Chapitre 4 - Fuir 2/2
Le soir, sous la lune, j'étais recroquevillée dans le navire, gelée face aux assauts des vents. Les embruns qui s'échouaient sur mon corps ne m'aidaient pas à me réchauffer. Je tremblais, soufflant sur mes mains pour espérer gagner un peu de chaleur.
Corail continuait de guider le navire en me parlant. Elle avait eu l'air à nouveau peinée en me voyant gelée sur le bois. Elle avait tendu la main avant de se rappeler qu'elle ne pouvait rien pour moi.
« Il fait t-toujours aussi froid ? La nuit ?
— Je ne sens pas ce froid... mais je suppose que oui. Tu tiens le coup ?
— Je sais pas... »
Je commençais à avoir faim et soif. Or, je n'avais rien pu emporter avec moi. Je me demandais si je pourrais tenir le coup jusqu'à la destination. Certainement pas.
Je n'eus pas la force de prévenir Corail tout de suite. J'étais dévastée et épuisée. Comme si la mer s'était jetée sur mon corps et m'avait tout pris. Comme si elle n'avait laissé qu'une plage nettoyée de tout coquillage, caillou ou algue. Comme si je n'étais plus qu'une coquille vide.
Je reniflai. Les étoiles brillaient fort ce soir. Certains disaient que nos morts rejoignaient les cieux pour nous surveiller d'en haut. D'autres clamaient que les âmes s'endormaient sur les vagues, bercées et protégées par Nelone, comme une véritable mère pour les morts.
Est-ce que papa dérivait sur les flots actuellement ?
Est-ce que Nelone existait ?
Les sirènes, oui...
Mais lui ?
Si c'était le cas... alors Nelone n'avait pas aidé maman lors du naufrage. Pourquoi était-elle la seule à ne pas avoir survécu ? Elle avait fait de son mieux pour croire en lui... avait-il jugé que ce n'était pas suffisant ?
Pourquoi était-ce si injuste ?
En tout cas, cela faisait longtemps que les croyants ne laissaient plus les morts dériver à la mer. D'une, ils craignaient que les femmes se transforment en sirènes. De deux, ils ne voulaient pas nourrir ces dernières, qui seraient réputées pour dévorer les cadavres. Pour les malheureux qui mourraient en pleine mer, on m'avait toujours tonné de dire « Que les vagues les bercent pour un repos éternel ». Une façon douce de quémander à ce que la personne ne se transforme pas en sirène pour que son âme puisse voguer là où elle le souhaitait... mais aussi de protéger le corps des éventuels charognards afin qu'ils reposent en paix.
Des larmes roulèrent sur mes joues.
Papa, merci de m'avoir protégée. J'aurais voulu qu'on ne se dispute pas, hier. Mais la vie que tu m'as offerte pour que je puisse fuir est sans doute l'une des plus fortes et cruelles preuves d'amour possible. Moi aussi je t'aime, papa. Je t'ai ai longtemps voulu à cause de tout ce mutisme, de ce silence dans lequel j'ai dû me muer car mes mots ne pouvaient pas être recueillis, mais tu es pardonné. J'espère que tu reposeras en paix, que tu sois dans les cieux, dans le sol, ou sur les vagues.
Je posai la main sur mon cœur qui tambourinait. Ma vision était floue à cause des gouttes qui filaient sur ma peau. J'inspirai longuement.
Un frisson déchira mon échine. Je me recroquevillai sur moi-même. Le froid léchait mon corps et ne me laissait aucun répit. J'étais bien piètre avec cette petite robe blanche tachée de sang, en partie trempée par les gerbes d'eau glacée qui m'atteignaient.
« Tiens le coup, ma belle ! »
Je souris tristement. Au moins, je n'étais pas seule. J'avais de la chance que Corail soit avec moi.
Je me tournai sur le côté, essayant de me reposer, roulée en boule pour me réchauffer.
La nuit fut affreusement longue. J'avais tremblé tout le long, et pendant le seul moment où j'avais réussi à m'endormir, il avait fallu que je reçoive de l'eau sur le visage. Évidemment.
Je soufflai sur mes mains gelées, toujours repliée sur moi-même, et lorsque j'en trouvai le courage, je poussai sur mes bras pour m'asseoir. Jambes serrées l'une contre l'autre, je contemplais le lever du soleil qui peignait la mer de flammes rayonnantes.
