Chapitre 26 - Honteuse
Corail écarquilla les yeux. Je me tournai vers elle :
« Est-ce que d'autres choses te reviennent ?
— Euh... pas plus que ça, pour l'instant. »
Elle fixa les alentours du port, de l'immense falaise qui surplombait des rochers tranchants en partie immergés aux maisons aux toits colorés disposées là où le relief capricieux le permettait.
Elle me tira doucement par le poignet :
« Cerise, est-ce que je peux te faire confiance ?
— Hum ?
— J'aimerais que tu cherches des informations en ville pour moi... comme je ne peux pas me déplacer sur la terre ferme...
— Sauf si on te porte ! clama Gwen. Mais j'avoue que l'odeur de corégone n'aiderait pas...
— On t'a pas causé ! riposta Corail avec un regard assassin. »
Je tentai de détendre les esprits :
« C'est bon, il a juste donné une idée qui n'est pas si stupide que...
— Et tu le défends, en plus ? s'insurgea-t-elle. »
L'heure n'était pas aux disputes :
« Non, non, tu as raison, c'était stupide de sa part de s'immiscer dans notre discussion. »
Elle fronça d'autant plus les sourcils :
« Tu te fiches de moi, c'est ça ? Avoue ! »
Je me contentai de soupirer :
« Je veux juste qu'on se concentre sur ce qu'on doit faire. On n'a pas le temps de se disputer. Tu ne dois pas être vue, lui rappelai-je. »
Elle haussa les épaules dans un grognement.
« On va chercher des informations sur toi et cet homme aux yeux gris. Il faudrait aussi qu'on se ravitaille pour les prochains trajets, songeai-je en jetant un œil vers Gwen.
— On ? Cerise, il me semblait que...
— On en reparle plus tard, coupai-je. »
Elle écarquilla les yeux de colère, puis elle disparut sous l'eau, sans doute vexée.
« Vous vous êtes disputées ? questionna Gwen en fixant l'endroit où Corail nous regardait quelques instants plus tôt.
— Non. Enfin, pas vraiment... C'est juste qu'elle ne t'apprécie pas, admis-je.
— Elle veut encore me dégager du voilier, c'est ça ? »
Je ne pus que lui sourire, mal à l'aise :
« Oui, enfin... je ne sais pas si c'est la meilleure des idées. On pourrait te donner de l'or, mais qui sait combien de temps tu mettras avant de retrouver des connaissances, donc ça pourrait ne pas suffire... »
Il plissa les yeux :
« Tu veux me garder avec toi, alors ?
— Avec moi ? Euh... non. Enfin, c'est juste que je ne pense pas que... que tu mérites d'être abandonné comme ça, presque sans or... c'est tout. »
Son visage se targua d'un sourire malicieux. J'ignorais ce qu'il avait en tête, mais je n'étais pas certaine de vouloir le savoir.
Vingt minutes plus tard, nous approchâmes du port et des nombreux navires amarrés. Nous nous dirigeâmes dans un coin plutôt alloué aux petits voiliers comme le nôtre, et nous amarrâmes. Les sourcils froncés, j'observais les environs :
« J'ai peur qu'on nous vole nos affaires si on les laisse comme ça...
— Bah, on a qu'à les attacher au mât, ils seront obligés de monter dans le navire pour détacher les affaires. Ensuite, on laisse notre Courbine s'occuper de les effrayer ! cria Gwen plus fort. »
Pour toute réponse, la sirène donna un violent coup dans le voilier qui manqua de nous faire tomber. Au moins, nous étions d'accord.
La bourse dans une poche, le collier dans l'autre, nous montâmes sur le ponton. Au bout de ce dernier, un drapeau voletait : une rose orange. Gwen n'avait pas menti. Nous nous fîmes interpeller par un vieil homme qui tenait un carnet entre les doigts :
« Eh ! Ohé ! Vous venez d'amarrer, c'est ça ? Il vous faut payer le séjour. Vous restez combien de temps ? »
Gwen et moi nous regardâmes avec interrogation.
