La fin de l'après-midi approchait et aucun des gardes n'avait visiblement encore réussi à retrouver les héritiers d'Astra en fuite.

Aileen tentait de ne plus s'en préoccuper sans y parvenir, tachant de les oublier, sans pouvoir en détacher ses pensées paradoxalement.

Elle attendait dans son salon une visite qu'elle venait de demander mais appréhendait en même temps. Il ne s'écoula pas plus de dix minutes avant qu'un bruit à sa porte ne la tira de ses sombres pensées.

— Entrez !...

Le battant coulissa, ménageant un passage à son frère et la petite pupille qu'elle lui avait imposée. Pourquoi n'avait-elle jamais essayé de faire parler Cyndie ? Aileen en connaissait la raison même si elle essayait de se convaincre qu'il devait en exister une autre.

Cyndie était sa demi-sœur et même sans l'aimer elle tenait pour sacré les liens du sang.

L'enfant de douze ans entra en lui jetant un regard noir au passage avant d'aller s'asseoir dans le premier siège venu sans lui demander de permission.

James vint pour sa part embrasser sa sœur sur la joue avant de reculer et de lui demander :

— Je ne comprends rien à toute cette histoire... Ton garde du corps c'était le petit empereur ?

Aileen ne quittait pas du regard Cyndie et elle vit les yeux de l'enfant briller d'une lueur qui ressemblait à de la fierté et une joie de les voir tous déboussolés et perdus. La reine inclina la tête sans quitter la petite de son attention.

— Exactement et c'est pour cela que je t'ai demandé de venir. Cyndie tu devais l'avoir reconnu non ?

C'était encore si irréel qu'elle avait besoin de l'entendre de la bouche de cette gamine qui l'exaspérait... À sa grande surprise sa demi-sœur n'esquiva pas la question et répondit au contraire avec franchise en souriant d'un air froidement amusé.

— Evidemment que je le savais.

James qui était resté debout faillit s'étouffer sous l'effet de la surprise.

— Et tu n'as rien dit ?

La petite les regarda tour à tour l'un et l'autre avant de demander :

— J'aurais dû ? Vous ne m'avez posé aucune question. Et après tout c'est mon cousin donc je ne vois pas pour quelle raison j'aurais dû le faire envoyer en enfer ou dans vos prisons.

Aileen grimaça, songeant au fond d'elle-même qu'elle préférait encore l'enfant terrorisée de quelques années plus tôt à celle qu'elle avait devant les yeux, méchante et ironique. À moins que ce ne soit qu'un nouveau genre de défense ?

Mais la reine sentait dans son âme un désir qu'elle ne pouvait s'avouer en face : en apprendre plus sur celui qui était encore quelques heures plus tôt son mari pour toujours...

— Alors tu l'as bien connu dans les souterrains Cyndie ?

L'enfant lui adressa un sourire méfiant et parut chercher les yeux de James comme pour se rassurer. Comme quoi elle avait beau jouer à la grande fille sûre d'elle, elle désirait encore visiblement plus que tout l'approbation de ceux qu'elle aimait... Et Aileen songea qu'elle semblait s'être attachée à leur frère.

Dans un autre moment, cela aurait peut-être pu la rendre heureuse. Pas aujourd'hui. Toutes ses pensées allaient à la ruine de son bonheur qui semblait encore hier si certain et à ce jeune homme incroyable aux yeux d'or.

Cyndie la tira de ses pensées en se décidant à lui répondre :

— Rodolphe est sympa. Mais il est un peu trop lointain pour moi... J'ai une préférence pour ma cousine, Sibylle. Elle t'a échappée aussi d'ailleurs on dirait...

Aileen ne releva pas la provocation mais demanda le cœur soudain battant :

— Et cette histoire de mutation ? Les gardes racontent que Sibylle Astra peut se changer en un énorme loup...

La jeune femme ne pouvait imaginer que Rodolphe ait un métabolisme similaire. C'était tellement... impossible. On avait vu ces dernières années des manipulations génétiques impressionnantes mais une comme celle-ci ! Non, cela ce n'était pas imaginable...

Et pourtant elle avait vu de ses yeux les films des caméras de surveillance montrant la sœur de celui qu'elle aimait se transformant en un monstre...

Mais si Rodolphe était semblable, aussi terrifiant, cela changerait-il quelque chose à ses sentiments pour lui ?

La question resta en suspens dans son esprit tandis qu'elle reportait son attention sur son frère qui demandait à Cyndie :

— Alors ? Tu sais quoi de ces mutations ?

— Rien. Je n'étais pas au courant mais si je l'avais été de toute façon je ne vous l'aurais pas dit.

Elle parut soudain hésiter et murmura après s'être agitée sur son siège :

— À moins que...

Aileen échangea un regard avec James qui prit sur lui de relancer la gamine, usant de son habituel calme et de sa gentillesse :

— Quoi ? Qu'est-ce que tu veux ?

— Un programme de réhabilitation pour Sagan.

Aileen était trop plongée dans ses pensées qui s'évadaient déjà pour relever mais James s'exclama :

— Cyndie c'est impossible... Cela coûterait des milliards que l'AM.Erica ne peut pas se permettre de perdre en ce moment... Astra sera récupérable relativement facilement d'ici deux ou trois ans mais Sagan ? Jamais. Ou alors il faudrait déployer des moyens énormes que personne n'a actuellement...

L'enfant s'agita de nouveau sur son siège sans répondre et Aileen parvint à sortir de ses pensées, du souvenir si proche de Rodolphe, pour dévisager la petite blonde qu'elle avait en face d'elle.

Elle demanda d'une voix atone et froide :

— Que nous aurais-tu proposé en échange Cyndie ?

La cousine de l'empereur d'Astra releva des yeux vifs vers la jeune reine et lâcha d'un trait :

— Je vous offrirai mon concours pour avoir des informations sur les révoltés et le plan 439. Je peux aller aux réunions des enfants d'Astra... Je vous rapporterai tout ce que j'y apprendrai, y compris là où se trouve Rodolphe.

Une envie de se lever pour gifler l'enfant pris Aileen à la gorge et elle imagina la réaction du jeune homme s'il avait su que sa cousine était prête à le vendre pour une planète... qui n'était même pas vraiment la sienne puisque Cyndie avait pour père Orys d'Erica !

La jeune reine voulut répondre mais ne put le faire, prise de court par James plus rapide et qui n'avait pas à se débattre au milieu des mille doutes et angoisses qui l'envahissaient elle.

— Cyndie ! Tu peux nous aider gratuitement...

— Par amour ?

Le ton ironique de l'enfant blessa visiblement James mais il prit sur lui pour répondre plus froidement sans consulter sa sœur :

— Très bien. Et contre l'installation d'une petite colonie sur Sagan ? Pas la réhabilitation de la planète, juste celle d'une petite zone que tu choisirais ?

Aileen crut que son cœur allait s'arrêter de battre, suspendu à ce qu'allait répondre l'enfant. Non ! Il lui était intolérable de voir Rodolphe trahi ainsi... Tout son amour faisait monter en elle une peur affreuse qui atteint son paroxysme lorsque Cyndie acquiesça lentement avant de lâcher :

— Très bien. Cette colonie contre mon cousin et le plan 439.