Chapitre 30 - Sucré 1/2
Gwen se précipita vers la femme pour attraper ses bras tandis qu'elle reculait, les larmes sur le visage.
« Madame ! Calmez-vous ! Vous risquez de vous blesser ! Elle ne peut pas grimper jusque-là. »
Je descendis au plus près de Corail, si près que les vagues gelées me léchaient les chevilles. Mon amie me soutenait pour que je ne glisse pas. J'expliquai :
« Je sais que tout le monde dit que les sirènes sont des monstres assoiffés de sang et de chair humaine... mais Corail... enfin, Orane, n'est pas comme ça. Les sirènes dont on entend parler sont celles qui ont perdu la tête... mais ce n'est pas son cas. Je la connais depuis plusieurs mois. Elle m'a même sauvé la vie à plusieurs reprises. Sincèrement, elle est inoffensive. Elle est... elle est ma meilleure amie. Je lui confierais ma vie les yeux fermés, concédai-je avec un sourire timide. »
Ma déclaration fit plisser de bonheur les yeux humides et argentés de Corail. Elle attrapa doucement mes mains pour les serrer tendrement, puis elle se tourna vers ses parents.
« Honnêtement, je ne me souviens pas vraiment de vous... mais vous m'êtes familiers, et j'ai le cœur qui bat vite quand je vous regarde... et j'ai le sourire qui se balade dans l'estomac ! Alors... est-ce que vous pourriez... me raviver des souvenirs ? Je suis sûre que je me souviendrai mieux grâce à vous ! »
Prudemment, le père s'approcha à son tour et tendit la main vers Corail. Elle la lui prit doucement, et à son contact que j'imaginais rugueux et chaleureux, des larmes emplirent les prunelles de mon amie.
« Tes mains... je crois que j'aimais beaucoup tes mains... papa ?
— Orane... c'est bien toi. Marguerite, viens... l'interpella-t-il en laissant couler ses larmes le long de ses joues. Il est évident qu'il s'agit de notre petite fille... »
Le visage de la mère finit par s'adoucir et elle s'avança à pas mesurés jusqu'à la sirène. Elle glissa sa main dans sa chevelure, puis sur sa joue.
« Oui, ça ne peut qu'être toi... Orane... Ma chérie... Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Parle-nous... »
Avec un sourire mal à l'aise, elle bredouilla :
« Je n'en sais rien... j'ai quelques bribes de souvenirs... Je me souviens être tombée de la falaise... mais l'avant ? Je n'en sais rien. Je suis désolée. Je pensais que retrouver mes racines me permettrait de connaître ma vie d'humaine... mais j'y ai un peu trop cru, on dirait, s'esclaffa-t-elle en massant sa nuque. Une personne est un feuillage de nuances... rien n'est tout noir ni tout blanc. J'ai l'impression que ma moi humaine m'est totalement étrangère. J'ignore pourquoi j'ai sauté. J'ignore comment j'étais, avant. Ce que j'aimais faire, mes rêves, mes espoirs, mes peurs... je ne me souviens de rien, j'ai l'impression que ce n'est même pas moi. »
Elle baissa les yeux :
« Et... ça fait étrange, de savoir qu'on a vécu... mais de ne pas s'en souvenir, ni de se sentir en phase avec cette partie de soi. C'est vraiment... étrange comme expérience. J'aimerais me souvenir, me retrouver... mais tout est tellement brumeux dans mon esprit. Je me suis souvenue de quelques trucs. De Célestin. Je pense qu'il était très important pour moi. Et vous... »
Elle les scruta avec attention.
« Je sais que je vous connais... mais rien ne me revient.
— On va vous laisser vous retrouver, annonça Gwen en s'écartant. Tu viens, Cerise ? »
J'acquiesçai.
« Merci à tous les deux ! s'exclama Corail en agitant sa main dans notre direction. Tout ça, c'est grâce à vous ! »
Je lui adressai un sourire tendre : je n'avais jamais vu mon amie vivre autant d'émotions. De la joie à la tristesse à la curiosité. Elle était surexcitée, les émotions en émoi, et j'étais ravie de la voir retrouver ses racines. Cela la soulageait sans...
