Chapitre 4 - Fuir 1/2
Le visage humide, plein de sueur et de larmes, je fis un pas en arrière. Puis un autre. Je passai le pas de la porte, fixant le tueur qui tremblait de tout son long.
Lorsqu'un rayon de soleil me tomba dessus, mes poils se hérissèrent.
Fuis !
Je me retournai, le souffle haletant, et courus. Je contournai le puits mais glissai sur les viscères d'un malheureux, tombant à genoux dans le sang et les entrailles, et je gémis de terreur et de larmes. Je me redressai, les mains en sang, et je m'enfuis à nouveau. Vite. Loin. Le plus loin possible.
Pourquoi ? Pourquoi ?
Je ne savais pas où j'allais. Je voyais trouble.
Je savais juste que je devais fuir. Fuir. Fuir !
« Cerise ! »
Cette voix si douce.
Je me retournai, dégoulinante de sang, le visage pétrifié par l'horreur.
Alexandre me regardait, les yeux larmoyants.
« Tu t'es fait mal ? Qu'est-ce qu'il se passe ? J'ai peur...
— R-Rentre chez toi, Alexandre... »
Il ne devait pas voir la dépouille de son père. Je ne voulais pas qu'il soit traumatisé.
Pas comme moi.
Pitié.
« Mais...
— Rentre chez toi ! criai-je, nerveuse. »
Il écarquilla ses grands yeux verts, et des larmes coulèrent sur ses joues rougies. Je voulus le réconforter, mais en voyant mes mains pleines de sang, je me crispai.
« Eh... rentre chez toi... ta maman va arriver...
— Tu viens avec moi ? »
Je pleurai à mon tour. Non, ce n'était plus chez moi, ce village. La seule ancre qui me retenait encore venait de couler au fond de la mer, attaches brisées. Je ne pouvais plus rester ici.
« Non... il faut que je parte. Je suis désolée...
— Tu viens demain ?
— Non... Je reviens plus. Je dois partir... »
Il sanglota de plus belle.
« Mais Cerise...
— Je suis désolée, pleurai-je en posant ma main pleine de sang sur sa joue. Je peux pas rester. Il faut que je parte. Très vite. »
Sans que je ne puisse l'en empêcher, il se jeta contre moi, tachant son visage et ses vêtements de rouge.
« Je t'aime... »
Je passai ma main dans ses cheveux frisés :
« Moi aussi... je t'aime très, très, très fort. Plus que tout... »
Il se détacha de moi à contrecœur, j'avais senti ses petits doigts se crisper dans mon dos. Il fouilla dans la poche de son pantalon, puis sortit un collier étincelant. La chaîne argentée était agrémentée d'un pendentif en forme de goutte, sans doute sculptée à partir d'un saphir.
« Tiens ! C'est mon cadeau d'au revoir !
— Où tu as trouvé ça ? Tu l'as volé ?
— Non ! C'est un monsieur qui me l'a donné. Il m'a dit que je devais en prendre soin.
— Un monsieur ?
— Il était grand ! Il avait une épée... mais il avait l'air gentil. Il m'a rassuré. »
Qui était-ce ? Un pirate ? Au moins, il ne lui avait pas fait de mal.
Sa petite main lâcha le collier entre mes doigts.
« Je te fais confiance pour en prendre soin, hein.
— J-J'en prendrai soin... Promis. Merci, Alexandre. Moi, je n'ai rien à te donner, bredouillai-je en tâtant ma robe...
— J'ai passé pleins de belles journées grâce à toi... tu vas beaucoup, beaucoup me manquer... est-ce qu'un jour, tu reviendras ? »
Ses yeux émeraude brillaient d'espérance.
« J'essaierai. Tu fais attention à toi, et tu es gentil avec maman, d'accord ?
— D'accord... »
Je posai un long baiser sur son front, lui demandai une dernière fois de rester chez lui, lui rappelai que je l'aimais, puis je repartis, déboussolée. Je nouai le collier autour de mon cou, passai le pendentif sous ma robe, et, tremblante, je me demandais quoi faire.
Fuir.
Mais où ?
Une mouette cria au-dessus de ma tête. Comme si elle m'indiquait la voie, elle volait en direction des voiliers.
Ma seule porte de sortie.
Je courus à nouveau, manquant de tomber à cause du sable, et je me jetai vers la première embarcation. J'avais déjà pu faire de la voile, plus jeune. J'avais au moins les rudiments.
Je détachai l'épaisse corde en chanvre de l'amarre, posai les pagaies dans le fond de ce petit voilier, et je donnai une première impulsion vers le large.
L'instant d'après, je m'occupai de la voile, prenant la barre pour me diriger vers l'horizon.
Pour aller où ?
Je n'en savais rien !
Assise, je fixais mes pieds rouges en silence.
C'est vrai, ça, pour aller où ? Je n'avais nulle part où aller... Je ne connaissais personne à part mes parents et les villageois d'Iridieu... je ne savais pas d'où maman venait...
Je n'arrivais plus à réagir, plus à parler. J'étais tétanisée par l'inconnu. J'avais l'impression de me perdre dans une bulle qui me coupait du monde extérieur.
Une bulle vide, mais qui m'étouffait.
J'étais perdue.
Je suis censée aller où ?
On m'avait toujours dit quoi faire quand j'étais perdue. Même si je lui parlais peu... Mon père... m'avait toujours dit quoi faire. Il m'avait toujours indiqué le chemin. Il m'avait toujours protégée de l'inconnu. Sans même que je ne lui demande. Et jusqu'à la fin... il m'aura protégée.
Que devais-je faire ?
Une gerbe d'eau glacée me fit quitter mon état presque hypnotique.
Je pris une profonde goulée d'air.