À notre hauteur, l'homme habillé d'une toge mauve massa sa barbe grisâtre :
« On peut commencer par une journée. Si vous restez plus longtemps, il faudra venir me voir pour payer la suite.
— Entendu, merci, acquiesçai-je avec un sourire.
— Votre nom ? Que faites-vous ici, d'ailleurs ? Marchandise ? Voyage ?
— Cerise. Nous sommes en voyage et nous avions besoin de faire une escale, nous manquons de vivres. »
Après ces formalités, je le questionnai :
« Nous cherchons aussi des renseignements sur des personnes. Est-ce que vous avez déjà vu un homme aux cheveux noirs et aux yeux gris ? »
En profonde réflexion, le vieil homme frottait son menton :
« Non, ça me parle pas. De quand ça date ?
— On ne sait pas.
— La ville est plutôt vaste, et je n'habite dans le coin que depuis trois ans... mais si vous cherchez ce genre de personnes, faites attention. On sait pas ce qui se cache derrière ces malédictions des sirènes... vous êtes jeunes, j'aimerais pas qu'il vous arrive quelque chose. »
Je le remerciai, puis essayai :
« Et une jeune femme aux cheveux bruns et ondulés ? La peau mate. Elle habitait sûrement ici il y a deux ou trois ans.
— Hum... elle faisait quelque chose en particulier, ici ? Car ça me dit pas forcément quelque chose...
— Tout ce qu'on sait, c'est qu'elle est sûrement morte... »
Un éclair illumina ses yeux :
« Ah ! C'est la fille du gouverneur Gwallzen ! »
Ma poitrine se gonfla de joie : on avait enfin une piste !
« Vous pouvez nous en dire plus ? Comment elle est morte ?
— Je n'en sais pas vraiment plus. Il paraît que sa mort est assez... comment dire... »
Il chercha ses mots quelques instants :
« Honteuse. Pour ce qui est des détails, on ne m'a jamais vraiment rien dit, et quand j'en parlais, on me disait qu'il valait mieux que je n'en sache pas plus, alors j'ai préféré ne pas insister. »
Comment ça, honteuse ? Pouvait-on vraiment mourir de cette façon ? S'il s'agissait vraiment de Corail...
« J'ai une question, interrompit Gwen. On nous a parlé d'une sorte de petit badge avec une rose orange croisée avec un marteau...
— Oh, c'est pour indiquer qu'on fait partie du système judiciaire d'Orenruz. Avocat, procureur, juriste, juge... toute cette bande de types. Vous avez des soucis avec eux ?
— Non, mais l'homme qu'on cherche a peut-être un lien avec cette organisation. »
Il fronça les sourcils :
« Hum... Je sais qu'un scandale a éclaté il y a quelques années. Cinq ans, si je me trompe pas. Grosse affaire de corruption du côté judiciaire – plutôt ironique pour ceux qui doivent défendre la justice, si vous voulez mon avis. En tout cas, tous les membres ont été renouvelés pour repartir sur des bases « saines ». Quoi d'autre ? On a eu des affaires en tout genre au fil du temps, mais rien de bien marquant. »
Après quelques questions supplémentaires qui ne donnèrent aucun résultat, l'homme nous indiqua une route qui nous mènerait au gouverneur. Une fois éloignés du port, je murmurai :
« Si Corail est bien la fille du gouverneur... les circonstances de sa mort ont l'air étranges.
— T'as pas compris le sous-entendu ? »
Je secouai la tête de droite à gauche.
« Elle s'est suicidée. C'est mal vu chez les Nelistes... et même en général. Ça signifie que tu refuses le don de vie qui t'a été offert à la naissance. »
Je regardai la mer, les yeux écarquillés :
« Corail ? Mais t'as vu son caractère ? Elle n'est pas du genre à...
— Elle a peut-être changé en devenant une sirène. Mais si elle est toujours la même... eh ben, on peut pas savoir ce qui lui est arrivé. Peut-être qu'elle a vécu une tragédie et qu'elle était au fond du trou... on peut pas juger les gens comme ça, sans rien savoir.
