Chapitre 8 - Autour d'une pinte
Adossée au mur, je cherchais une issue du regard, mais ces quatre hommes qui s'approchaient s'étaient assurés que je ne puisse pas fuir. Pourquoi me retrouvais-je toujours dans des ennuis pareils ?
« Je... Je ne suis pas intéressée ! tonnai-je d'une voix tremblante.
— On t'a pas demandé ton avis... gronda l'un d'eux en m'attrapant le bras.
— Eh ! Lâchez-moi ! criai-je en me débattant. Lâchez-moi ! »
Alors qu'un autre s'approchait, il s'effondra brusquement sur le sol, laissant apparaître une silhouette encapuchonnée derrière :
« Vous la touchez encore et je m'occupe de vous quatre, souffla une voix ferme et féminine.
— Un deuxième jouet ? s'esclaffa un homme. »
Il reçut un coup de poing fulgurant dans le visage, lui faisant lâcher mon bras.
« Je n'ai pas encore sorti mon arme, mais vous allez m'obliger à le faire... »
L'un d'eux tenta d'attraper le bras de ma sauveuse, mais elle s'écarta d'un pas agile avant de répliquer par un nouveau coup de poing qui fit craquer son nez. Le sang gicla sur le sol.
« Le prochain ? »
Le blessé asséna un coup de poing violent en direction du visage de l'encapuchonnée, mais elle lui attrapa le bras avant et le lui tordit jusqu'à ce qu'il s'agenouille, sous le regard médusé des autres hommes. De l'autre, elle sortit un poignard étincelant et le posa sur son avant-bras :
« Vous savez ce que je fais quand je trouve des types comme vous poser leurs mains sur une femme ? Je leur les coupe. Comme ça, je suis sûre qu'ils ne poseront plus jamais leurs sales doigts sur qui que ce soit. Une démonstration ?
— Non ! Pitié ! tonna celui qui était agenouillé.
— Pardon ? J'ai pas entendu ? »
Un sourire éclatant et terrifiant se dessina sur les lèvres de l'inconnue.
« Je suis désolé ! Pitié ! Je ne toucherai plus jamais de femmes ! On est désolés ! Pitié ! »
Elle rit sèchement, puis le relâcha en le repoussant. Il s'effondra sur le sol, et la jeune femme souffla :
« Allez, dégagez avant que je change d'avis. Tout de suite. »
Ils prirent leurs jambes à leur cou.
Je me tournai vers ma sauveuse qui rangeait son arme, encore sous le choc.
« Tu vas bien ? J'ai cru entendre que tu avais des ennuis, alors je me suis permise d'intervenir...
— O-Oui, merci beaucoup... »
Cette voix ferme et forte. Je la connaissais.
« Tu es trempée et tu as l'air perdue... qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? »
Elle fit tomber sa capuche, dévoilant une longue chevelure corbeau et ondulée. Ses yeux bruns m'observaient avec attention, les sourcils froncés. En retirant son manteau qu'elle passa autour de mes épaules, elle dévoila une chemise immaculée, une large ceinture brune à laquelle elle avait accroché quelques poignards, et un épais pantalon noir.
« Euh... c'est une longue histoire, bredouillai-je, intimidée. »
Elle dégageait une force et une prestance que je n'avais jamais trouvées chez une femme. Malgré les cernes qui peignaient son visage amaigri, elle semblait sûre d'elle et déterminée. J'avais la terrible impression de la reconnaître.
« M-Merci...
— Tu veux qu'on en discute dans un bar ? J'ai raté ma filature pour la soirée, alors...
— Oh... pardon, je suppose...
— Il peut attendre un jour de plus, il ne s'envolera pas, grogna-t-elle. Toi, ta vie aurait été brisée si je ne t'avais pas sortie de là. Donc ne t'excuse pas, sourit-elle finalement. »
Contrairement à tout à l'heure, je lisais de la douceur sur ses lèvres. Je hochai la tête. Elle me fit signe de la suivre d'un mouvement de main gracieux, et elle commença à marcher à l'opposé des ordures. Ses pas étaient silencieux, mais assurés. Les quelques lanternes qui traînaient ensoleillaient ses cheveux noirs qui dansaient dans son dos.
Tandis que je la suivais, elle m'expliquait :
« Je ne sais pas pourquoi tu t'es rendue là, mais tu es en plein dans Fontaine Noire. C'est mal famé par ici, tu sais ? Beaucoup de pirates et de brigands. Tu n'as pas eu de chance. Je suppose que tu t'es perdue ?
— Oui, je ne connais pas la capitale...
