Du bout don son index il re-dessina une petite broderie que lui avait fait Yena.

À quoi bon partir d'ici ? De toute façon il n'avait nulle part où aller. N'importe où il irait, il resterai un monstre et un meurtrier. La brûlure de la douleur lui monta à la gorge et brouilla sa vue. Mais plus aucune larme ne coula. Il posa une main le gilet et se laissa submerger par ses émotions.

Doucement il senti la morsure d'Elkiris grimper de son estomac le long de son bras. Il sentit plus qu'il ne vit la chaleur des veines lumineuses sur sa peau et alors que la brûlure se répandait dans ses doigts, il regarda le gilet partir en fumée avec tout espoir de retrouver un jour les gens qu'il aimait.

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