Je trébuchai, et Gwen me rattrapa, à nouveau :
« Le même trou que t'a l'heure. Des fois j'ai l'impression que tu fais exprès. »
Je levai les yeux au ciel :
« La même langue qui fait des remarques dont je me passerais bien. »
Il soupira, puis suggéra :
« On va dîner quelque part ? Ou grignoter quelque chose ? J'pense que ça va durer plusieurs heures. »
Je fronçai les sourcils en parvenant non sans peine à gravir le dernier rocher sur lequel j'avais glissé à cause de mes chaussures trempées :
« Ensemble ?
— J'ai pas d'or, rappela-t-il.
— C'est une raison pour te nourrir ? »
Une fois debout, il passa une main dans ses cheveux :
« Bon, écoute... Je suis un peu grognon depuis c'matin, j'me rends compte que c'est pas très sympa de ma part, désolé... et j'ai envie de faire table rase. Qu'est-ce que t'en dis ?
— Disons que je peux laisser passer pour cette fois, murmurai-je en prenant le chemin de la ville.
— Pour cette fois ? reprit-il en me suivant.
— Ce n'est pas parce que tu me fais tes excuses après ton comportement désagréable que je dois forcément les accepter, expliquai-je. À ce moment-là, s'excuser résoudrait tous les problèmes. Tu voles ? Tu t'excuses, et c'est réglé. Tu as tué quelqu'un ? Tu t'excuses, et c'est réglé. Le monde serait drôle si les actes n'avaient aucune répercussion grâce à quelques mots d'excuse. »
Il soupira :
« Tu t'prends trop la tête, je trouve.
— Je t'ai pas demandé ton avis. »
Ma réponse le prit de court.
« Je t'ai vraiment vexée, aujourd'hui ?
— Je déteste les conflits en général. Alors, ton humeur grognon à me coltiner constamment toute la journée... sans façon.
— Eh bien... je suis d'autant plus désolé. Je vais faire attention. »
Ses yeux noisette cherchaient à capter les miens. Je détournai le regard vers la mer :
« Bon, disons que je te fais encore une fois confiance... »
Il passa un bras autour de mes épaules si brusquement que je geignis. Aussitôt, il s'écarta :
« Pardon ? J't'ai fait mal ?
— Euh, un peu... »
Plus doucement, son bras duquel émanait une chaleur familière revint. Sa main se posa doucement sur ma peau, et des frissons me parcourent du bout des doigts jusqu'à l'épaule.
Je fronçai les sourcils alors que des chaleurs involontaires empourpraient mes joues. Pourquoi était-il aussi... tactile ? Il me perturbait à être si... proche. Pas que sa chaleur et sa peau étaient désagréables... mais je me posais des questions.
Enfin, je ne devrais peut-être pas. Peut-être que ce n'était rien d'autre que de la camaraderie. Je me faisais peut-être des idées, oui. Après tout, c'était trop récent pour que ce soit... autre chose. Oui, je devais me ressaisir !
Je lançai un regard vers le coin où Corail avait retrouvé ses parents, et une épine me perça le cœur. Les larmes me montèrent aux yeux alors que je repensais à mon père, mort un mois plus tôt. Je ne pensais pas que son sourire puisse autant me manquer...
« Pourquoi tu pleures ? »
Je n'avais pas vraiment envie de m'épancher sur ma vie :
« Rien, t'en fais pas. »
Je séchai mes yeux avec un sourire grimaçant.
« Cerise... J'suis con, mais pas à ce point-là. »
Je gloussai. Un mélange de rire et de pression qui chutait comme un oiseau blessé filait vers une mer agitée. Et les larmes s'y mêlèrent à nouveau.
Comme si cet état de tension m'y prédisposait, je me remémorai le chasseur tué de ma main, la torture que j'avais subie, le massacre d'Iridieu...