« Woh, t'as une sale tête ! »
Je jetai un regard assassin à Corail.
« Enfin, tu... hum... »
Elle sembla réfléchir... pour soupirer :
« Nan, j'ai rien pour me rattraper. »
Je souris malgré moi. Elle et sa délicatesse... elle avait fait attention hier, mais les mots étaient sortis tout seuls ce matin.
Néanmoins, ne serait-ce qu'en touchant mon visage, je compris que des cernes l'avaient creusé. J'éternuai. Et j'avais sans doute pris froid. Pas étonnant. Entre les vents de cette nuit, la mer, le fait que la robe descendait à peine sous mes genoux et que je n'avais pas de manches... c'était peine perdue.
Mes lèvres et ma gorge étaient sèches. J'avalai ma salive, en vain.
« Tu as besoin de manger ?
— J'ai faim et soif, concédai-je. »
Le navire s'arrêta quelque peu.
« Je peux t'attraper du poisson, mais l'eau... ça va être compliqué.
— Tu es sûre que je peux le manger cru ?
— Euh... plus ou moins. »
Je fronçai les sourcils. Je n'étais pas rassurée. Est-ce qu'une ration de poisson valait le coup de tomber malade en pleine mer ?
« Sinon, il faudrait qu'on s'arrête quelque part où tu pourrais faire cuire ton poisson. Et peut-être trouver de l'eau potable... »
Et surtout, trouver de l'eau potable.
« Je pense qu'on n'est pas très loin de la Côte en Demi-Lune...
— On ferait machine arrière, non ?
— Sinon, il y a le Repaire des Pirates... »
Je frissonnai. Risquer de revoir ce démon de Neven l'Écarlate ? Non, certainement pas...
« La Côte en Demi-Lune, c'est très bien, murmurai-je. »
Puis, je ne savais ce que je risquais en mettant pied sur ce micro-archipel que formait le Repaire des Pirates. J'étais une jeune fille, et j'étais certaine qu'ils ne pouvaient pas souvent prendre du bon temps...
Je secouai la tête pour disperser ces images désagréables de mon esprit.
« On y est pour combien de temps ? questionnai-je.
— Ce soir, si tout va bien. Tu tiens le coup ?
— Comme je peux...
— C'est si faible, un corps d'humain, grommela la sirène.
— Mais tu n'as pas faim, toi ?
— Je peux encore avancer. Je me nourrirai ce soir. Je suis bien plus en forme que toi, je suis dans mon élément, je te rappelle, rit-elle. »
Elle jeta un regard en coin vers moi, puis leva les yeux au ciel :
« Être un poisson... ça a des avantages ! »
Je souris à mon tour :
« Donc je peux te traiter...
— Non, petit sanglier. »
J'aurais essayé.
La journée se déroula lentement. En milieu d'après-midi, je n'avais plus froid. Le soleil me tapait dessus. Un peu trop, d'ailleurs. J'essayais de me mettre à l'ombre grâce à la voile, mais des rayons brûlants m'atteignaient toujours. J'avais chaud, faim, et soif. Je me sentais épuisée, mes muscles étaient douloureux et raidis, j'avais mal de partout, mais j'avais beau somnoler, je n'arrivais pas à m'endormir.
Le sang sur ma peau avait séché, et des nuances de rouge m'habillaient désormais. Je ne devais pas ressembler à grand-chose. Est-ce que je pourrais effrayer des personnes ? Pourraient-ils imaginer que j'étais une sorte de sirène ?
Je soupirai. Vraiment, terrible idée...
« Cerise, m'interpella Corail.
— Hum ?
— Il y a un bateau, au loin... »
Je me tournai et plissai les yeux, la main en visière. Oui, c'était un petit voilier, quoique bien plus grand que le nôtre. Au moins huit mètres de long. Il était en bois. Un filet était lâché à l'arrière du navire, tiré par ce dernier. Je plissai encore les yeux. Quelque chose était peint sur le côté. Des lettres.
Chasseurs de Sirènes
Hello, hello !
Juste pour vous prévenir que "Les Embruns de la Vérité" vont passer à 1 publication par semaine (jeudi, 10h). C'est plus simple à gérer pour moi comme j'ai beaucoup de projets qui gravitent !
Voilà, voilà, à la semaine prochaine ! :)
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