— J'ai voulu prendre un raccourci en passant par-là... Fiou, heureusement que je t'ai entendue. Et que tu es tombée sur une pirate sympathique, s'esclaffa-t-elle. »
J'avais peur de comprendre ce que je comprenais.
Je frissonnai en hochant la tête. Les talons de ses bottes claquaient les dalles à rythme régulier. Elle évita les journaux abandonnés sur le sol d'un mouvement de hanches, puis sauta par-dessus une cagette en morceaux avec l'agilité d'un félin.
« Au fait, comment tu t'appelles ?
— Cerise, et vous ?
— Tutoie-moi, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Hm... »
Elle se retourna un instant et m'observa de la tête aux pieds.
« Habituellement, je dirais Ermeline, mais tu n'as pas l'air méchante... disons Neven. »
Donc, la capitaine pirate qui avait massacré mon village... se tenait sous mes yeux. Et venait accessoirement de me sauver la mise. Je me sentais perdue et partagée.
« Tu vas bien ? T'es toute pâle. »
Elle s'arrêta et haussa un sourcil :
« Tu sais, ta tête me dit quelque chose. Je ne sais pas d'où je te connais, mais je t'ai déjà vue. »
Oh, oui, tu m'avais déjà vue. Elle haussa les épaules :
« Ça me reviendra autour d'un verre, il paraît que je ne réfléchis pas trop mal quand je bois, s'esclaffa-t-elle. »
Je hochai la tête.
À vrai dire, quelque chose me dérangeait. Tout indiquait qu'elle était Neven l'Écarlate, mais elle avait deux yeux... serait-ce un œil de verre ? Ce serait logique qu'elle joue avec son apparence pour infiltrer la capitale.
Dans tous les cas, je ne savais pas comment me comporter. Je savais de quoi elle était capable. Je pourrais mourir d'un coup de poignard si elle le décidait. Pourtant, elle m'aidait. Changerait-elle d'avis si je lui racontais que je venais d'Iridieu ? Quoiqu'elle m'avait aidée aussi...
Je n'en savais rien ! Je ne pouvais pas deviner ses pensées !
J'allais continuer de la suivre et de l'écouter. J'ignorais comment elle réagirait si je tentais de fuir. Je préférais ne pas me la mettre à dos : outre mes capacités minables, elle connaissait la ville mieux que moi.
Quelques instants plus tard, elle poussa une vieille porte grinçante d'un bar a priori nommé « Au Bon Matelot ». Des éclats de rire et de la chaleur nous accueillirent. Le lieu était animé par des musiciens, écoutés et applaudis par différents groupes d'hommes. Nous étions les seules femmes. La probable pirate regarda les alentours, puis jeta son dévolu sur une table à l'écart munie d'un canapé et de coussins. Installées l'une à côté de l'autre, elle se tourna vers moi, détaillant mon visage avec une grande attention. Elle cherchait à me reconnaître, je n'aimais pas du tout ça !
« Alors, que souhaitez-vous, mesdames ? questionna un petit bonhomme aux cheveux dispersés. »
Au vu de ses sourcils froncés, il n'était pas convaincu par notre présence, mais de l'or restait de l'or.
« Hum... pour moi, ce sera un cocktail au rhum. Surprenez-moi sur le reste. Et toi ? Tu veux une bière ? Un cocktail aussi, peut-être ? Ou un shot ? »
Alors qu'ils attendaient ma réponse, je bredouillai :
« Euh... je ne suis pas très... alcool.
— Oh, tu ne bois pas... »
À son visage surpris et peiné, je la devinais déçue.
« Vous avez quelque chose sans alcool ?
— C'est un bar, ici. Pas un salon de thé... »
Ma sauveuse leva les yeux au ciel :
« Allez, un cocktail également, mais allez-y doucement sur le rhum.
— Compris, je vous apporte ça. »
Le gérant partit et la jeune femme se tourna vers moi avec un sourire :
« Tu ne le sentiras même pas, et ça te détendra un peu. Alors, tu as eu des soucis ? Pourquoi tu es trempée ? »
La pirate – qui se trouvait à ma droite – semblait devoir tourner un peu plus la tête pour pouvoir m'observer correctement. Comme si sa vision était réduite. Comme si elle portait bien un œil de verre actuellement. Cela concorderait : une cicatrice barrait la partie gauche de son visage au niveau de son œil, striant même sa paupière.
« C'est une longue histoire...
— On a le temps pour. »
Je ne savais pas vraiment si je devais lui parler d'Iridieu. Elle s'en souvenait sans doute. Je ne voulais pas la confronter. Puis, je n'en étais pas capable.
À vrai dire, j'étais déchirée entre des émotions contraires. D'un côté, de la rancœur : elle avait bouleversé ma vie et celle du village, torturé des hommes, et indirectement tué mon père. De l'autre, elle n'avait pas hésité à me tirer d'un mauvais pas, et elle semblait vouloir s'occuper de moi. Pour ce soir, tout du moins.
« Hum... j'ai dû quitter mon village natal. »
Elle hocha la tête, le menton entre ses doigts. Elle était drôlement concentrée sur mon récit alors que je n'étais qu'une inconnue... lui faisais-je de la peine ?
« Je suis partie sur un voilier et je suis tombée sur un navire de Chasseurs de Sirènes. Ils m'ont ramenée à bord pour me sauver la vie. Le souci, c'est que l'un d'eux a cru que j'étais avec une sirène... alors, il m'a enfermée dans une cabine le dernier jour de la traversée. Ils voulaient me soutirer des informations, voire mêler le gouvernement à tout ça... j'ai réussi à fuir par le hublot, et j'ai fini à l'eau. Ils me cherchaient dans le port, alors j'ai fui dans la ville, mais je suis tombée sur ces types... et tu m'as sauvée.
— Eh bien... mouvementé, tout ça ! J'ai toujours trouvé ces Chasseurs totalement paranos, grommela-t-elle en levant les yeux au ciel. Ils voient un truc qui brille sous l'eau, et c'est fini, il y a forcément une sirène !
— Mesdames, vos boissons. »
L'homme posa nos deux pintes colorées de brun et agrémentées de fruits. Neven glissa quelques pièces d'or au serveur, puis attrapa son verre avec contentement. Une gorgée la fit sourire de plaisir, et je l'imitai. Le nez au-dessus du verre, je profitais de la légère odeur d'alcool qui s'en émanait, plutôt bien masquée par une tranche de citron et d'autres effluves plus douces.
Oh.
J'écarquillai les yeux. C'était bien meilleur que ce que j'imaginais. Elle avait raison, on sentait divers fruits tels que de l'ananas et de la mangue, mais pas l'alcool.
« Tu aimes ?
— Beaucoup, admis-je en souriant. »
Elle reposa son verre et reprit :
« Mais donc, qu'est-ce que tu vas faire, à présent ? Retourner à ton village ?
— Oh, non... je ne pense pas qu'on veuille de moi.
— Tu as de la famille ailleurs, alors ?
— Je voulais me rendre au niveau de la tête de l'Île du Poisson... »
Elle posa son menton entre ses doigts.
« Je crains que l'on n'y passe pas... Enfin, ça dépend des résultats de ma filature, et je pense encore devoir rester ici quelques jours pour l'intercepter, si ce n'est plus. »
Songeuse, elle fixait son grand verre coloré et agrémenté d'une rondelle de citron.
« Il faudrait te trouver un navire qui y parte.
— Prendre un petit voilier ne me dérange pas. Je crois que je préfère être seule...
— C'est très instable, rétorqua-t-elle. Il y a pas mal de tourbillons violents dans le coin. Sans parler de la traversée. Si tu es prise dans une tempête ou un quelconque courant qui te jette sur un rocher, c'est foutu pour toi.
— Je suis sûre de pouvoir me débrouiller, assurai-je. »
Avec Corail, en tout cas.
Elle haussa un sourcil :
« Ce serait t'envoyer mourir. Je sais que quelqu'un a déjà fait une longue traversée en barque jusqu'au Repaire des Pirates, mais il a été très chanceux... »
Elle regarda ailleurs pendant un instant, visiblement perdue dans ses pensées. Elle se retourna vers moi, le visage plus détendu :
« Donc, je pense que tu devrais te joindre à un équipage...
— Je peux vraiment me débrouiller sur un voilier. »
Elle haussa à nouveau un sourcil :
« Soit... il te faut des rations et de l'eau pour la traversée. Une carte et un compas pour te repérer. De quoi te couvrir et te réchauffer. Tu n'as rien sur toi ?
— Euh... je peux vendre ce collier, murmurai-je en ressortant délicatement le pendentif. »
Ses yeux brillèrent d'intérêt en observant la goutte en saphir.
« Il vient d'où ? Range-le vite, on est dans un quartier de pourritures, souffla-t-elle. »
Je le cachai à nouveau, puis répondis :
« C'est un ami de mon village qui me l'a offert. Il l'a obtenu le jour de mon départ. »
Elle poussa un léger soupir et but une gorgée de son cocktail :
« Tu viens d'Iridieu, c'est ça ? C'est toi que j'ai vue dans cette grotte ? »
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