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Chapitre 36 - Les Embruns de la Vérité 1/2


   Ses lèvres aux teintes de pétales de cerisier, son visage mince et triangulaire, ses longs cils qui habillaient ses yeux en amande, désormais gris, et cette interminable chevelure aux couleurs du soleil...

C'est maman.

Ma maman.

Celle qui m'a tant manqué.

Elle est vivante !

Enfin, non, ça signifie qu'elle est morte.

Mais elle est là !

Que dois-je dire ? Que dois-je faire ?

« Cerise ! hurla Gwen en tombant à la renverse dans la barque. »

Il tourna sa lance pour repousser ma mère du côté bâton :

« D'accord, c'est ta mère, mais je t'en supplie, aide-moi ! Je veux pas lui faire de mal, mais fais un truc ou elle va me tuer ! »

Crocs en avant, griffes dénudées et luisantes, elle les plantait dès qu'elle le pouvait, arrachant des gémissements de douleur à Gwen.

« Maman ! appelai-je en me rapprochant, la lance entre les doigts. Maman ! C'est moi ! Cerise ! glapis-je en aidant Gwen à la repousser. Regarde-moi ! Maman ! »

Si je l'avais reconnue, elle m'ignorait tellement.

Je ne pensais pas avoir aussi mal en retrouvant ma mère. Peut-être car je ne l'avais pas vraiment retrouvée. Peut-être car je me rendais compte que si son enveloppe se tenait là, celle que j'aimais tant était restée perdue entre mes souvenirs à Iridieu.

Elle planta ses griffes dans son abdomen, le faisant tressaillir et gémir.

« Maman ! hurlai-je en la poussant avec plus de force. »

Elle tourna le regard vers moi. Ses yeux noirs m'effrayaient. Je n'étais pas sa fille, j'étais sa proie.

« Souviens-toi ! C'est moi, Cerise ! Je suis ta fille ! Ton enfant ! On habitait à Iridieu avec papa ! Samuel ! Ton mari s'appelait Samuel ! Et toi, Kerez ! Maman, c'est moi ! »

Elle bondit en avant, mais malgré la terreur qui m'emprisonnait, je n'eus pas le cœur de la repousser, elle et ses griffes en avant.

« Cerise ! hurla Gwen en lui donnant un violent coup de bâton dans les clavicules. Remue-toi ! Tu vas te faire tuer, elle est violente ! Reste pas plantée là ! »

Les larmes aux yeux et les bras tremblants, je me préparais à repousser ma mère. J'avais tellement voulu la retrouver, et voilà que je devais me protéger de ses crocs qui désiraient me déchiqueter. C'était un cauchemar... ma mère me voulait du mal.

« Cerise ! m'interpella Gwen en se redressant, une main pressant son ventre en sang. C'est pas ta mère, là ! C'est une sirène ! Elle t'a oubliée pour l'instant ! On va tout faire pour pas lui faire de mal, mais défends-toi, je t'en supplie ! »

Ses mots résonnèrent dans ma tête un moment sans écho, avant que je ne raffermisse mes mains sur mon arme de fortune. Gwen avait raison. Pour l'heure, on devait la repousser. Jusqu'à ce qu'elle se souvienne de moi en tout cas.

Ensemble, nous parvenions à repousser les assauts meurtriers de ma mère dont la peau se couvrait petit à peu de bleus. J'avais mal au cœur à chaque marque laissée, mais c'était ça ou notre mort.

Elle hurla soudain en bondissant sur les jambes de Gwen. Ce dernier perdit l'équilibre et tomba à l'eau. Aussitôt, j'attrapai sa main pour le tirer vers moi, mais une pression vertigineuse l'attirait dans les profondeurs, et je craignais qu'il ne perde une jambe si je continuais de lutter pour le ramener à la surface.

Son visage disparaissait petit à petit sous l'eau alors qu'il se débattait pour remonter.

Soudain, la pression fut relâchée. Je me dépêchai de le tirer près de moi et je soupirai de soulagement en le découvrant entier.

« Tu vas bien ?

— Juste mal à la jambe... J'ai eu la peur de ma vie... bredouilla-t-il, plus pâle encore que tout à l'heure. »

Deux cris nous firent tourner la tête à l'endroit où Gwen était tombé. Deux têtes émergèrent. Une rousse et une brune.

« Corail ! appelai-je. »

Elle repoussa ma mère d'un violent coup de griffe dans la poitrine. Ses yeux alternaient entre le blanc laiteux et le noir tandis qu'elle répétait quelque chose à voix basse, concentrée. Mon prénom. Elle serrait parfois un collier autour de son cou. Celui à la goutte d'eau.

« Corail ! C'est ma mère ! Ne lui fais pas de mal ! »

Elle leva la main dans ma direction en signe de compréhension, puis elle disparut sous l'eau.

« Elle n'a pas perdu la tête ?

— Pas pour l'instant. Elle a l'air de se concentrer sur moi. »

Je regardais autour de moi, à la recherche d'éclaboussures et de bulles, mais rien.

« J'espère qu'elles vont bien, soupirai-je. »

Je jetai un œil vers les chasseurs, occupés à attraper deux sirènes. Ils ne nous dérangeraient pas tout de suite. Les jambes flageolantes, je me redressai, la lance entre les mains, pour surveiller les alentours.

Corail émergea avant d'à nouveau couler, repoussée par la sirène aux cheveux roux. Je me tendis. Elles firent à nouveau surface. Entre les coups de griffes, j'entraperçus la noirceur des yeux de Corail plongés dans ceux de ma mère, et son sourire aux dents pointues. Elle se jeta au cou de ma mère, gueule grande ouverte, mais je hurlai :

« Corail ! C'est ma mère ! »

Elle s'écarta de plusieurs mètres, les yeux gris tombant vers le blanc. Elle n'arrivait pas totalement à garder le contrôle, je devais être prête à l'aider.

Ma mère repartit à l'assaut, mais Corail ne parvint pas à s'écarter. Griffes plantées dans le haut de sa poitrine, elle resta accrochée en se rapprochant pour lui espérer lui donner un coup de croc fatal.

« Maman ! Arrête ! hurlai-je de toute mes forces. »

La lance en main, je me courbai, prête à envoyer mon arme, mais je me raidis. Impossible. Je ne pouvais pas blesser ma mère... mais j'allais perdre Corail !

Les larmes aux yeux, je suppliais alors que mon amie se débattait, le visage déformé par la terreur :

« Maman ! C'est moi ! C'est Cerise ! Regarde-moi ! Souviens-toi de moi ! Maman ! »

Mais rien, rien, elle était perdue dans sa folie meurtrière.

Je devais la faire revenir à moi ! Mais comment ? Mon visage ni ma voix n'avaient pas suffi ! Mon prénom non plus ! Ni les noms qu'elle avait connus ! Et je n'avais rien sur moi qui puisse lui rappeler des souvenirs !

J'avais besoin de quelque chose qui nous liait, elle et moi.

Je cessai soudain de renifler pour essayer, au moins une fois, de chanter notre berceuse :


La mer chante à nos portes

La vie de l'océan

Toujours ses vagues emportent

Les sanglots par ses vents


Si ton cœur se désarme

Pleure auprès de la mer

Elle recueillera tes larmes

Aux saveurs douces-amères 


Relève ton menton

L'océan se colore

Souris à l'horizon

Tu peux changer ton sort


Embruns de vérité

Guideront ton chemin

Le ciel peut tempêter

Mais des trésors au loin


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