Comme si j'avais été privée d'oxygène le temps de ma perte dans mes pensées.
Tout mon corps était parcouru de frissons, faible.
« Cerise ? »
Je tournai les yeux vers la mer. Accoudée au bord de mon voilier, Corail m'observait, les yeux argentés brillants d'inquiétude. Elle ne m'avait pas abandonnée. Je n'étais pas seule. Je fondis en larmes.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu es blessée ? Tu as du sang partout ! »
Je secouai la tête de droite à gauche, en sanglots. Je voyais tellement flou que je n'arrivais plus à percevoir les traits de son visage. Sa main humide se plaqua sur mon avant-bras, tout en douceur.
Entre les vagues et les sanglots, je parvins à percevoir les clapotis de sa voix :
« Je suis là ! Tu m'entends ? Je suis là ! Tu n'es pas seule ! »
Mes épaules étaient secouées de spasmes alors que je revoyais mon père en train de se vider de son sang sur le plancher de notre taverne.
« Cerise ? Parle-moi, tenta-t-elle plus doucement. »
Je parvins à souffler un « papa ». Ses sourcils s'affaissèrent. Ses yeux gris brillèrent, leur couleur oscillant entre le sombre et la clarté.
« Je suis désolée... »
Le bateau pencha brusquement.
« Pardon ! tonna-t-elle en s'écartant, mains en l'air comme si elle venait de se brûler. »
Elle avait voulu grimper sur le voilier pour me réconforter. Je ne pus que sourire tristement dans sa direction avant de me replier, le menton plaqué contre ma poitrine.
Qu'est-ce que j'avais fait pour mériter tout ça ?
Je perdais ma mère à onze ans. Tous les autres avaient survécu, sauf elle. Pourtant, elle était forte et savait bien nager. Elle aurait dû survivre aussi. J'en étais persuadée. Alors pourquoi était-elle la seule à ne pas avoir pu regagner la rive ?
J'étais considérée comme une paria par la majorité du village car je ne voulais plus croire en Nelone. Ma mère ne venait pas d'Iridieu, mais elle y avait rencontré mon père et était tombée amoureuse de lui lors d'un voyage. Elle n'avait jamais vraiment baigné dans le Nelonisme, mais elle avait fait beaucoup d'efforts pour s'intégrer. Et voilà comment ce dieu la remerciait !
Maintenant, je perdais mon père. Il s'était sacrifié pour me sauver la vie. J'avais tenté de l'aider, mais j'avais la terrible impression que c'était à cause de moi s'il était mort. J'avais déchainé la rage de cet homme en voulant protéger mon père. Pourquoi avais-je essayé ? Je savais bien que les relations et moi, ça ne fonctionnait pas. La preuve, la plupart ne m'aimaient pas. Sans parler de ce maudit mutisme. Pourquoi avais-je essayé de le raisonner ? Je ne savais pas parler aux autres. Je n'en étais pas capable.
J'avais tout perdu. Je n'avais plus de maison. Plus de parents. Plus d'amis – Alexandre était le seul. Plus rien.
Un battement de queue me ramena à la réalité. Corail me regardait, l'air préoccupé et désolé.
« Eh ! Si tu veux, tu peux me traiter de poisson ! tenta-t-elle avec un sourire mal à l'aise. »
Pardon. Je t'avais oubliée. Tu es la seule amie qui me reste.
Après la paria d'Iridieu, je deviendrai la paria de Misera.
Mais est-ce si important quand on a une amie dévouée et affectueuse comme toi ?
Je savais à quel point elle haïssait que je l'appelle « poisson ». J'avais l'impression que sa condition de sirène la rendait folle, d'autant plus car elle ne se souvenait pas de sa vie d'humaine.
« C'est gentil, soufflai-je entre deux cris de mouette. »
Plus amère, je me reconcentrai sur mes pieds.
« Où est-ce qu'on va ? »
Je haussai les épaules. La question était légitime, mais je ne voyais pas ce qu'une gamine de dix-sept ans pouvait faire.
« Tu veux qu'on aille à la Fosse des Tourments ? La zone où ta maman... »
Elle n'osa pas finir sa phrase. Je soufflai :
« Pourquoi pas... Tu sais comment on y va ?
— Bien sûr. Je m'occupe de diriger ton bateau, je m'assurerai qu'il ne dérive pas. Allonge-toi et repose-toi. »
Je la remerciai d'un sourire crispé, puis je me recroquevillai sur le bois. Or, je n'étais pas sûre de pouvoir me reposer. Outre le fait que mes pensées tourbillonnaient dans ma tête, l'embarcation, petite, subissait de plein fouet les humeurs de la mer. Chaque vague frappait la coque et me secouait, si bien que pendant un moment, j'eus quelques nausées.
Je n'avais pas demandé à Cerise quand nous arriverions. Je supposais qu'il nous faudrait quelques jours au moins. Voire un peu plus. Je n'avais pas l'impression que notre embarcation était rapide. Non, elle n'était certainement pas rapide comparée à des trois-mâts ou des bricks. Il nous faudrait plus de cinq jours, peut-être dix.
Le navire vira brusquement de bord, me faisant rouler et taper la tête contre le bois.
« Pétoncle ! »
Le bateau se pencha un peu sur le côté, et Corail apparut en train de m'observer, les sourcils froncés :
« Je l'ai fait tourner trop vite ? »
Je ne pus que hocher la tête.
« Je vais faire attention, désolée. »
Elle lâcha le bois et le voilier roula violemment. Le voyage promettait.
La pauvre 'o'
Juste côté technique, d'habitude je ne coupe pas les chapitres de 3000 mots.
J'expérimente au vu de la publication d'une nouvelle version de Neven...
Est-ce que vous préférez ? ','
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