« Eh, m'appela Gwen en m'entourant de ses bras sans oser les poser sur mon corps. Qu'est-ce qu'il t'arrive ? C'est moi ? Je t'ai fait peur en te serrant contre moi ? Cerise ? »
Les mâchoires contractées, je secouai la tête de droite à gauche. Plus doucement que toutes les autres fois où il m'avait approchée, Gwen glissa sa paume sur mon crâne pour m'attirer dans ses bras. Je nichai mon visage contre son épaule, non loin de son cou pulsant de vie. Lorsque ses bras me recueillirent dans la chaleur, je frissonnai du bout de mes orteils jusqu'au sommet de mon crâne. Frémissante, je me nichai d'autant plus contre lui, pressée contre son corps, à la recherche de réconfort.
Je reniflais, tendue et crispée.
« Cerise ? Tu veux qu'on en discute ?
— Je sais pas trop ce que j'ai... j'ai tout qui ressort d'un coup...
— Les nerfs, peut-être ? »
Je haussai les épaules.
« En tout cas, j'éviterai de te faire rire la prochaine fois... »
Nouvel éclat de rire de ma part. Cette fois, j'avais l'impression que ma poitrine gonflée par l'épine de la douleur désenflait peu à peu, de plus en plus légère. J'inspirai profondément en avalant ma salive de travers.
Je restais malgré tout cramponnée à lui, les joues humides et les yeux piquants. La chaleur qu'il m'offrait m'apaisait. J'avais envie d'oublier toutes ses moqueries et le malaise transformé en froid d'aujourd'hui... je voulais juste profiter de sa douceur et de sa chaleur.
« Qu'est-ce que tu aimes manger ? Je t'ai jamais posé la question...
— J'aime bien les trucs sucrés.
— Alors on va se trouver un truc sucré à manger, ça te va ? »
J'acquiesçai, un sourire frémissant sur les lèvres.
Tout en m'enlaçant d'un bras, Gwen m'entraînait vers les lumières flamboyantes d'Orenruz. Il jetait régulièrement des regards précautionneux vers moi, mais je détournais souvent les yeux : j'avais le visage rouge et fripé par les pleurs, je ne ressemblais plus à grand-chose. Je me sentais démunie, comme si on m'avait arraché un joli masque pour montrer mon côté le plus fragile. Peut-être craignais-je ses habituelles moqueries ?
Nous franchîmes les portes de la ville et nous dirigeâmes vers la place centrale, fréquentée par des flâneurs au détour des magasins et restaurants.
« Tu aimes quelque chose en particulier ? Chocolat ? Fruits ?
— Le chocolat, j'aime beaucoup... »
Il esquissa un sourire :
« J'sais pas pourquoi mais je m'en doutais. »
Je me surpris à apprécier le rictus qui ensoleillait son visage que j'avais toujours trouvé morne, taciturne et de mauvaise humeur jusque-là. Les fossettes qui habillaient ses joues rosies – sans doute par le froid – lui allaient bien.
« Je pense qu'il existe des salons de thé, des trucs du genre. Ça te tente ? »
J'acquiesçai vivement :
« Oui, je n'en ai jamais visité...
— Ouais, village paumé, quoi. »
Cette fois, je ne grognai pas, me contentant d'esquisser un sourire fatigué mais amusé. Il n'avait pas vraiment tort, et surtout, pas une once de moquerie ne s'était immiscée entre ses lèvres.
« Mais ce sera ouvert à cette heure ?
— Ouais, p't'être. Ou pas. J'sais pas. On verra. Surprise. »
Confiant, Gwen se dirigea vers un homme aux cheveux blancs épars qui contemplait l'étendue ténébreuse sur le bord des quais :
« M'sieur, excusez-moi ! Vous êtes du coin ? »
Il se retourna et sourit en nous découvrant :
« Je peux vous aider ?
— Vous connaissez un endroit avec des chocolats chauds ? Qui s'rait ouvert maintenant. »
Il tendit son doigt fébrile dans une rue :
« Le Chaud-Cocorico devrait pouvoir vous accueillir.
— Merci, au revoir, m'sieur !
— Passez une belle soirée, les amoureux. »
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