— Et c'est toi qui dis ça ? maugréai-je en me souvenant qu'il m'avait directement poussée dans la case coupable après avoir aperçu Corail un instant.
— Oui, bon, désolé, notre rencontre était un peu... houleuse. »
Un peu était un euphémisme...
Reconcentrés sur la route pavée de pierres, nous marchions entre les bâtiments, montant parfois des escaliers escarpés : cette partie de l'île n'était pas la meilleure pour y construire des maisons.
« Tu comptes me débarquer ici, je suppose ? murmura Gwen.
— Euh... je ne sais pas. C'est ce que Corail voudrait, confia-je, mais ça, tu t'en doutes...
— Et toi ? »
Je haussai les épaules :
« Comme je te l'ai déjà dit, je n'ai pas forcément envie de t'abandonner ici...
— Tu restes la capitaine de ce voilier... c'est à toi de décider, pas à Corail.
— Mais il faudra faire des concessions car ma décision risque de ne pas lui plaire, alors... »
Mon cœur se serra à l'idée qui me vint à l'esprit :
« Alors peut-être qu'on te redéposera à Isda. Tu as de la famille, là-bas ?
— Oui, ma tante, acquiesça-t-il.
— On fera sans doute comme ça, alors. »
Pourquoi ma poitrine était toute enflée ? Je ne m'étais pas autant attachée que ça, si ? Non... on se connaissait depuis trop peu de temps pour que ce soit le cas.
« Regarde, c'est le bâtiment administratif d'Orenruz. »
La bâtisse blanche aux murs polis s'élevait d'un étage. Un escalier nacre menait aux portes brunes comportant des gravures en rapport avec la mer et les sirènes. Nous nous permîmes d'entrer après avoir toqué. L'intérieur était blanc et spacieux, et plusieurs groupes d'hommes habillés en toge mauve discutaient de part et d'autre.
Tout le monde se tourna vers nous. Un homme au regard sévère s'avança pour nous jauger de bas en haut :
« Vous êtes ?
— Euh... bonjour, nous cherchons le gouverneur Gwallzen. »
Silence dans la pièce. Avais-je dit quelque chose qui ne fallait pas ?
« Il n'est plus gouverneur depuis deux ans déjà.
— Oh. Où peut-on le trouver, alors ? »
L'homme nous inspecta :
« Pourquoi vous le cherchez ?
— Euh... nous sommes des connaissances de sa fille. Nous voulions lui rendre visite, mentis-je, le regard assuré. »
Je ne connaissais même pas son prénom, alors j'espérais qu'on ne nous questionnerait pas à propos de Corail...
Les regards se muèrent ou se peinèrent pour certains.
« Malheureusement, Orane est morte il y a trois ans... Elle avait vingt-cinq ans et encore de belles années à vivre, mais... »
Il détourna le regard :
« Ce n'est pas à moi de vous raconter tout ça. Je vais vous indiquer comment vous rendre chez monsieur Gwallzen. »
Peu de temps après, Gwen et moi ressortîmes du bâtiment du gouvernement.
« Elle s'appelle Orane... »
Il acquiesça.
« Du coup, toutes les fois où j'me suis creusé les méninges pour lui trouver un nom de poisson de mer qui commençait par C n'ont servi à rien. »
Je soupirai :
« Oui, mais là n'est pas le sujet. »
Je me retournai brusquement vers les portes fermées :
« Mince, j'aurais dû leur demander s'ils connaissaient un homme aux cheveux noirs et aux yeux gris.
— Il n'était pas dans la salle en tout cas, affirma Gwen, j'ai regardé. On posera la question au père de... d'Orane. Peut-être qu'il le connaît, s'il était important pour elle.
— Ou peut-être qu'il est le père d'Orane. »
Son visage s'illumina :
« C'est possible ! Sauf si... sauf s'ils ne s'entendaient pas. À ce moment-là, eh bien... ce serait pas lui, le type aux yeux gris.
— On verra bien, retrouvons-le vite ! »
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro